Il n’y a pas de révolution sans iconoclaste

Omar Saghi est politologue et écrivain

Publié le 7 septembre 2012 Lecture : 3 minutes.

Après le Mali, c’est donc au tour de la Libye de subir des assauts iconoclastes visant des tombeaux que la ferveur populaire entoure d’une aura mal venue aux yeux orthodoxes. La multiplication de tels actes ainsi que les appels pressants à d’autres destructions indiquent assez que le phénomène fait désormais système, et que les errements d’Ansar Eddine au Mali ne sont pas des exceptions.

La dimension religieuse est centrale, bien sûr. Au Maghreb et en Afrique occidentale, les réformateurs religieux, souvent – mais pas toujours – opposés à la présence coloniale française, firent de la lutte contre le culte des saints un préalable à toute renaissance culturelle et sociale. Abou Chouaïb Doukkali au Maroc, Ben Badis en Algérie, d’autres encore rompirent des lances contre les confréries, leurs pratiques et leurs accointances supposées avec l’impérialisme. Le tombeau, la bibliothèque sacrée, tel autre lieu consacré n’étaient pas, à leurs yeux, un patrimoine culturel, une mémoire historique cristallisée dans la pierre, mais le symbole d’un délitement social à combattre.

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À la même époque, lors des années 1920, les Saouds, en arrachant aux Hachémites La Mecque et Médine, s’acharnèrent à détruire tout ce qui n’était pas explicitement voué au culte orthodoxe. Tombeaux, maisons des compagnons du Prophète, ex-voto de pèlerins et donations fastueuses furent détruits, et seule une ultime superstition arrêta le bras qui voulut réduire le tombeau du Prophète lui-même.

Cette passion iconoclaste n’est pas propre au sunnisme. L’iconoclastie orthodoxe et le protestantisme l’illustrèrent dans le cadre chrétien. Elle puise dans deux pulsions : une répugnance à mélanger au monothéisme savant des pratiques coutumières toujours soupçonnées de relents païens et superstitieux, et la volonté de revenir à la Lettre épurée de la foi, contre les intercessions des saints et les fioritures esthétiques qui s’interposent entre le croyant et son dieu.

Mais s’arrêter à cette explication théologique risque de laisser incompréhensibles les appels à la destruction qui se multiplient, aussi bien aux extrêmes du monde musulman – au Mali, en Afghanistan – qu’en son coeur historique – l’Égypte, l’Arabie saoudite…

Les révolutions n’aiment que les pages blanches. Le terme « vandalisme » associé à la destruction des monuments et oeuvres d’art date de la Révolution française. En s’attaquant aux atours du régime honni, ses palais et ses marbres, les révolutionnaires signifiaient leur désir d’un recommencement total. À côté des motivations théologiques indéniables, il y a aussi, sourd et mal exprimé, un tel souhait de violence culturelle chez les mouvements salafistes. Le pillage du musée de Bagdad en 2003 comme le saccage de plusieurs monuments par de jeunes Tunisiens en 2011 entretiennent avec les destructions des tombeaux au Mali et en Libye un rapport ambigu : les deux vandalismes, l’un spontané et émeutier, l’autre organisé et théologique, disent un même rejet de régimes qui privilégièrent l’administration des choses – les monuments, les musées, la « touristisation » du patrimoine – au gouvernement des hommes – la santé, l’éducation, la participation politique.

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Car l’intérêt que l’opinion internationale porte au patrimoine mondial – tout récent, il date des années 1970 – s’enracine dans un terreau politique occidental qui satisfit d’abord les besoins économiques les plus primordiaux, et apporta des droits et des libertés, avant de s’atteler à la préservation du patrimoine.

En inversant les priorités, en plaçant plusieurs villes et lieux patrimoniaux sous l’égide de la communauté internationale, alors même que les populations croupissent dans la misère ou subissent la férule de régimes atroces, la diplomatie culturelle contemporaine conduit à de telles impasses.

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Les salafistes posent les bonnes questions, mais y répondent vite et mal : dans un monde multipolaire, parmi des civilisations qui renaissent et réinterrogent leur histoire, les futurs partenaires internationaux sont appelés à un dialogue global, qui n’embrasse pas seulement d’étroites considérations muséologiques, mais le bien-être économique et politique des populations également. 

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