Tchad : Hissène Habré, un « Sénégalais » pas comme les autres
Installé à Dakar depuis 1990, le Tchadien Hissène Habré s’est parfaitement intégré et peut compter sur de nombreux soutiens.
Et s’il fuyait ? S’il décidait une fois de plus de changer le cours de son propre destin ? Après tout, maintenant que son procès semble inéluctable, pourquoi Hissène Habré ne prendrait-il pas la poudre d’escampette ? Le 22 août, le gouvernement sénégalais et l’Union africaine ont signé un accord donnant naissance à quatre « chambres africaines extraordinaires » qui auront pour mission d’instruire (dès la fin de cette année) et de juger (peut-être en 2014, plus sûrement en 2015) « les crimes internationaux commis au Tchad durant la période du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990 », lorsque Habré dirigeait le pays. Les autorités sénégalaises ont beau clamer que « les droits de la défense seront respectés », rares sont ceux qui croient à un scénario autre qu’une condamnation.
Dans le passé, Habré a échappé aux hommes du colonel Kadhafi, à ceux de son ennemi juré, Goukouni Oueddeï, et à Idriss Déby Itno, son ancien lieutenant devenu son tombeur. Il ne doit donc pas lui être impossible de tromper la vigilance du Sénégal de Macky Sall, même si la ministre de la Justice, Aminata Touré, affirme que « des dispositions ont été prises pour qu’il ne quitte pas le pays »…
Riche, il a la réputation d’accorder des largesses sans trop de difficultés.
« Il ne fuira pas », assure pourtant un intime de l’ancien chef de l’État tchadien accusé de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de torture (le seul qui ait accepté de parler à Jeune Afrique, un organe de presse honni par le clan Habré). Et ce pour deux raisons. La première est matérielle : à en croire ce proche de Habré, « il ne dispose pas d’un passeport ». Pourtant, selon des sources concordantes, ses deux femmes, ses enfants et ses petits-enfants possèdent un passeport diplomatique de l’État du Sénégal. Un passe-droit accordé en raison du statut de réfugié politique que Habré avait obtenu du temps d’Abdou Diouf. La seconde est affective : « Il a fait sa vie ici. Il a eu des enfants, des petits-enfants. Où irait-il ? » À Dakar, voilà bien longtemps que Habré est considéré comme un Sénégalais. « Le pays l’a adopté, et il a adopté le pays », glisse un proche d’Abdoulaye Wade. Selon lui, l’ancien président aurait bien aimé que celui qu’il considère comme un tortionnaire aille voir ailleurs : « Il ne l’aimait pas. »
Hospitalité
Direction Ouakam, un quartier résidentiel de la capitale, situé à deux pas du monument de la Renaissance, où l’on croise des ministres, des hommes d’affaires et Germaine Ahidjo, la veuve de l’ancien président camerounais qui, lui aussi, avait bénéficié de l’hospitalité sénégalaise après sa disgrâce. C’est ici que Habré s’est installé dès son arrivée, en décembre 1990. Quelques jours plus tôt, il avait dû fuir son pays, chassé par les hommes de Déby. Après un bref passage au Cameroun, il avait rejoint Dakar à bord de l’avion qu’il avait soustrait à l’État tchadien et dans les soutes duquel se trouvait, dit-on, un joli trésor (on parle de 8 millions d’euros). L’avion a été remis au Tchad, pas le pactole.
À Ouakam, Habré est chez lui. Très vite, il a participé à la vie du village. Il a acheté des moutons pour les fêtes religieuses. Il est allé prier avec les gens du quartier dans la mosquée qu’il a contribué à financer. Il a « aidé » le club de foot local, l’Union sportive de Ouakam. Lorsque l’équipe a gagné pour la première fois de son histoire le championnat, l’année dernière, une banderole a été déployée dans les tribunes pour remercier le « président Habré ». Il a ouvert sa maison à tout le monde. S’est entiché des chefs traditionnels et des dignitaires religieux. Il a donné naissance à des enfants, qui sont donc sénégalais.
Bouclier
Habré s’est parfaitement intégré à la société sénégalaise, et c’était vrai bien avant que la justice ne s’intéresse à lui, en 1999. « C’est un des nôtres », confirme un commerçant. Sa boutique se trouve à deux pas de la villa bien gardée (notamment par des gendarmes en civil) de Habré, et il le voit régulièrement. « C’est un homme ouvert et généreux. Il reçoit beaucoup, mais sort aussi. Qu’a-t-il fait de mal ? Pourquoi veut-on l’envoyer en prison ? Certains, ici, s’y opposeront, car il nous aide beaucoup. »
Qu’a-t-il fait de son trésor?
Qu’est devenu le pactole qu’il aurait volé dans les caisses de l’État tchadien juste avant son départ, estimé à 10 millions de dollars (environ 8 millions d’euros) ? Beaucoup, à Dakar, se le demandent. Officiellement, Hissène Habré ne possède qu’une maison au Sénégal, celle qu’il habite à Ouakam. En fait, il est de notoriété publique qu’il en possède une autre, dans le quartier huppé des Almadies. Pour le reste… « Il y a de fortes chances qu’il ait placé son argent dans des affaires ici, au Sénégal, et qu’il dispose de prête-noms sur place », indique une source gouvernementale. Cela expliquerait sa générosité, toujours aussi intacte vingt-deux ans après son arrivée au Sénégal. Mais, là aussi, l’étau se resserre. Au ministère de la Justice, on se dit déterminé à enquêter sur son patrimoine. R.C.
Les observateurs glosent sur ce « budget du silence » qui lui aurait permis de se constituer un véritable bouclier. Habré est riche et il n’est pas pingre. Il a la réputation d’arroser sans trop de difficulté. Ils sont nombreux à le soutenir : des intellectuels comme le professeur Oumar Sankharé, agrégé de grammaire ; des journalistes comme Abdou Latif Coulibaly ; des hommes politiques comme l’ancien ministre des Affaires étrangères de Wade (et ex-défenseur de Habré) Madické Niang ; des avocats médiatiques comme El Hadji Diouf ; des hommes d’affaires comme Babacar Touré, le patron du groupe Sud, avec qui il a l’habitude de boire le thé ; ou encore des dignitaires religieux, à commencer par la famille du khalife des tidianes, l’une des deux principales confréries du pays… Et ils sont forcément corrompus aux yeux des adversaires de Habré. « Pourquoi, par principe, ne pourrais-je pas défendre Habré ? s’indigne l’un d’eux. Il serait naïf de croire que, dans sa situation, il ne corrompt personne pour trouver des défenseurs. Mais nous ne sommes pas tous dans ce cas ! »
Un avocat qui connaît bien le dossier en convient : « Qu’il corrompe tel ou tel intellectuel, peut-être. Mais il n’a pas besoin d’acheter tout le monde. Les marabouts ou les gens de son quartier n’ont pas besoin de ça. Ce qu’ils voient, eux, c’est un homme généreux, qui participe à la vie de la cité et qui attache de l’importance à la religion. »
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