Tshala Muana : et le mutuashi fut…
Après le décès de la chanteuse congolaise Tshala Muana, Clément Ossinonde et André Yoka Lye, respectivement chroniqueur musical et professeur à l’Institut national des Arts, saluent sa détermination à faire rayonner la musique traditionnelle luba.
Elle faisait partie, avec M’Bilia Bell et Barbara Kanam, des dernières gardiennes du temple de la rumba et d’un certain folklore congolais. Danseuse, chanteuse, auteur-compositeur et … ex-députée, Élisabeth Tshala Muana Muidikay est décédée le 10 décembre à Kinshasa, « [laissant] dans la détresse des producteurs, des mélomanes et des fans inconsolables », selon deux d’entre eux, et pas des moindres, Clément Ossinonde et André Yoka Lye, respectivement chroniqueur musical et professeur à l’Institut national des Arts.
Plus danseuse que chanteuse
Tous les deux ont découvert l’artiste Tshala Muana au début des années 1980. « Mais c’est lorsqu’elle a rejoint la Société des auteurs compositeurs de la République du Congo, dont j’étais l’un des chargés de mission, que je l’ai vraiment approchée : véritable lionne sur scène, elle n’était que douceur et humilité lorsqu’on la côtoyait, précise André Yoka Lye. Passée par différentes formations musicales, Tshala Muana avait quitté le Congo et était revenue quelques années plus tard, auréolée d’un glorieux parcours – déjà ! – à Abidjan, Ouagadougou et, dans une moindre mesure, à Lomé. »
« L’éclosion artistique de Tshala Muana commence réellement en Côte d’Ivoire, où, plus danseuse que chanteuse, elle est plus connue qu’au Congo, confirme Ossinonde. La regarder danser était un ravissement. Elle, de son côté, ne rêvait que de marcher sur les traces de ses aînés originaires des provinces du Kasaï, tels Tino Baroza et Charles Déchaud Mwamba.» La clé de son succès ? L’ouverture d’un créneau nouveau. Partant de la rumba congolaise, Tshala Muana a su l’enrichir, la densifier en y ajoutant la touche tradi-moderne du folklore Luba (peuple des provinces du Kasaï), le mutuashi.
Imbattable
Et elle s’est révélée imbattable sur ce créneau où elle n’a jamais eu de concurrente. Pour l’intrépide Tshala Muana, le mutuashi sera l’alpha et l’oméga. Elle en sera la reine. « Elle nous a tous fait danser un mutuashi sublimé par les rythmes chauds d’aujourd’hui, poursuit Yoka Lye. Les personnes étrangères comme moi à cette région ne comprenaient pas toujours ses chansons en tshiluba, mais le rythme était si entraînant et si nouveau dans l’ensemble de la tradition rumba que nous avons finalement été tous conquis. Désormais, grâce à Tshala Muana, nul n’échappe au mutuashi : je ne connais personne qui ne le danse au Congo ; et personne, sur le continent, qui n’ait trépigné en écoutant des titres phares tels Malu, Nasi Nabali (Je me marie, un classique des cérémonies de mariage), deux des titres les plus envoûtants, même si toutes les chansons de Tshala Muana sont électrisées par le très remuant mutuashi.»
Des puristes lui ont parfois reproché d’avoir dévoyé le mutuashi en occultant quelques phases essentielles de cette danse particulièrement codifiée, pour ne s’attacher qu’à la phase suggestive, tout en coups de reins et de hanches. Procès injuste, plaide André Yoka Lye. « La structure du mutuashi est la même que celle de la rumba : une première partie, soft, qui, soudain, se transforme en une envolée endiablée requérant beaucoup d’énergie. C’est dans l’euphorie et la folie de la fête que cette partie – la plus populaire de la danse – prend le dessus. Nul ne peut contester à Tshala Muana d’avoir déployé des trésors d’énergie pour populariser le mutuashi tout en le valorisant. »
Gardienne des traditions
Mais Tshala Muana a fait bien plus : gardienne incontestée des traditions, elle est parvenue à rendre tendance ce retour aux sources en installant le folklore luba non seulement dans la très cosmopolite Kinshasa et dans un Congo riche de 80 langues nationales et d’une multitude de dialectes, mais aussi dans toute l’Afrique. Pour Yoka Lye, le talent, la respectabilité et l’accessibilité de Tshala Muana en ont fait un être à part, adulé par tous, et dont la musique s’est imposée d’elle-même dans toutes les couches sociales. « Je me souviens de photos de l’artiste en compagnie de Sankara, Houphouët-Boigny, et, tout récemment encore, de Faure Essozimna Gnassingbé… »
Proche des Kabila père puis fils, la chanteuse devenue députée a notamment présidé la Ligue des femmes du parti fondée par l’ex-président congolais, le PPRD, (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie). La politique aura-t-elle été sa grande erreur ? « Je pense que mal lui en a pris », conclut Ossinonde qui ne veut retenir que l’image de « la chanteuse qui émerveillait par sa danse et qui, en gagnant ses galons de reine du mutuashi auquel elle empruntait directement toute sa musique et sa danse, a aussi contribué à lui redonner ses lettres de noblesse. »
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