Burundi – Julien Nimubona : « Nos diplômes n’étaient reconnus nulle part, ce ne sera plus le cas »
Malgré le manque de moyens, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique est déterminé à aller jusqu’au bout de la réforme de l’Université burundaise, qui vient de franchir un pas décisif.
Burundi : retour sur scène
Depuis sa nomination en août 2010, Julien Nimubona, 49 ans, membre de l’Union pour le progrès national (Uprona), ne passe pas inaperçu. Un mois après sa prise de fonctions, il a fait fermer deux établissements d’enseignement supérieur qui avaient démarré leurs activités depuis dix ans sans autorisation… et suscité des plaintes de la part de certains de leurs diplômés. Cette année, outre l’entrée en application de la loi réorganisant l’enseignement supérieur, en novembre 2011, le pays est passé au système licence-master-doctorat et intègre donc les standards internationaux. L’occasion, pour le ministre, d’accélérer la réforme de l’Université. Et il a fort à faire.
Jeune Afrique : En quoi 2012 est-elle une année charnière pour l’Université ?
Julien Nimubona : La loi portant réorganisation de l’enseignement supérieur, adoptée par le Parlement en 2001, est entrée en vigueur en novembre dernier et, aujourd’hui, les étudiants des premières années l’ont déjà mise en pratique. Jusqu’à présent, notre système datait des années 1960 et était hérité de la colonisation belge, avec des structures, des enseignements et filières traditionnelles qui produisent beaucoup de diplômés, dont la plupart, malheureusement, sont au chômage. En outre, les anciens diplômes n’étaient reconnus nulle part. Ce ne sera plus le cas avec le passage au système BMD, bachelor-master-doctorat [équivalent anglophone, plus couramment utilisé au Burundi, du LMD, licence-master-doctorat, NDLR], fonctionnel depuis cette année et par lequel nous sommes en train d’adapter notre enseignement supérieur aux standards internationaux, en particulier à ceux de la Communauté est-africaine. Il repose sur trois niveaux de diplômes – licence sur trois ans, master sur deux ans et doctorat, sur trois ans – et met l’accent sur la professionnalisation.
Comment les enseignements vont-ils évoluer ?
Nous profitons de l’occasion pour introduire de nouvelles filières et professionnaliser l’enseignement supérieur à travers des baccalauréats [licences] et des masters appropriés – nous avons ainsi intégré des cours d’entrepreneuriat dans toutes les universités – et, surtout, pour créer des instituts postsecondaires professionnels. Cela permettra de résoudre un peu le problème du chômage des jeunes.
Même s’il coûte très cher à l’État, le système BMD est le mieux adapté. Avant, la première et la deuxième année étaient consacrées à des matières trop générales. Une perte de temps. En allégeant les cours, on densifie les matières de spécialité et on gagne un an en spécialisation. Non seulement on crée des formations spécialisées, ce que nous appelons « bachelors généraux », qui débouchent sur les masters de recherche, mais on ouvre une brèche pour les étudiants, qui ont la possibilité de suivre un cursus de baccalauréat [licence] professionnel avant d’aller vers le master professionnel. Ils s’inséreront donc plus facilement qu’auparavant dans le monde du travail.
Comment résoudre le problème posé par l’afflux de nombreux nouveaux étudiants alors que les capacités d’accueil sont limitées ?
La réponse que nous apportons à cette explosion des effectifs, qui est la conséquence de la démocratisation de l’enseignement depuis la base jusqu’au secondaire, est la libéralisation de l’enseignement supérieur. Désormais, nous n’orientons plus les étudiants. S’ils réussissent l’examen de fin d’études secondaires, ils vont dans les facultés qu’ils souhaitent. Depuis deux ans, le gouvernement consacre chaque année environ 1 milliard de francs burundais [530 500 euros] à la construction de nouveaux amphithéâtres et, à partir de 2013, nous mettrons en pratique une nouvelle stratégie qui consiste à construire trois amphithéâtres chaque année, avec trois grandes salles par campus.
Au-delà de la capacité d’accueil, il faut aussi avoir de bons enseignants et qu’ils soient plus nombreux. Notre système était très performant avant la crise de 1993 et produisait des étudiants très compétents. Avec la crise, les professeurs sont partis dans les pays voisins ou en Occident. Les assistants envoyés en formation ne sont pas revenus. Aujourd’hui, nous profitons de la fin de la crise et de l’amélioration des conditions de vie des professeurs pour engager cette grande réforme, tout en sachant qu’il y a d’autres conditions à remplir, notamment le recrutement d’enseignants hautement qualifiés et l’encadrement des étudiants, avec une approche individuelle.
Un ministre très universitaire
Après une maîtrise d’histoire à l’université du Burundi (UB) en 1991, Julien Nimubona a obtenu un diplôme d’études approfondies à l’Institut d’études politiques de Talence, près de Bordeaux (France), et, en 1998, a soutenu sa thèse de doctorat en sciences politiques au Centre de recherche et d’études sur les pays de l’Afrique orientale de l’université de Pau et des Pays de l’Adour – où il a enseigné. Les travaux de recherche de l’enseignant-chercheur, qui a été professeur associé et directeur des services académiques de l’UB de 2000 à 2002, portent sur les représentations du pouvoir politique et sur les conflits dans la région des Grands Lacs. Consultant pour les organisations internationales, il intervient en particulier sur les questions de gouvernance, de processus démocratique et de résolution des conflits. T.L.M.K.
Le véritable défi, c’est la diversification des offres de formation et, surtout, la décentralisation de la seule université publique.
Une approche individuelle avec des étudiants toujours plus nombreux ?
La vraie réponse, et le véritable défi, c’est la diversification des offres de formation et, surtout, la décentralisation de la seule université publique. Parmi les différents projets, nous sommes en train d’envisager la construction, d’ici à trois ans, d’instituts polytechniques à l’échelle régionale. Ils seront destinés à l’enseignement professionnel et ils nous permettront d’accueillir beaucoup de jeunes. Dès janvier 2013, nous comptons aussi transformer certaines sections de l’Institut supérieur de commerce, qui a fusionné avec la faculté des sciences économiques, pour en faire des instituts postsecondaires professionnels dans des domaines comme l’hôtellerie ou le tourisme.
La prolifération des établissements supérieurs privés pose-t-elle des problèmes ?
Oui… Aujourd’hui, il y en a vingt-trois, parmi lesquels des établissements dont les fondateurs espéraient tirer profit en recrutant de plus en plus d’étudiants. Tout le monde se plaint de la qualité des enseignements qui y sont dispensés. La nouvelle loi nous permet désormais d’inspecter, de contrôler, d’autoriser, d’agréer et d’accréditer – ou non – ces établissements dans le cadre de la Commission nationale de l’enseignement supérieur, composée de gens très compétents, objectifs et fiables.
Avez-vous les moyens de votre politique ?
L’éducation en général occupe une grande place dans le budget du gouvernement, 26 %, soit le troisième budget après celui de l’agriculture et celui de la santé, mais le gouvernement et ses partenaires consacrent l’essentiel des moyens au primaire [gratuit depuis 2005] et au secondaire dans le cadre de l’objectif Éducation pour tous. L’enseignement supérieur reste le parent pauvre, et j’avoue que c’est difficile, nous n’avons pas assez de moyens. Les grands concepteurs des plans de financement de l’éducation pensent que le supérieur n’est pas la priorité de l’Afrique… Mais, depuis l’an dernier, ce concept a commencé à changer, et, avec l’appui de pays amis, j’espère avancer un peu plus vite.
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Propos recueillis à Bujumbura par Tshitenge Lubabu M.K.
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