Angola : dos Santos, entre silences et résilience

Il a passé trente-trois ans à la tête de son pays, l’Angola, mais de José Eduardo dos Santos on ne sait rien ou presque. Les législatives du 31 août lui ont permis d’être reconduit pour cinq ans à la présidence. Portrait d’un homme secret mais habile, passé maître dans l’art de la manipulation.

José Eduardo dos Santos et sa son épouse Ana Paula. © AFP

José Eduardo dos Santos et sa son épouse Ana Paula. © AFP

ANNE-KAPPES-GRANGE_2024

Publié le 19 septembre 2012 Lecture : 7 minutes.

Sur les photos, le sourire est léger. Imperceptible presque, façon Monna Lisa. Il relève la commissure des lèvres, adoucit le visage, et confère à José Eduardo dos Santos, 70 ans, l’image d’un homme placide et sans doute bienveillant. L’illusion est parfaite. À le voir ainsi, au côté de sa jeune et jolie épouse, Ana Paula, on en oublierait presque qu’il a été reconduit pour cinq ans à la présidence de la République le 31 août dernier, qu’il a déjà passé trente-trois ans à la tête de l’Angola, et que Teodoro Obiang Nguema, en Guinée équatoriale, ne le devance que d’un petit mois au palmarès continental de la longévité au pouvoir. Décidera-t-il un jour de quitter la présidence ? Peut-être, mais peut-être pas, concèdent les connaisseurs, tant il est vrai que « Zédu » est passé maître dans l’art de faire croire tout et son contraire.

En 1979, quand il est propulsé à la tête du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA) et de l’État, dos Santos n’est personne. Le pays est indépendant depuis quatre ans et les Angolais ne connaissent pas cet homme introverti, dont les caciques du parti ont décidé de faire leur chef à la mort du président Agostinho Neto, pensant – de toute évidence à tort – pouvoir le manipuler.

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La guitare à la main

Que sait-on du jeune dos Santos ? Pas grand-chose, sinon qu’il est né d’un père maçon et d’une mère employée de maison au début des années 1940 et qu’il a grandi dans le bairro (quartier) de Sambizanga, berceau de la lutte contre l’occupant portugais à Luanda. Une guitare à la main, le jeune dos Santos pousse la chansonnette en faveur du MPLA, puis rejoint les maquisards dans le Cabinda. Le parti n’y dispose pas de base arrière significative, mais cette province se situe à proximité du Congo-Brazzaville, qui apporte son soutien à la « cause ». Dos Santos y est chargé du recrutement de ceux que l’on appelle à l’époque « les pionniers », ces jeunes militants désireux de s’engager que l’on appellerait aujourd’hui… enfants-soldats. Se montre-t-il particulièrement efficace ? Peut-être, mais encore une fois peut-être pas. L’histoire ne le dit pas. Toujours est-il que le MPLA décide de l’envoyer étudier à Bakou, en URSS. Sept années fondatrices au cours desquelles il décroche un diplôme d’ingénieur spécialisé dans les hydrocarbures et les télécommunications, fréquente la nomenklatura soviétique et épouse une Russe qui lui donnera sa première fille, Isabel.

Toujours là, mais jamais directement élu

José Eduardo dos Santos a réussi à se maintenir au pouvoir sans jamais avoir été élu au suffrage universel direct. Le 31 août, c’est un scrutin législatif qui était organisé : la liste emmenée par le chef de l’État l’a emporté avec près de 72 % des suffrages, et dos Santos a été automatiquement reconduit à la tête du pays, ainsi que le prévoit la Constitution. Il aura axé sa campagne sur la reconstruction de l’Angola, pour laquelle 150 milliards de dollars ont été dépensés en dix ans : des routes, des écoles, des gratte-ciel sont sortis de terre… Cela a-t-il suffi à réduire les très fortes inégalités de la société angolaise ? Non. En 2011, l’Angola se situait toujours au 148e rang (sur 187) de l’indice de développement humain de l’ONU. AKG

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À son retour en Afrique, il parvient à se rendre indispensable auprès de Neto, jusqu’à lui succéder en 1979. Il n’a que 37 ans. Depuis, les années ont passé, mais elles ne l’ont pas changé. Dos Santos n’aime toujours pas les effets de manches ni les déclarations enflammées. Rien à voir avec le charismatique et brutal Jonas Savimbi, le chef de l’Unita qu’il a combattu jusqu’à sa mort en 2002. Les interviews de dos Santos se comptent sur les doigts d’une main, et avant le début de la campagne ses déplacements en province étaient rares… Dos Santos n’est ni vraiment populaire ni vraiment populiste. De son bureau du centre-ville, ses concitoyens ne connaissent d’ailleurs rien – à peine les murs vieux rose de l’enceinte présidentielle.

Est-ce nécessairement une mauvaise chose ? Pas sûr. Cette discrétion lui a permis de se faire oublier : dos Santos est au pouvoir depuis plus longtemps que Mugabe ; il est le chef des armées, du gouvernement, de la police ; il nomme les juges ; son régime est accusé de corruption (Transparency International classait le pays 168e sur 182 en 2011) et fait peu de cas des droits de l’homme… Mais le président n’est que rarement montré du doigt par la communauté internationale. Bien moins souvent en tout cas que son homologue zimbabwéen ou que son aîné équato-guinéen. « Tout le monde crie quand un président change la Constitution pour obtenir un troisième mandat, s’est indigné le journaliste et activiste angolais Rafael Marques dans la presse anglo-saxonne. Mais lui est au pouvoir depuis trente-trois ans et personne ne dit rien ! »

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Habile

C’est sans doute là l’une des clés de sa longévité. Marxiste mais pragmatique, le chef de l’État angolais a patiemment courtisé les États-Unis, la Chine et le Brésil. Il a su faire de son pays, fort de ses presque 2 millions de barils par jour, un partenaire incontournable. Habile, il n’a jamais cessé d’approvisionner Washington en brut, pas même quand, en 1986, Savimbi était reçu à bras ouverts par le président Reagan.

À Luanda, il est une anecdote que l’on aime à se raconter en illustration de la résilience du vieux chef. C’était au tout début des années 1990, à l’époque où Johnny Eduardo Pinnock venait d’être nommé ministre des Affaires étrangères. Il s’était plaint un jour d’être sans cesse critiqué. Dos Santos avait répondu qu’il l’était lui aussi, mais qu’il n’avait pour autant jamais donné sa démission.

Et le voici, des années plus tard, toujours accroché à son fauteuil. Des sources bien informées le disent souffrant et soulignent ses fréquents allers-retours au Brésil, où il recevrait des soins. Mais sur ce sujet, la présidence ne dit mot. En 1996, ne fut-il pas donné pour mort pendant cinq jours avant que le pouvoir ne consente à démentir ?

Dos Santos, comme beaucoup d’autocrates, a l’obsession de sa propre sécurité. « Quand il se déplace dans la capitale, raconte un journaliste lusophone, les rues sont bloquées pendant des heures. Il a été très marqué par la tentative de putsch contre Neto en 1977. Depuis, il a peur de ce qui pourrait arriver. C’est aussi pour cela qu’il n’aime pas s’éloigner de Luanda et préfère se faire représenter aux sommets régionaux. » Mais d’où viendrait le danger ? « Pas de l’armée, dont il maîtrise tous les rouages, et il n’a pas de raison de douter de la loyauté du chef de la Maison militaire, le général Manuel Hélder Vieira Dias Júnior, dit Kopelipa. En revanche, il se méfie de sa propre famille politique : il contrôle le parti, mais on ne sait jamais. »

Depuis des années, le chef de l’État s’applique à débusquer les ambitieux. En 2002, il feint de vouloir quitter le pouvoir et écarte plusieurs prétendants imprudents. Trois ans plus tard, il réitère la manoeuvre avec l’un de ses plus proches collaborateurs, le général Miala, chef des services des renseignements, à ses côtés depuis 1979. Dos Santos lui laisse d’abord entendre qu’il pourrait lui succéder, observe Miala tandis qu’il fait part à certains de ses ambitions, puis le limoge et le traîne devant un tribunal militaire.

Sa fille bien aimée

Est-il aussi en train de tester Manuel Vicente, l’ex-patron de la compagnie Sonangol, devenu ministre d’État en début d’année et propulsé en deuxième position sur la liste du MPLA pour les législatives (voir J.A. no 2694) ? Les spécialistes hésitent, croient savoir que dos Santos songerait à passer la main, mais font remarquer que, avant Vicente, Fernando da Piedade Dias dos Santos, dit Nando, avait été pressenti… jusqu’à ce que le président prenne ombrage de la popularité de son Premier ministre et supprime son poste. Le 31 août, Nando ne figurait plus qu’en 15e position sur la liste du MPLA.

Quoi qu’il en soit, dos Santos ne s’effacera que quand il aura la certitude qu’il ne pourra rien lui arriver, ni à lui ni à ses proches (et surtout pas à Isabel, sa fille bien aimée) qui, placés à des postes clés à la tête des grandes entreprises et des principales banques du pays, se sont considérablement enrichis.

Aujourd’hui, dos Santos a cessé de composer des chants révolutionnaires, mais il aime toujours autant la musique. On le dit proche de Tabu Ley Rochereau, monument de la rumba congolaise. Fin juillet, en pleine campagne électorale, on l’a aperçu écoutant Manu Dibango au Festival international de jazz de Luanda. Et puis il y a son autre grande passion : le football. L’histoire officielle veut qu’il ait commencé tout petit à taper dans le ballon. Qu’avant le coup d’envoi de la Coupe d’Afrique des nations 2006 il se soit entraîné pendant une demi-heure avec les Palancas Negras de l’équipe nationale. Il est aussi un grand fan du FC Porto. À tel point qu’à l’occasion de la visite du Premier ministre portugais José Manuel Barroso, au début des années 2000, il avait écourté le dîner officiel auquel il l’avait convié pour aller suivre un match de son club fétiche. Les deux hommes se connaissaient pourtant bien, Barroso ayant longtemps joué les médiateurs entre le MPLA et l’Unita.

L’a-t-il fait avec un sourire au coin des lèvres ? C’est probable. Celui de Monna Lisa, écrivait Lawrence Durrell dans Le Quatuor d’Alexandrie, est celui d’« une femme qui vient d’empoisonner son mari ». Le sourire de dos Santos, ajouteront ses détracteurs, est celui d’un homme qui, après avoir autorisé le multipartisme, a étouffé la démocratie.

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