Du coût de l’eau et des priorités publiques
Les conflits liés à l’eau potable ont explosé ces dix dernières années, 30 % de la population mondiale n’y ayant toujours pas accès. En cause, plus que des raisons techniques : la raréfaction de la ressource naturelle, le changement climatique, les financements et les choix politiques.
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Patrice Fonlladosa
Président du think tank (Re)sources. Ancien Président Afrique du Medef international et administrateur de l’AFD (Agence française de développement).
Publié le 17 janvier 2023 Lecture : 3 minutes.
Nous sommes au XXIe siècle, et 30 % de la population mondiale n’a toujours pas accès à une eau saine. Vingt-sept COP plus tard (sic), le constat est sévère : il faudrait multiplier par quatre les financements pour espérer atteindre, en 2050, l’objectif d’un accès universel et équitable à l’eau potable.
Plus personne n’ignore ni les chiffres – au moins 115 milliards de dollars (plus de 109 milliards d’euros) d’investissements par an sont nécessaires (hors coûts de fonctionnement) – ni les menaces, accentuées par l’impact du changement climatique, en particulier pour les pays du Sud.
Soyons réalistes, l’ODD 6 [Objectif de développement durable 6 des Nations unies : garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable, NDLR] ne sera pas atteint. Et les conflits liés à l’eau explosent, d’après les bases de données du Pacific Institute : une centaine d’incidents ont été recensés de 1960 à 2010, et plus de 800, de plus en plus violents, de 2010 à 2021… Afrique et Asie en tête.
Contrastes selon le niveau de service
Si le « coût de l’eau » est très souvent considéré comme un obstacle au déploiement de masse de l’accès à l’eau dans nombre de pays émergents, ce n’est pas pour des raisons techniques. Celles-ci ont été ancestrales, sont aujourd’hui modernes, éprouvées et régulièrement améliorées. En réalité, cet accès et le coût du service qui y est associé dépendent de la disponibilité (eaux de surface ou souterraines), de la géographie climatique et des financements dédiés. Et en premier lieu, des choix politiques et du rang de priorité qui lui est accordé au plus haut niveau de l’État.
Tous les pays connaissent des augmentations croissantes du prix facturé
Si la ressource est naturelle, son coût se construit autour des modes de traitement et de distribution choisis, et varie d’un facteur 1 à 8, voire plus. Quant au prix facturé, il dépend des politiques publiques décidées par les autorités, incluant le plus souvent des grilles de tarifs sociaux et influencés par le niveau des subventions publiques accordées.
Il ne faut pas oublier que, selon le rapport des Nations unies 2021 sur l’eau, au niveau mondial, 70 % de la ressource est prélevée par la filière agricole à des tarifs très bas. Toutefois les contrastes demeurent forts entre Rabat, Paris, Delhi et Johannesburg, selon le niveau de service –la contribution à l’assainissement ou non – les taxes, les tranches quantitatives… Tous les pays, en revanche, connaissent des augmentations croissantes. Paris voit augmenter le tarif facturé de plus de 25 % en dix ans, Johannesburg a connu de son côté une augmentation de 9,75 % en juillet 2022.
La Jordanie vient d’accéder à la triste deuxième place mondiale en matière de stress hydrique : 97 m³ d’eau consommés par an et par habitant, alors que le seuil de pénurie est à hauteur de 500 m³ par an et par habitant, ainsi que des coûts (hors investissements) deux fois plus élevés que les recettes du secteur, et des taux de pertes en réseau (Non Revenue Water) de 50 %. Augmenter les tarifs dans ces circonstances n’aurait aucun sens tant le recouvrement de l’équilibre du secteur dépend d’abord des politiques publiques et de leur mise en place effective, en incluant le secteur agricole, qui demeure largement le premier consommateur. Boire ou manger ?
Miser sur l’innovation
Face à ce défi planétaire de rareté croissante de la ressource en eau et de mollesse de certaines politiques publiques, plusieurs solutions se dessinent et mobilisent industriels, secteur privé et pouvoirs publics.
Dessalement à grande échelle, dont les coûts ont été divisés par dix en quinze ans, avec des programmes nationaux comme en Algérie ou au Maroc, réutilisation des eaux usées à vocation potable comme en Namibie, à Singapour et bientôt en France, et de façon systématique des campagnes de recherche de fuites sur réseaux et de renouvellement des infrastructures de distribution plus économes en énergie…
Les services de R&D innovent chaque jour, avec pour objectif permanent l’optimisation du couple coût-efficacité afin de conserver au mieux un prix « abordable ». En mars 2023, la Conférence internationale de l’eau se tiendra à New York sous l’égide des Nations unies. Un rendez-vous très attendu pour évaluer concrètement la tenue des engagements pris par les États. Il y sera moins question de promesses que de constats… pour une nouvelle session de prises de conscience ou bien enfin rendre sa place à l’action concrète ?
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