Afrique : foot, fric et frasques
Excès en tout genre, dérapages en dehors des terrains, train de vie de nababs… Les stars du ballon rond ne font pas dans la demi-mesure. Les sportifs africains ou originaires du continent ne sont pas en reste.
Afrique : foot, fric et frasques
Brazzaville, le 24 juillet dernier. Le gratin politique se presse dans l’amphithéâtre du ministère des Affaires étrangères. Des chefs d’État d’Afrique centrale – Denis Sassou Nguesso, Teodoro Obiang Nguema, Ali Bongo Ondimba, François Bozizé – ainsi que deux anciens Premiers ministres français, Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin, figurent parmi les convives… Orchestré au millimètre près par l’agence de communication française Euro RSCG, le lancement de l’édition Afrique francophone du magazine américain Forbes s’est pourtant très vite transformé en « Eto’o show ».
En couverture de son premier numéro, la « franchise » afro-francophone de ce journal a choisi le footballeur issu d’un quartier populaire de Douala (Cameroun). Posant en businessman multimillionnaire, costume bleu et montre à plusieurs dizaines de milliers d’euros au poignet, Samuel Eto’o s’achète une nouvelle image. Le bad boy qui en mai 2008 avait donné un coup de tête à un journaliste au cours d’une conférence de presse houleuse à Yaoundé se montre désormais aux côtés des puissants. Il est devenu « l’ami » du président gabonais, lequel l’a présenté à son homologue congolais, visiblement ravi… L’attaquant, qui a brillé – notamment au FC Barcelone et à l’Inter Milan – tout en affichant un goût immodéré pour la fête et la frime, s’assagit en fin de carrière. Le trentenaire se lance dans le business, veut paraître sérieux et faire oublier la chronique des innombrables dérapages de joueurs, souvent issus de milieux modestes, perdant pied – et la tête – lorsqu’ils touchent le Graal, des salaires mirobolants. « Ils apparaissent alors à la fraction des classes dominantes riches en capital culturel – enseignants, journalistes et intellectuels – comme incarnant la quintessence de la vulgarité sociale et la figure du parvenu », explique le sociologue français Stéphane Beaud.
Foot, fric et frasques… La vie tourbillonnante de ces enfants gâtés, en provenance du continent, tranche avec celle d’autres sportifs de haut niveau qui se couchent tôt, boivent peu ou pas d’alcool et se ménagent en dehors des stades. Certes, George Weah, Abedi Pelé ou Michael Essien ont mené des carrières sans histoires. Encore en activité, le milieu de terrain ivoirien de Manchester City, Yaya Touré, deuxième joueur africain le mieux payé après Eto’o, n’est pas un « jet-setteur ». Mais des « grandes gueules de vestiaire » se sont distinguées, comme le Togolais Emmanuel Adebayor. Et les casaniers ne sont pas nombreux. En Afrique, ces emportements et ces « virées de noceurs » posent question. Les carrières gâchées sont fréquentes et regrettables, l’image de la jeunesse africaine n’en sort pas forcément grandie, et la qualité des filières de formation interpelle.
Showbiz
L’élite du football professionnel est un repère de riches qui parcourent la planète, souvent en avion privé, et fréquentent les lieux prisés du showbiz où se rencontrent des grandes fortunes : Saint-Tropez (Côte d’Azur), Porto Cervo (Sardaigne), l’île Moustique (Grenadines), Punta Cana (République dominicaine). Les millionnaires du ballon rond aiment la lumière. Le 12 juin 2011 à Monaco, le mariage de Didier Drogba a été l’un des événements people de l’année. Les paparazzis anglais, qui se trompent rarement de cible, avaient loué un hélicoptère pour immortaliser la cérémonie à 500 000 euros. Il y avait de belles photos à faire avec toutes ces célébrités invitées : le chanteur américain de R’nB Akon, la star sénégalaise du mbalax, Youssou Ndour, le milliardaire russe Roman Abramovitch, propriétaire de Chelsea, dont l’Eclipse, son yacht, le plus grand au monde (162,5 m), mouillait à quelques milles nautiques du Rocher, dans la baie d’Antibes. Selon la presse spécialisée, Samuel Eto’o aurait déboursé 20 000 euros pour acquérir la jarretière de la mariée…
"La panoplie" du footballeur (cliquez sur l’image pour l’agrandir)
Yachts, jets privés, voitures puissantes et hors de prix, montres Richard Mille, fringues clinquantes ou costumes des plus grands couturiers… La panoplie du footballeur bling-bling est connue. Exemples, l’attaquant camerounais et le Français Thierry Henry partagent l’amour des Aston Martin. Henry vouerait un culte à sa Vanquish (260 000 euros), tandis que le Lion indomptable se targue d’être l’un des 77 heureux propriétaires du modèle One-77, immatriculé SE 0009… Un rêve à plus de 1,5 million de dollars, tout droit sorti de l’univers de James Bond.
Ivresse
Entre attaquants, on se fait des passes à 180 000 euros. C’est à ce prix que Mamadou Niang, ex-attaquant de l’OM évoluant aujourd’hui dans le club qatari d’Al-Sadd SC, a revendu sa Lamborghini Gallardo à son ami olympien Mathieu Valbuena… Le Sénégalais a quand même conservé sa Ferrari F430 Spider (175 000 euros), devenue célèbre depuis qu’un jeune supporteur marseillais a pris une gifle pour l’avoir approché de trop près au goût de Niang.
« Jamais sans mon bolide ! » pourrait également s’exclamer le Français d’origine béninoise Sidney Govou. L’attaquant en préretraite aime faire la tournée des bars en grosse cylindrée. En décembre 2008, alors qu’il jouait à l’Olympique lyonnais (OL), il a été contrôlé avec 2,6 g d’alcool dans le sang. L’attaquant a déjà été pris en flagrant délit d’ivresse publique la veille d’un match important. Ses excès lui ont valu, en 2009, le retrait de son brassard de capitaine. Au Panathinaïkos d’Athènes, en Grèce, où il a ensuite évolué, la direction du club avait sorti l’artillerie lourde : 25 000 euros d’amende pour chaque sortie nocturne arrosée au whisky-coca.
Parfois, soirées bien arrosées et nuits chaudes peuvent finir en bombe judiciaire. En poussant la porte du Zaman Café, sur les Champs-Élysées, à Paris, Franck Ribéry et Karim Benzema ignoraient que ce cabaret oriental était déjà surveillé par la police, alertée par la fréquentation de bimbos prêtes à s’offrir contre de l’argent et/ou des cadeaux. Le 12 avril 2010, la brigade de répression du proxénétisme perquisitionne le Zaman Café, et Zahia Dehar, une des habituées du lieu – mineure à l’époque des faits -, affirme sur procès-verbal avoir eu des relations tarifées, notamment avec les deux footballeurs. Le 9 août dernier, neuf personnes, dont les deux attaquants des Bleus, sont renvoyées devant le tribunal correctionnel pour « recours à la prostitution d’une mineure ».
Femmes
Un autre attaquant de l’OL, Bafétimbi Gomis, d’origine sénégalaise, a également défrayé la chronique en juin dernier après avoir été mis en cause pour un viol en réunion. Yann M’Vila, d’origine congolaise, s’était fait dérober en août 2011 dans une chambre d’hôtel une montre incrustée de pierres précieuses, trois téléphones portables, de l’argent et un ordinateur. Il a porté plainte et obtenu la condamnation des auteures du vol : deux jeunes femmes qu’il avait ramenées la veille des faits dans sa chambre d’hôtel…
Pour beaucoup, ces extravagances et ces dérives – qui ne sont pas propres aux joueurs africains ou d’origine africaine – altèrent l’image du foot. Les salaires faramineux sont l’explication le plus souvent avancée. Le rôle des entourages est aussi néfaste lorsque le manageur, le frère ou l’ami se transforme en pourvoyeur multicarte. L’ancien capitaine des Lions indomptables Joseph Antoine Bell ajoute également que « l’argent n’est destructeur que s’il s’ajoute à des problèmes d’éducation et à une absence de discipline ».
Selon l’économiste Pascal Perri*, « le salaire payé aux joueurs n’est rien d’autre que la reconnaissance de leur valeur au regard d’une échelle de valeurs collectives incluant le rendement et les performances ». Mais il ajoute : « La contrepartie du salaire très élevé est l’exigence d’exemplarité. » Pour beaucoup, nous en sommes loin. « On se focalise sur les excès des joueurs africains car ils font écho à la pauvreté du continent. Mais c’est un faux procès, car il y a aussi des joueurs européens qui pètent les plombs parce qu’ils gagnent beaucoup d’argent », tempère le « vieux » sage Patrick Vieira. C’est vrai, mais c’est justement ce décalage entre ces jet-setteurs sans limites et le quotidien des frères restés au pays qui rend ces excès insupportables. C’est certainement injuste, mais c’est une réalité.
Homme à tout faire, un métier en or
Accompagnateurs, concierges, intendants… Ils sont nombreux à choyer les stars du foot. Et notamment au Sénégal.
Ils sont en mesure de répondre à n’importe quelle demande. Et si, en Europe, ils ont souvent pignon sur rue, à Dakar, ils gravitent plutôt dans l’informel. « La famille constitue le premier cercle de recrutement des joueurs », explique Aliou Goloko, un proche de l’international sénégalais Diomansy Kamara. C’est par exemple, cite-t-il, « le cas d’internationaux comme Henri Camara, dont les biens sont gérés par son oncle, et Demba Ba, par son grand frère ». Les épouses sont aussi en première ligne. Puis viennent les amis d’enfance. En public, on les voit souvent graviter autour de la star, lui murmurer à l’oreille. Leur job : louer une voiture le temps du séjour à Dakar, réserver une table VIP dans un lieu branché, organiser une soirée privée, réserver les billets d’avion… Ces hommes à tout faire vont jusqu’à « chercher des prostituées de luxe si le client le demande », confie un jet-setteur.
L’ami d’El Hadji Diouf Oumar Thiam, connu sous le nom de Paco Jackson, assume être le « compagnon » du footballeur lors de ses virées. Pas question en revanche de parler de fonction rémunérée. Mais il en connaît un rayon sur ce métier. « Dans l’entourage du joueur, il y a ceux qui s’occupent uniquement du mystique, ceux qui se chargent de la vie privée et festive, et enfin ceux, souvent issus de la famille, qui gèrent les biens », explique-t-il. On n’est jamais assez prudent. S’il n’y a pas de salaire fixe, le tarif pour une journée de travail dépasse facilement plusieurs milliers d’euros. En fonction de la demande et du client. Nicolas LY, à Dakar
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* Auteur de Ne tirez pas sur le foot, éditions JC Lattès, novembre 2011.
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