Séphora Pondi, la jeune franco-camerounaise pensionnaire à la Comédie-Française
À tout juste 30 ans, Séphora Pondi est déjà intégrée au sein de la prestigieuse troupe de la Comédie-Française où elle est à l’affiche du « Roi Lear » mis en scène par Thomas Ostermeier. La comédienne française d’origine camerounaise interprète Kent, aux côtés de Denis Podalydès, jusqu’au 26 février.
Séphora Pondi n’a pas eu une enfance biberonnée à la prose de Molière. Comme pour les arts en général, le théâtre était aux abonnés absents de son quotidien. Et la voilà pourtant, âgée de 30 ans, foulant les planches de la plus prestigieuse des institutions en la matière : la Comédie-Française. Depuis l’été 2021, la comédienne a élu domicile Place Colette.
« J’ai commencé le théâtre relativement tard, en tant que lycéenne, à 16 ans », indique la jeune femme en guise de présentation. L’adolescente – férue de littérature – grandit dans une famille d’immigrés camerounais qui se concentre sur « les impératifs et les enfants, où la légèreté n’est pas de mise ». Mais la banlieue modeste où elle vit a un établissement qui propose des options artistiques. Au lycée Jean-Baptiste Corot de Savigny-sur-Orge, Séphora entame une filière L « arts-plastiques ». C’est là qu’elle fait la rencontre d’une surveillante, comédienne en devenir, qui ouvre un cours de théâtre.
De Corneille à Wajdi Mouawad
On est en pleine époque « High School Musical », nourrissant « tout un fantasme autour de la classe de théâtre, que j’imagine peuplée de gens chelous auxquels je m’identifie », sourit-elle. Au fil de la discussion, la comédienne varie les niveaux de langage, piochant dans des répertoires soutenus ou plus décontractés qui ne sont pas sans rappeler la diversité des rôles dans lesquels on l’a vue jouer. Elle se dévoile spontanément, avec un plaisir facile à deviner, même par combinés interposés.
Ces cours de théâtre lui font découvrir des textes jusqu’alors inconnus : l’habituée des vers de Corneille (qu’elle dévore) se met à scander du Wajdi Mouawad. Celle qui se retrouvait dans les personnages féminins mythiques du répertoire classique se plaît aussi à habiter les figures « flamboyantes » de la création contemporaine. Les deux dialoguent bien, comme dans sa prose actuelle. « Je me sens alors complètement à ma place, comme si quelque chose qui attendait depuis longtemps s’était enfin déclaré », se souvient-elle. Au point de changer d’option pour passer un bac L « théâtre ».
À la maison, il n’y a « pas spécialement d’encouragements », mais personne ne la freine. Peut-être y a-t-il tout de même l’espoir qu’une fois dans la vie active, elle ne se lance pas dans une carrière d’actrice, vue comme « un métier à risque, c’est tout ». Mais bientôt, les études de lettres à la Sorbonne ne lui suffisent plus, et à 18 ans elle annonce qu’elle arrête pour intégrer une école de théâtre publique départementale, l’EDT91. La réception familiale se corse, mais pas de quoi la décourager : la jeune femme décroche une place dans une école nationale, l’Erac, sur la Côte d’Azur.
De la banlieue parisienne, avec un « niveau de vie relativement bas », Séphora passe à Cannes, cette ville « où tout est très cher ». Avec euphémisme, elle glisse le mot « compliqué ». D’autant que simultanément, elle reçoit un mail qui va la ramener très souvent à Paris. C’est la pionne du lycée, devenue une amie, qui lui écrit pour l’inciter à postuler au Programme 1er Acte, que lance le metteur en scène Stanislas Nordey.
« Arrête de faire ta grosse méchante black ! »
Pour lutter contre le manque de diversité sur les plateaux de théâtre, il s’adresse aux jeunes d’origines sociales, culturelles ou ethniques diverses qui voudraient y monter à leur tour. Rapidement, elle intègre la première promo de 15 acteurs. Du lundi au vendredi, elle étudie dans le sud, le week-end, c’est Paris. « Je fraudais dans le TGV pour y aller, ça coûtait une fortune », avoue-t-elle.
Séphora Pondi saisit toutes les opportunités : elle se raconte en « stakhanoviste » du théâtre. Et pour cause, « je me disais, tu n’es attendue nulle part, tu n’as pas d’héritage symbolique culturel ou financier qui te permette de te dire : “à tout moment dans une rue du 6e arrondissement, tu peux être repérée !”, il fallait que j’aille au-devant de mon désir. » À cette époque, elle n’a pas une seule figure de référence qui soit une femme noire comédienne. Par une « chance insolente », insiste-t-elle, provoquer ce destin de comédienne ne passe pas par des rôles stigmatisants.
“Les institutions ont beaucoup de sens : mes parents ont tout sacrifié pour en arriver là”
Mais il y a bien un souvenir qui l’a marquée, avec un metteur en scène « problématique », à la réputation de « tyran des plateaux ». Après une scène qu’elle joue à l’école, il éructe : « Arrête de faire ta grosse méchante black ! » L’atmosphère anxiogène est telle que personne ne réagit, pas même elle, malgré l’humiliation. « Ça ne me freine pas dans mes élans. Je fais partie de ces gens qu’on fait sortir par la porte et qui reviennent par la fenêtre. »
Elle obtient son diplôme et continue sur cette lancée : une pièce au Liban, un rôle dans Désobéir mis en scène par Julie Berès qui tourne pendant quatre ans, des cours dans des lycées de Paris et alentours, des rôles au cinéma… Tandis qu’elle cultive un secret fantasme, celui d’être un jour pensionnaire de la Comédie-Française. En 2019, alors qu’elle joue au théâtre Paris-Villette, l’acteur Eric Ruf la repère et l’interroge : aimerait-elle rejoindre la compagnie ? Elle répond oui. Il note, mais pour plus tard.
« À l’été 2021, il me propose d’en être », rebondit-elle. Après des années à valser entre une multitude de projets, Séphora Pondi se pose dans cette « maison » et entre dans la peau de son premier personnage, Kent, du Roi Lear de Shakespeare. Elle y découvre la magie du « Français », son énergie, ses moyens : « Les costumes sont sublimes et faits à la main, je suis maquillée par une professionnelle tous les jours : c’est lunaire pour une intermittente du spectacle ! » dit-elle en riant. L’autre récompense se trouve dans le regard de sa famille, où l’émerveillement a pris la place du doute. « Ils sont encore plus enthousiastes et impressionnés que moi. Pour des personnes avec le passé de mes parents, les institutions ont beaucoup de sens. Ils ont tout sacrifié pour en arriver là. »
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