Algérie : succession, acte I
Avec la nomination d’Abdelmalek Sellal au poste de Premier ministre en remplacement d’Ahmed Ouyahia, le président Bouteflika prépare 2014 et sa probable sortie.
Sans se départir du mutisme dans lequel il s’est confiné depuis quatre mois – son dernier discours remonte au 8 mai 2012, quand il a annoncé que la mission de sa génération était arrivée à son terme -, le président Abdelaziz Bouteflika a nommé le 3 septembre un nouveau gouvernement, dirigé par Abdelmalek Sellal, 64 ans, un Kabyle de Constantine, énarque, commis de la République et homme de confiance du chef de l’État (il fut son directeur de campagne en 2004 et 2009). Il aura donc fallu attendre plus de cent jours pour évaluer l’impact du scrutin législatif, première consultation électorale post-Printemps arabe, porteur de promesses de changement. À la lumière de la composition de l’exécutif, le verdict est tombé : aucun impact. Ni dans la forme ni dans le fond.
Sur la forme, Bouteflika, maître du jeu politique, est également le maître du temps. Il l’a prouvé dès son retour aux affaires, en 1999, quand il attendit presque neuf mois avant de constituer son gouvernement, maintenant l’exécutif nommé par son prédécesseur, Liamine Zéroual. Rétif à tout ce qui ressemble à une pression, il mettra près de cinq mois pour limoger le ministre de l’Énergie, son ami d’enfance Chakib Khelil, éclaboussé par le scandale financier de Sonatrach, révélé en janvier 2010. Habitué à limoger ses Premiers ministres successifs – hormis Benbitour, qui démissionna – sur un simple coup de fil dont il charge l’un de ses proches collaborateurs (lire p. 44), il n’a pas dérogé à sa règle de conduite. Aucune image du président avec le sortant ou l’entrant. Le chef du gouvernement aurait été informé de la fin de sa mission quelques jours avant la date de la rentrée politique, le 3 septembre.
L’opposition outrée
C’est donc par un communiqué laconique qu’a été annoncé le départ d’Ahmed Ouyahia, chef du Rassemblement national démocratique (RND), la deuxième force politique du pays, fidèle exécutant du programme présidentiel et détenteur du record de longévité au Palais du gouvernement (plus de quatre ans d’affilée et près de dix ans en période cumulée, sous Zéroual et Bouteflika). Sans au revoir ni merci. Ni la moindre critique.
A la lumière de la composition de l’exécutif, les législatives du 10 mai n’auront eu aucun impact.
La composition du gouvernement n’est le produit d’aucune concertation avec la classe politique. Le nombre de personnes au fait des intentions présidentielles se compte sur les doigts d’une main. Pas même les intéressés n’ont été tenus informés. Là non plus, rien de bien nouveau. Bouteflika a habitué le sérail à ce type de fonctionnement. Une prise de décision solitaire, sans associer une classe politique engluée dans des questions existentielles, empêtrée dans des affaires de dissidence interne et ankylosée par le phénomène du tourisme politique. L’opposition est évidemment outrée, à l’image du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). Son porte-parole, Hakim Saheb, juge que les décisions présidentielles sont « arbitraires et se prennent sans transparence ni logique ». Il est vrai que la rationalité politique ne semble pas être un souci pour Bouteflika. La pratique démocratique voudrait que le poste de Premier ministre échoie au dirigeant de la première force politique du pays ou à son représentant. Pas en Algérie, où le Front de libération nationale (FLN, ex-parti unique), qui dispose de la majorité relative depuis les deux dernières législatures, a vu la primature lui échapper au profit, comble de l’humiliation, de ses rivaux du RND. « Le président privilégie l’efficacité à l’arithmétique parlementaire, se défend-on au palais d’El-Mouradia. Quand le secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem, a montré ses limites en tant que chef du gouvernement, le président n’a pas hésité à rappeler aux affaires Ahmed Ouyahia, en 2008, deux ans après l’avoir remercié au nom de cette logique parlementaire qui voulait que le FLN hérite de la fonction. » Si, dans la forme, le changement promis devra donc attendre, le fond semble également prolonger le statu quo.
Savant dosage
Le scrutin du 10 mai a été marqué par le triomphe du FLN et la déroute des islamistes. Silencieux depuis le succès du parti, dont il assure la présidence honorifique, Bouteflika en fait cependant une lecture très particulière. La victoire de Belkhadem a ainsi valu à celui-ci de perdre son statut de ministre d’État, représentant personnel du président de la République. Pis : deux autres barons du FLN, fidèle à la ligne Belkhadem, à savoir Djamel Ould Abbes (Santé et Réforme hospitalière) et Saïd Barkat (Solidarité nationale) sont remerciés, alors que les adversaires de Belkhadem, Amar Tou et Tayeb Belaïz (animateurs de la dissidence au sein du FLN), sont rappelés au gouvernement, dont ils avaient été limogés pour avoir brigué, avec succès, la députation (la règle du non-cumul est consacrée par la Constitution).
Présentée comme une réforme phare, l’inscription dans la loi fondamentale de la représentation de la femme au sein des institutions de la République a eu pour effet l’arrivée massive de députées à l’Assemblée populaire nationale (APN). Mais cela ne concerne vraisemblablement pas l’exécutif : le nouveau gouvernement ne compte que 3 femmes (2 ministres et 1 secrétaire d’État) sur 37 membres. Autant que dans l’équipe sortante. Quant au rajeunissement, lui aussi attendra ; les ministères régaliens sont détenus par des septuagénaires, tous reconduits : Dahou Ould Kablia (79 ans) à l’Intérieur, Mourad Medelci (70 ans) aux Affaires étrangères et Abdelmalek Guenaïzia (75 ans) à la Défense en qualité de ministre délégué, le titulaire du poste étant Bouteflika (75 ans).
Un retour et une surprise
L’ouverture politique attendue a pris la forme d’un retour et d’une surprise. Le premier est incarné par l’arrivée d’Amara Benyounès au ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et de la Ville. Dissident du RCD et patron d’un nouveau parti, le Mouvement populaire algérien (MPA, se réclamant de la démocratie laïque), qui ne dispose que de 7 sièges sur 462 à l’APN, Benyounès, membre des staffs électoraux successifs de Bouteflika, se voit récompensé pour sa fidélité. La surprise est la nomination de Mohamed Saïd, ancien journaliste proche du courant islamiste et rival malheureux de Bouteflika lors de la présidentielle d’avril 2009, où il a obtenu moins de 3 % des suffrages. À la faveur des réformes politiques lancées en avril 2011, Saïd a créé sa propre formation : le Parti de la liberté et de la justice (PLJ). Si son échec est cuisant (2 députés sur 462), cela n’a pas empêché que Bouteflika lui confie le portefeuille de la Communication, à la veille de l’adoption d’une nouvelle loi sur l’audiovisuel devant consacrer l’ouverture d’un secteur sous le monopole de l’État depuis l’indépendance.
Abdelaziz Bouteflika, AFP
Opacité
Le retrait des Frères musulmans (Mouvement de la société pour la paix, MSP, de Bouguerra Soltani) de l’Alliance présidentielle a également été géré « à la Boutef », selon la formule d’un ministre sortant. Étoile montante des Frères, en rupture de ban avec le MSP, Amar Ghoul retrouve son maroquin des Travaux publics, qui lui vaut le surnom de « Monsieur Autoroute ». Sur les trois « vrais » ministres MSP du gouvernement sortant, deux ont été remerciés. Seul a été conservé Mustapha Benbada (Commerce), qui affirme qu’il a été maintenu intuitu personæ, assurant que son parti l’a autorisé à rester dans l’exécutif. « La reconduction de notre membre du Madjlis el-Choura [comité central, NDLR] n’induit pas forcément un quelconque soutien au gouvernement d’Abdelmalek Sellal », déclare Bouguerra Soltani. Mais ce vrai-faux retrait des Frères musulmans n’est pas pour dissiper l’opacité qui caractérise la vie publique aux yeux des Algériens, éreintés par un été au cours duquel la valse-hésitation du pouvoir était le cadet de leurs soucis tant les épreuves furent nombreuses : canicule aggravée par des coupures d’électricité, violentes émeutes, érosion du pouvoir d’achat due à une inflation sans précédent, incertitude autour d’une rentrée que menace un front social fiévreux, conséquences de l’éradication du marché informel…
Quelques heures après sa nomination, Abdelmalek Sellal a affirmé que son équipe inscrit son action dans la continuité du gouvernement sortant : mettre en oeuvre le programme présidentiel. Donc pas de changement. Considéré comme un technocrate à la tête d’un exécutif composé majoritairement de commis de l’État dont la seule légitimité est une longue carrière dans l’administration et les institutions de la République, Sellal se retrouve avec une feuille de route éminemment politique : organisation des élections locales du 29 novembre, rédaction d’un projet de nouvelle Constitution et, surtout, préparation de l’élection présidentielle de 2014, d’autant que Bouteflika a laissé entendre qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat. Énarchie ou technocratie, la chose n’a que peu d’importance. En Algérie, l’important est une affaire exclusivement présidentielle. À pas comptés…
Les vrais hommes du président
« Ceux qui le voient n’en parlent pas et ceux qui en parlent ne le voient pas. » Cette boutade, devenue familière quand l’opinion évoque son président, illustre à quel point Abdelaziz Bouteflika est devenu un mythe… vivant. Un chef d’État omnipotent que les fréquentes absences et le mutisme ont confiné dans un monde virtuel. « Et pourtant, elle tourne », s’étonnent chancelleries et observateurs de la chose algérienne. Car la rareté des sorties publiques du chef de l’État n’empêche pas un volume de travail important. « Des journées de quatorze heures de boulot », assure l’un de ses sherpas.
Trois hommes sont au coeur du dispositif présidentiel : Mohamed Rougab, secrétaire particulier, chargé de transmettre les instructions présidentielles aux chefs des institutions et aux membres du gouvernement ; Mokhtar Reguieg, ancien ambassadeur, directeur général du protocole à El-Mouradia, incontournable dans l’organisation de l’agenda présidentiel ; et enfin Logbi Habba, secrétaire général d’El-Mouradia, chargé de la coordination du travail de la vingtaine de sherpas qui préparent et synthétisent les dossiers pour le maalem (le patron). Mais les deux hommes qui sont en contact permanent avec le président et à qui l’on prête une influence considérable sont ses deux frères, Saïd et Nasser, conseillers spéciaux à El-Mouradia. Choisi pour ses qualités en matière d’organisation et de management des équipes de la présidence, Moulay Guendil, directeur de cabinet, arrive derrière ce « club des cinq ».
L’écrasante majorité des membres du gouvernement n’a de contact avec son président qu’en Conseil des ministres. Ces derniers étant de plus en plus espacés, un ministre de la République peut rester des mois sans voir Bouteflika. Quant aux ambassadeurs en poste à l’étranger, ils ne sont qu’une petite poignée à pouvoir prétendre avoir un contact téléphonique régulier avec le président, qui a fait de l’action diplomatique un domaine réservé. CH.O.
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