RDC : Gracias 99 % finnois
Débarqué de RDC avec ses parents à l’âge de 4 ans, ce chanteur sensible est aujourd’hui l’étoile montante du hip-hop finlandais.
«Je n’ai jamais aimé le sauna, ce n’est pas mon truc. » En Finlande, où le bain de chaleur sèche assorti de courtes baignades dans l’eau glacée (ou de roulades dans la neige…) est une institution, une telle déclaration relève forcément de la provocation. Mais inutile d’y chercher une marque de fabrique : Gracias est tout sauf un rappeur rentre-dedans. Visage et attitude d’adolescent, discours simple bien éloigné de tout formatage médiatique, naïveté touchante, le jeune chanteur d’origine congolaise ne cherche pas à en imposer par l’agressivité ou la révolte. D’ailleurs, contre quoi pourrait-il bien se révolter dans cette démocratie scandinave où ses parents ont élu domicile au début des années 1990 ? « Quand on regarde ailleurs, même en Europe, on se dit qu’en Finlande on a de la chance car tout va bien », reconnaît-il.
En tout cas, pour lui, tout va bien, c’est sûr. Pour la soirée de lancement de son nouvel album, Globe, tout juste arrivé dans les bacs, il a chanté au Tavastia Club, une salle de concert rendue célèbre par les nombreuses stars de la musique qu’elle a accueillies, comme Tom Waits ou John Lee Hooker. « La musique a toujours été là, confie Deogracias Masomi, 25 ans. Vers l’âge de 14 ou 15 ans, quand j’ai commencé à écrire, j’ai tout de suite pensé que je pouvais faire ça professionnellement. » Le choix de la langue ? À la maison, on parle le lingala, le français et le finnois. Arrivé à 4 ans dans le pays – ses parents sont des réfugiés ayant fui l’instabilité politique de ce qui s’appelait alors le Zaïre -, Gracias n’a eu aucun mal à s’approprier la langue finnoise, pourtant complexe, si bien qu’il a très vite suivi les cours avec les petits Finlandais alors qu’il existe des classes spécialisées pour les enfants d’immigrés. Mais quand il s’agit de rapper… « J’ai tout de suite écrit en anglais, c’était un choix naturel car j’écoutais beaucoup de rap américain, comme mes copains dans le quartier, dit-il. Mais en Finlande, il est plus facile de rapper en finnois qu’en anglais. Alors je vais peut-être m’y mettre. »
De l’Afrique, il garde quelques souvenirs confus. « Je me souviens des pillages… Il n’y avait pas beaucoup d’enfants dans mon quartier, mais je ne me sentais pas vraiment menacé car ma famille m’entourait beaucoup. » Quant à savoir pourquoi son père et sa mère ont choisi un pays comme la Finlande, le mystère demeurera entier : « On est arrivé ici pendant l’hiver 1992. Je ne sais pas pourquoi ils ont choisi ce pays. Cela aurait été plus facile pour eux en France ou en Belgique. Le soudain changement de climat a été brutal : c’était la première fois que je voyais la neige. » Même s’il confie ne pas oublier ses origines et avoir été « élevé à la manière congolaise », Gracias ne se fait guère d’illusion sur ses liens avec la République démocratique du Congo. Son frère et sa soeur, nés ici, sont à 100 % finlandais. Lui, c’est à 99 % – le 1 % restant représentant sans doute sa réticence face au sauna.
En 2007, Deogracias Masomi se trouve un pseudo, Luminate, et produit lui-même son premier CD, Listening Comprehension, qui rencontre un succès phénoménal auprès… du cercle restreint de ses amis. Baccalauréat au lycée franco-finlandais, service militaire, Deogracias suit un très sage cursus tout en travaillant à son projet. Qui aboutit sur YouTube, époque oblige. « J’ai sorti un clip vidéo, HKI, sur internet, raconte-t-il. Ça a vraiment marché, c’est devenu mon hit. C’est alors que j’ai été contacté et que j’ai pu sortir, avec quatre copains finlandais, l’album EP. » Cette fois, à l’échelle de la Finlande – 5 millions d’accros au sauna -, le succès est au rendez-vous : 1 000 copies sont vendues le premier mois. Maman Masomi découvre enfin ce qui fait bouger son fils : « Ma mère ne comprenait pas au début, elle pensait que c’était un passe-temps, mais quand elle m’a vu à la télévision, dans les magazines, elle a saisi que je m’y consacrais à fond. » HKI, son tube, est un hommage à Helsinki, la ville qui a accueilli sa famille en exil. Il l’aime, bien sûr, mais « J’ai rencontré cette fille à l’âge de quatre ans / Ce que j’ai le plus détesté, c’est sa froideur / Helsinki je le jure sur mon esprit et mon sang / Je peux sentir la ville respirer ». Depuis un an, Gracias se consacre entièrement à la musique et parvient à en vivre. « Les gens me passionnent, je découvre tout le temps des personnes extrêmement douées et c’est ce qui me donne envie de me donner à fond et de continuer mon chemin dans la musique », dit-il. En revanche, il n’est pour l’instant pas question de se lancer dans un rap plus engagé. « J’ai décidé de ne pas aborder la politique, affirme Gracias. Même si cela m’intéresse, je ne me sens pas encore au niveau pour aborder des sujets aussi importants. Je préfère me concentrer sur ma musique. » Allez, Gracias, un petit effort, ce n’est pas si redoutable que ça, le sauna, on ne risque pas de se brûler !
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Algérie : Lotfi Double Kanon provoque à nouveau les autorités avec son clip « Ammi...
- Stevie Wonder, Idris Elba, Ludacris… Quand les stars retournent à leurs racines af...
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- En RDC, les lampions du festival Amani éteints avant d’être allumés
- Bantous : la quête des origines