Dans le conflit Rwanda-RDC, l’histoire bégaie-t-elle ?

Le bras de fer entre Paul Kagame et Félix Tshisekedi, ainsi que l’arrivée de la coalition militaire internationale dans l’est de la RDC, évoquent un sombre pan de la relation entre les deux pays.

Des milliers de réfugiés rwandais quittent les camps zaïrois pour rejoindre leur pays, le 15 novembre 1996. © Thomas Coex/AFP

YANN-GWET_2024

Publié le 8 janvier 2023 Lecture : 6 minutes.

Issu du dossier

L’Afrique en 2023

Élections, transitions, chantiers économiques, enjeux sociétaux… Toutes les clés pour comprendre les défis qui attendent le continent.

Sommaire

Le 4 juillet 1994, les forces militaires du Front patriotique rwandais (FPR), dirigées par Paul Kagame, s’emparent de Kigali. L’armée rwandaise, qui vient de commettre un génocide, est vaincue. Le gouvernement qui a organisé et supervisé l’exécution des massacres est en déroute. Paniquée, la population rwandaise, au sein de laquelle se trouvent les fameuses milices « Interahamwe », se jette sur le chemin de l’exil, fortement encouragée par les autorités politiques et militaires déchues.

Tout ce beau monde s’établit dans la ville de Goma, frontalière du Rwanda, dans de gigantesques camps apprêtés par les Nations unies. Nourries, logées, blanchies par la communauté internationale, les forces génocidaires se serviront de leur base de Goma pour continuer à semer la mort sur le territoire rwandais. Lasse de l’indifférence de la communauté des nations, l’armée du FPR franchit la frontière zaïroise en 1996 pour éradiquer les forces génocidaires, réunies plus tard sous la bannière des « FDLR ». Ce fut le début de la première guerre du Congo.

la suite après cette publicité

La valeur de la paix

Vingt-quatre ans après son terme, le spectre de cette guerre continue de hanter les relations entre la RDC et le Rwanda. Des rapports d’organisations internationales de défense des droits de l’homme font état d’une alliance entre l’armée congolaise (FARDC) et les FDLR dans le cadre des opérations des FARDC contre les rebelles du M23 (eux-mêmes accusés d’être soutenus par Kigali).  En novembre, de retour d’une mission en RDC, Alice Nderitu, conseillère spéciale du secrétaire général de l’ONU pour la prévention du génocide, dénonçait les massacres commis contre les Banyamulenge du Congo (Congolais tutsi installés au Congo durant la période précoloniale), accusés de complicité avec le pouvoir honni de Kigali par « des groupes armés tels que les FDLR, qui sont toujours actifs au Rwanda ». L’année 2022 a bel et bien des relents de 1996.

Nous ne voulons pas la guerre, nous la connaissons

C’est dans ce contexte que, le 30 novembre dernier, prenant la parole lors de la cérémonie de prestation de serment de nouveaux membres du gouvernement, Paul Kagame consacra l’essentiel d’une allocution dense à la crise qui oppose son pays au grand voisin de l’Ouest. Sans surprise, les médias n’en retinrent qu’une petite réflexion, provocatrice mais accessoire, à la possible instrumentalisation, par le pouvoir congolais, de la question rwandaise en vue de la prochaine présidentielle en RDC.

Ils en ignorèrent les deux couplets essentiels : le premier sur la valeur de la paix (« la paix à l’Est du Congo signifie la paix pour nous », « nous ne voulons pas la guerre, nous la connaissons », etc.) ; le second sur la persistance de la menace existentielle que représenteraient toujours les FDLR, et l’hypothèque que ce groupe ferait peser sur l’idéal de paix entre les deux voisins. En fin de compte, le message était clair : si les circonstances l’exigent, comme cela a été le cas il y a vingt-six ans, alors le président rwandais n’hésitera pas à recourir à la guerre pour imposer la paix. Le point de non-retour semblait étrangement proche.

A-t-il été franchi, quelques jours plus tard, par le président Tshisekedi, qui, s’exprimant devant un parterre de jeunes leaders de la société civile locale, indiqua : « C’est le régime rwandais, avec à sa tête Paul Kagame, qui est l’ennemi du Congo » ? Et rajoutant plus loin que les Rwandais devaient être regardés non comme des ennemis, mais comme des « frères qui ont besoin de [la] solidarité des Congolais pour débarrasser [le Rwanda] et débarrasser l’Afrique de ce genre de dirigeants rétrogrades ».

la suite après cette publicité

Comme en 1998…

La guerre de 1996 aboutit au renversement de l’ex-président du Zaïre, Mobutu Sese Seko, et à l’installation de Laurent-Désiré Kabila, allié du Rwanda dans la guerre contre les génocidaires rwandais et leurs alliés institutionnels, au pouvoir. Mais la lune de miel entre Kabila père et ses parrains rwandais fut de courte durée. Kabila entendait se débarrasser de la tutelle jugée encombrante de ceux-ci, lesquels ne l’entendaient pas de cette oreille.

Dépourvu des capacités militaires pour imposer sa volonté, le successeur de Mobutu mit sur pied une vaste coalition militaire comprenant des pays aussi divers que l’Angola ou le Zimbabwe, mais aussi des milices armées, parmi lesquelles les fameux FDLR rwandais. La deuxième guerre du Congo débuta en 1998 et fut une orgie de violence impliquant au moins 9 pays africains, dont le Rwanda et l’Ouganda, et plusieurs dizaines de groupes armés, se livrant tous à un pillage en règle des ressources du Congo.

la suite après cette publicité

Ceux qui ont suivi les débuts de la relation entre les présidents Tshisekedi et Kagame se rappellent la proximité qu’ils affichaient, sur fond d’accords de coopération dans de multiples domaines. Comme en 1998 cependant, la lune de miel fut de courte durée. Comme en 1998 aussi, côté congolais, la rupture avec le Rwanda semble avoir pris la forme d’une sorte d’alliance avec ce qu’il reste des FDLR contre le Rwanda. Comme en 1998 enfin, une coalition de pays est engagée militairement sur le sol congolais.

Une différence notable cependant : elle émane d’une initiative de la Communauté des États de l’Afrique de l’Est, pour « imposer la paix », selon les mots du président kényan, William Ruto, dont le pays est le plus important contributeur en hommes de cette force régionale dont est exclu le Rwanda. Le Kenya, qui s’est imposé ces dernières années comme un acteur économique majeur de premier plan en RDC. Intérêts économiques, enjeux sécuritaires et géopolitiques. Une impression de déjà-vu.

Plus de 130 milices répertoriées

Le fait est que pas grand-monde ne croit véritablement dans les chances de succès de cette nouvelle force d’interposition. Traitement conventionnel appliqué à un mal exceptionnel à tous égards. Paul Kagame rappelle régulièrement, et à juste titre, la faillite de la Monusco. Cette force de maintien sous l’égide de l’ONU est en effet présente sur le territoire congolais depuis vingt-et-un ans, sans que l’activité dévastatrice des plus de 130 milices répertoriées dans la seule région de l’Est du Congo ne s’en trouve fondamentalement contrariée.

La formule du président Ruto, « imposer la paix », est elle-même révélatrice du doute qui semble habiter le dirigeant kenyan. Celui-ci a certes eu beau jeu de noter qu’il y a « beaucoup de troupes de maintien de la paix [de l’ONU] » dans cette région, mais « nous pensons qu’il n’y a pas beaucoup de paix à maintenir ». Si la paix n’existe pas, il y a lieu non pas de la maintenir, mais de l’imposer.

Mais la logique « d’imposition » de la paix, n’est pas sans susciter des questions : « imposer » la paix suppose une action offensive, avec les risques militaires et politiques d’une telle approche. Les chefs d’État des pays de l’Afrique de l’Est sont-ils prêts à payer le prix d’une telle option ? Pour quelle contrepartie ? En outre, « imposer » la paix à qui, exactement ? « À ceux qui veulent à tout prix créer de l’instabilité et de l’insécurité », a indiqué le président Ruto. Les 900 hommes qui composent le contingent de la force régionale est-africaine en RDC mèneront-ils la guerre aux plus de 130 groupes armés disséminés à l’Est du Congo et à leurs multiples soutiens ? Poser la question, c’est y répondre.

Enfin, et peut-être plus inquiétant, la logique martiale qui sous-tend cette idée « d’imposition de la paix » suggère que le problème de l’Est du Congo est de nature sécuritaire. Or, tout laisse à penser qu’il est essentiellement politique. Mais les acteurs politiques locaux, tout comme leurs partenaires régionaux et internationaux, semblent s’accorder sur l’idée de traiter les symptômes plutôt que la cause du mal. Chacun doit y trouver son compte. Là aussi, d’une certaine façon, l’histoire bégaie…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Dans le même dossier

Face aux insurrections, le Sahel à un tournant