Égypte : Morsi le non-aligné

S’il n’entend pas renier le partenariat avec les États-Unis ni le traité de paix avec Israël, le nouvel homme fort égyptien souhaite en tout cas reconquérir une certaine marge d’indépendance.

Avec M. Ahmadinejad lors de la conférence des non-alignés, le 30 août à Téhéran. © AFP

Avec M. Ahmadinejad lors de la conférence des non-alignés, le 30 août à Téhéran. © AFP

Publié le 20 septembre 2012 Lecture : 7 minutes.

Président de l’Égypte depuis un peu plus de deux mois, Mohamed Morsi a déjà engagé d’audacieuses initiatives diplomatiques qui pourraient le conduire à une confrontation avec les États-Unis et Israël. Un risque qu’il semble prêt à assumer, car son objectif est de reconquérir une marge d’indépendance sur ces puissances de tutelle. Un succès lui vaudrait les acclamations de la grande majorité des Égyptiens.

Refus de diaboliser l’Iran

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Premier motif d’un possible affrontement, la pression extrême exercée sur les régimes iranien et syrien par les États-Unis, qui, poussés par Israël, veulent manifestement les faire chuter. Washington cherche à étrangler l’économie iranienne par des mesures d’une sévérité sans précédent et appuie les rebelles syriens armés dans leur tentative de renverser Bachar al-Assad.

Le président Morsi ne l’entend pas de cette oreille. Bravant le mécontentement des États-Unis et d’Israël, il refuse d’isoler ou de diaboliser l’Iran. Avec sa décision d’assister, les 30 et 31 août, au sommet des pays non-alignés à Téhéran, il est devenu le premier président égyptien à effectuer une visite en Iran depuis le renversement du chah en 1979. La glace avec le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, avait déjà été brisée quelques semaines auparavant, lorsque les deux hommes s’étaient rencontrés au sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), à La Mecque. De l’avis général, l’entretien avait été des plus cordiaux.

Il privilégie la négociation pour résoudre la crise syrienne.

En opposition frontale avec Washington, le président Morsi préfère manifestement résoudre la crise syrienne par la négociation plutôt que par les armes. Il a proposé aux quatre principales puissances musulmanes de la région – Égypte, Arabie saoudite, Iran et Turquie – de constituer un groupe de contact pour superviser un arrangement négocié. En d’autres termes, il demande aux États-Unis et à l’Otan de ne pas se mêler des affaires syriennes et de laisser les puissances régionales s’en charger. L’initiative de Morsi pose en outre un épineux dilemme à la diplomatie turque. La Turquie, membre de l’Otan, doit-elle se ranger du côté américain en canalisant les armes, les fonds et les renseignements vers les rebelles syriens ou serait-elle plus avisée de se joindre à l’effort régional pour mettre fin au conflit par la négociation ?

En passant par Pékin

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Le président Barack Obama a invité Morsi à effectuer une visite à Washington en septembre, sans doute pour lui adresser de diplomatiques admonestations. Mais, dans une nouvelle affirmation d’indépendance, le chef de l’État égyptien a préféré se rendre d’abord à Pékin et à Téhéran, signifiant ainsi qu’il ne tolérera pas d’être sermonné.

Sujet de friction encore plus sérieux, l’annexe militaire du traité égypto-israélien de 1979, que le président Morsi, comme la plupart des Égyptiens, souhaiterait voir révisée. Le 5 août, quand un groupe armé a surgi du Sinaï pour attaquer un poste de l’armée à la frontière entre Gaza et l’Égypte, tuant seize soldats égyptiens et en blessant encore davantage, Morsi a tout de suite lancé à leurs trousses une importante force de fantassins, d’hélicoptères et de tanks. Bien qu’il s’agisse d’un territoire sur lequel l’Égypte est souveraine, elle aurait d’abord dû demander l’accord d’Israël avant d’envoyer ses chars, aux termes de l’annexe militaire du traité. Il semble que Morsi n’en ait pas ressenti le besoin. En décembre 2011, Amr Moussa, ex-ministre égyptien des Affaires étrangères, diplomate chevronné et ancien secrétaire général de la Ligue arabe, alors candidat à la présidentielle égyptienne, a aussi appelé à la révision de l’annexe militaire, affirmant : « Le traité de paix continuera d’exister, mais l’Égypte doit avoir des forces dans le Sinaï. La situation sécuritaire l’impose. Israël doit comprendre que les restrictions imposées par le traité doivent être révisées. » Un point de vue que partage à l’évidence le président Morsi.

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Subsides américains

Ce genre de discours n’est pas du goût d’Israël. Le New York Times du 22 août a rapporté que l’absence de coordination préalable « préoccupe » Tel-Aviv, qui a demandé au Caire de retirer ses chars. Mais l’État hébreu se retrouve à faire le grand écart. Tout en souhaitant que l’Égypte maintienne l’ordre dans les zones de non-droit et les étendues sauvages du Sinaï, il craint que le déploiement de l’armée égyptienne ne menace un jour sa sécurité. Dennis Ross, du Washington Institute (une excroissance de l’Aipac, le puissant lobby israélien), a vertement critiqué Morsi dans le Washington Post du 19 août pour avoir lancé ses chars dans le Sinaï sans en avoir informé Israël. « Si un tel comportement se répète, a-t-il tempêté, le soutien américain, essentiel pour gagner l’aide économique internationale et attirer les investissements, ne sera pas renouvelé. » Désigné comme « l’avocat d’Israël » pour avoir défendu pendant des années les intérêts de l’État hébreu quand il était au gouvernement, Ross pense visiblement qu’il parle encore au nom de l’administration américaine.

Le limogeage de hauts gradés de l’armée alarme Washington.

Autre initiative du président Morsi qui a alarmé Washington et Tel-Aviv, le limogeage soudain d’un groupe de très hauts gradés, ceux-là mêmes avec qui Israël et les États-Unis avaient noué des liens étroits depuis des années. Parmi ces vestiges du régime Moubarak, le maréchal Hussein Tantawi, ministre de la Défense ; le général Sami Anan, chef d’état-major ; les chefs de la marine, de l’armée de l’air et de la défense aérienne ; le chef du renseignement, Mourad Mowafi ; et d’autres commandants. Le président Morsi a nommé le lieutenant général Abdel Fattah al-Sissi ministre de la Défense et le lieutenant général Sedki Sobhi à la tête de l’état-major. Les deux hommes partagent, semble-t-il, le souhait de Morsi de s’émanciper de l’influence excessive des États-Unis et d’Israël.

La priorité immédiate du président et de son équipe est de ranimer l’économie égyptienne, qui se trouve dans une situation désespérée. Il faut nourrir quelque 85 millions d’Égyptiens. La création d’emplois sera cruciale, les services publics doivent être rétablis. Une aide externe massive sera nécessaire. Dans de telles circonstances, le traité de paix israélo-égyptien ne risque pas d’être jeté à la corbeille. Pas un seul Égyptien ne peut imaginer aujourd’hui une guerre avec Israël. Et les militaires ne sacrifieront pas de bonne grâce le 1,3 milliard de dollars de subsides annuels qu’ils reçoivent des États-Unis pour rester en paix avec Israël.

Culpabilité

Le président Morsi va cependant chercher à bâtir de nouvelles relations avec les États-Unis et Israël. Désormais, l’Égypte sera moins tolérante face au traitement scandaleux qu’Israël inflige aux Palestiniens, assiégés et sous occupation permanente. Il a insisté sur la nécessité de résoudre la question palestinienne, trop longtemps négligée. Il sera plus réticent que son prédécesseur à accepter les vociférations guerrières d’Israël contre l’Iran. Dans l’incapacité de défier la suprématie militaire israélienne – financée et garantie par les États-Unis -, il va néanmoins chercher à mettre un terme à l’abus qu’en fait Israël, notamment lors de ses agressions répétées contre ses voisins.

Beaucoup d’Égyptiens ressentent de la culpabilité par rapport au traité de paix de 1979 avec Israël. Ils savent que, en soustrayant l’Égypte de l’équation militaire arabe, ce traité a assuré à Israël plus de trente ans de domination militaire incontestée. Et la liberté de frapper ses voisins à volonté sans risque de représailles. Le Liban, les Palestiniens, l’Irak et la Syrie ont tous fait les frais d’attaques israéliennes. L’ambition évidente du président Morsi est de rétablir un certain équilibre entre les puissances du Moyen-Orient. Il sera intéressant de voir ce que va devenir cette entreprise à haut risque, et comment les États-Unis et Israël choisiront de réagir à la nouvelle assurance affichée par l’Égypte.

Liberté de parole

S’émanciper du tuteur américain et renouer avec son homologue iranien ne revient nullement pour Mohamed Morsi à se ranger derrière la République islamique. L’Égyptien a prudemment minimisé la portée de sa visite par la voix de son porte-parole, qui l’a décrite comme « une escale de quelques heures ». Et, à la surprise générale, il a clamé à la tribune de la conférence des non-alignés : « Aujourd’hui, la révolution en Syrie vise le régime oppressif. » Les délégués syriens ont quitté la salle, et l’hôte iranien, leur allié, a fait grise mine. À la radiotélévision locale, les traducteurs ont remplacé le mot « Syrie » par « Bahreïn », monarchie sunnite où la contestation chiite est soutenue par Téhéran. Outré, Manama a exigé des excuses. Une belle zizanie qui a illustré le retour en force de l’Égypte sur la scène diplomatique arabo-musulmane, d’où la révolution l’avait un temps éclipsée, et la volonté affichée du président Morsi de rééquilibrer les relations extérieures de son pays.

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