Maroc : Hamid Chabat, le « zaïm » venu d’en bas

En se portant candidat au secrétariat général de l’Istiqlal, le maire de Fès bouscule l’ordre aristocratique du parti. L’ancien technicien tourneur cache un homme politique doué. Un article publié dans J.A. n° 2697.

Authentique produit du militantisme, il incarne un modèle d’ascension par le terrain. © ALEXANDRE DUPEYRON POUR J.A.

Authentique produit du militantisme, il incarne un modèle d’ascension par le terrain. © ALEXANDRE DUPEYRON POUR J.A.

Publié le 20 septembre 2012 Lecture : 5 minutes.

« Chabat secrétaire général ! » La foule qui se presse, en ce 12 août, sur les gradins du théâtre Mohammed-VI, à Casablanca, a déjà choisi son champion. Goûtant ce slogan de bon augure, Hamid Chabat assoit ainsi son statut non plus de prétendant, mais de véritable homme fort de l’Istiqlal, la doyenne des formations politiques marocaines.

Ce jour-là, la télé ne couvre pas le ­meeting, mais, selon ses proches, le maire de Fès a réuni à Casablanca 586 membres – sur 900 – du conseil national. Cela se traduira-t-il par une majorité le 22 septembre, jour de l’élection du futur patron du parti nationaliste ? Hamid Chabat en est convaincu. Le secrétaire général de l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), la centrale syndicale « proche » du parti, estime qu’il n’a plus qu’une marche à gravir pour s’inscrire dans le sillage des zaïm (Ahmed Balafrej, Allal El Fassi, M’Hamed Boucetta, Abbas El Fassi). Mais cette marche-là paraît encore un peu haute pour cet ancien technicien tourneur, syndicaliste « de souche » avant de se faire élire député puis maire de Fès, fief historique du parti.

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Bio express

o 1953 Naissance près de Taza

o 1974 Rejoint l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM)

o 1990 Mène la grève générale à Fès, entre dans la clandestinité

o 1996 Gracié par Hassan II, élu communal

o 1997 Député de Fès (réélu depuis)

o 2003 Maire de Fès

o 2009 Secrétaire général de l’UGTM

o 2012 Candidat à la tête de l’Istiqlal

"Le cycliste"

Quand on veut le railler, à l’Istiqlal ou ailleurs, Chabat est appelé « le cycliste ». Un surnom méprisant pour celui qui assume son parcours de self-made-man. Pour ses détracteurs, Hamid Chabat n’a pas le profil de l’emploi. Alors que les jeunes héritiers istiqlaliens ont été formés dans les meilleures universités étrangères, lui ne peut se targuer que d’un diplôme de technicien tourneur. Originaire de la tribu des Branès de Taza, il ne peut afficher le pedigree fassi qui a longtemps servi de sésame pour l’élite du parti. Interrogé sur son lien avec Fès, le député-maire de la capitale spirituelle du royaume s’en sort par une pirouette. « À ma naissance, rappelle-t-il, Taza n’était pas encore une province, mais rattachée administrativement à Fès. » Puis son ascension au sein du parti a été appuyée – téléguidée, disent les mauvaises langues – par un Fassi historique, M’Hamed Douiri, membre du conseil de la présidence, sorte de groupe des sages du parti. C’est oublier un peu vite que son élection à la tête de l’UGTM, en 2009, s’est faite au prix d’un violent bras de fer avec Mohamed Benjelloun Andaloussi, un cadre historique de la section provinciale de Fès du parti, qui l’avait recruté en 1974. Jusqu’en juin dernier, la succession d’Abbas El Fassi, secrétaire général depuis 1998, semblait réglée comme du papier à musique. La tradition chère à l’Istiqlal privilégiait les arrangements aux duels fratricides. Préparée de longue date, la candidature d’Abdelouahed El Fassi jouissait des arguments de la continuité et de l’unanimité. Fils de « Si Allal », leader historique du parti, ce cardiologue casablancais a toujours été élu à tous les postes intermédiaires, sans opposant déclaré. Pour rompre ce bel ordonnancement, il fallait un homme politique ambitieux, un redoutable manoeuvrier. Hamid Chabat a attendu la dernière minute avant d’officialiser sa candidature, en juin. En réalité, ce dernier avait déjà mis la main sur le syndicat, la jeunesse, la section féminine, noué des alliances avec les grands notables du Sahara (Ould Rachid), du Souss (Kayyouh), du Nord (Bakkali). Au départ, sa candidature a été vue comme une énième provocation. « Cette cacophonie est préjudiciable à l’image du parti. Nous avons l’habitude de laver notre linge sale en famille », se désolait un hiérarque de l’Istiqlal. Mais le prétendant ne veut rien lâcher.

Il plaît aux médias, capte la lumière et affiche son ambition

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Famille

Si cette candidature rompt avec l’unanimisme, elle sonne surtout comme un solde de tout compte adressé par lettre recommandée à la famille El Fassi. Pendant l’ère Abbas El Fassi, les déjeuners de famille prenaient parfois l’allure de véritables réunions gouvernementales. Entre l’ex-­Premier ministre (2007-2011) et les ministres Nizar Baraka (Affaires économiques et générales), Yasmina Baddou (Santé) et Taïeb Fassi Fihri (Affaires étrangères), les organigrammes de la haute administration s’apparentaient à un arbre généalogique. « Il faut en finir avec le pouvoir héréditaire. Dans plusieurs pays arabes, nous avons assisté à la chute de régimes qui fonctionnaient selon la logique familiale », tonne Hamid Chabat, qui sait jouer des approximations pour mieux surfer sur les appels à dissoudre le « parti de la famille », devenus plus pressants depuis le Printemps arabe. Ne dit-on pas que le plan secret d’Abbas El Fassi – présenter son gendre Nizar Baraka – a volé en éclats dès les premiers slogans rageurs des manifestants du 20 février ? En tout cas, ce cadeau de l’Histoire permet au patron de l’UGTM de tenter sa chance, à un moment où la percée électorale du Parti de la justice et du développement (PJD) rebat les cartes de la scène politique marocaine.

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Populiste

Les problèmes de Fès sont nombreux (insécurité, voirie, transports publics, etc.) et Hamid Chabat, élu à la tête du conseil municipal en 2003, ne les a pas tous réglés. Mais sa popularité n’en pâtit pas. Car l’homme s’active et le fait savoir. Jouant de la fibre populaire et populiste, il plaît aux médias, capte la lumière et affiche une ambition décomplexée. Au-delà du bagout, le « style Chabat » (y compris les costumes rayés mal coupés et la cravate négligée) n’est pas sans rappeler celui de l’actuel Premier ministre, Abdelilah Benkirane. Comme le chef du PJD, il est un authentique produit du militantisme. Apparatchik qui doit tout à l’Istiqlal et à l’UGTM, il incarne un modèle d’ascension par le terrain. Longtemps réduite à un simple jeu de cooptation parmi les notables, la compétition politique fait progressivement place aux professionnels du discours. Cette situation privilégie Hamid Chabat, qui cite pour modèles les syndicalistes Lula et Lech Walesa, respectivement brésilien et polonais. Le maire de Fès est un modèle de réussite, en phase avec sa ville d’adoption qui accueille des flots ininterrompus de migrants des campagnes avoisinantes. Un rêve d’ascension sociale. Une belle histoire pour les électeurs.

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