Mali : le temps des imams

À Bamako, mieux vaut avoir la faveur des religieux. Ils ont gagné en puissance à mesure que la classe politique perdait en influence. Le Premier ministre, Cheick Modibo Diarra, l’a bien compris, et c’est sans doute ce qui lui a valu d’être maintenu à son poste.

Le meeting organisé par le Haut Conseil Islamique, le 12 août à Bamako. © Emmanuel Daou Bakary

Le meeting organisé par le Haut Conseil Islamique, le 12 août à Bamako. © Emmanuel Daou Bakary

Publié le 17 septembre 2012 Lecture : 4 minutes.

Depuis le coup d’État du 21 mars, plus rien ne semble pouvoir arrêter la lente descente aux enfers de la République malienne. Ces dernières semaines, l’instauration de la charia dans les régions du Nord, occupées par des groupes armés islamistes locaux (Ansar Eddine) ou étrangers (Al-Qaïda au Maghreb islamique, Aqmi, et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, Mujao), a consolidé la position des religieux dans le Sud. Le vide laissé par la classe politique, qui peine à mobiliser, a été vite comblé par ces hommes devenus garants de la moralisation d’une vie publique gangrenée par la corruption, le clientélisme et la concussion.

Symbole de cette influence grandissante, le Haut Conseil islamique (HCI), qui regroupe les principales organisations musulmanes du Mali. Autrefois respecté, il est aujourd’hui redouté. Deux événements récents confirment le rôle de plus en plus important de Mahmoud Dicko, son président, et de ses proches.

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Le premier est lié à la reconduction, le 12 août, de Cheick Modibo Diarra à la tête du gouvernement. Premier ministre très critiqué, « lâché » par ses parrains de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (le nom de Diarra avait été suggéré par le Burkinabè Blaise Compaoré, médiateur au Mali pour le compte de la Cedeao), et par les putschistes du capitaine Sanogo, Cheick Modibo Diarra n’avait quasiment aucune chance de se voir confier la formation d’un gouvernement d’union nationale, exigé par l’organisation sous-régionale et par une communauté internationale en quête d’un interlocuteur crédible à Bamako.

Allégeance

Conscient de son déficit de légitimité et de son manque de soutiens politiques et populaires, l’ancien « navigateur interplanétaire » s’est accroché à son fauteuil. Sa manoeuvre la plus efficace ? Faire publiquement allégeance aux islamistes. Le 12 août, il s’est invité au grand meeting organisé à Bamako par Mahmoud Dicko au stade du 26-Mars (60 000 participants) et a, dans la foulée, obtenu une déclaration solennelle : « Les imams de la République souhaitent une reconduction du Premier ministre. »

Cette déclaration a pris des allures de fatwa (édit religieux) quand, quelques heures plus tard, le président de la transition, Dioncounda Traoré, a annoncé le maintien du Premier ministre à son poste, alors qu’une grande partie de la classe politique (jusque dans les rangs du parti présidentiel, l’Alliance pour la démocratie au Mali [Adema]) réclamait sa tête. La reconduction de Modibo a confirmé le déclin des hommes politiques traditionnels au profit des religieux.

Autrefois respecté, le Haut conseil islamiqueest désormais très redouté.

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Pour concocter son « gouvernement d’union nationale », Cheick Modibo Diarra a reconduit, le 20 août, la très grande majorité de ses ministres (18 des 21 membres du gouvernement ont été maintenus) et distribué 13 maroquins à l’ensemble de la classe politique, désormais divisée entre les partisans et les adversaires du putsch du mois de mars. Un attelage bancal qui a fait l’objet de controverses avant même d’être installé officiellement : ses détracteurs soulignent qu’il n’est pas représentatif, qu’il comprend un seul Touareg (Ousmane Ag Rhissa, nommé à l’Artisanat et au Tourisme) et qu’aucun strapontin n’a été proposé aux communautés du Nord (Songhoïs, Arabes ou Peuls). Cheick Modibo Diarra a aussi suscité une polémique en faisant conseillers spéciaux – avec rang de ministres – les trois personnes débarquées de son précédent gouvernement : Sadio Lamine Sow, ancien ministre des Affaires étrangères, Hamadoun Touré, ex-ministre de la Coopération, et Mamadou Diakité, auparavant chargé de l’Emploi. « Cheick Modibo Diarra veut créer un cabinet noir pour torpiller le gouvernement », affirme le Front pour la défense de la République (FDR, regroupant les principales formations politiques opposées au putsch). Rétropédalage du Premier ministre, qui annule, le 26 août, les décrets de nomination.

Petits papiers

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Mais que font les imams pour prêter main-forte au soldat Modibo Diarra ? Ils étaient accaparés par une autre urgence : obtenir la tête de Baba Dagamaïssa, directeur général de l’Office de la radio-télévision malienne (ORTM). Parce qu’il avait omis d’inviter l’ensemble du bureau du HCI pour une émission en direct à la veille de la fin du mois de ramadan, Baba Dagamaïssa, nommé le 20 juin par le Premier ministre, s’est attiré les foudres de Mahmoud Dicko, qui a exigé son départ… Preuve qu’aujourd’hui à Bamako, quand on n’est pas dans les petits papiers des imams, la vie devient très vite compliquée. Radios et journaux privés s’acharnent sur cet « ivrogne de Baba », un directeur général « athée qui ne respecte pas les musulmans »… Diffusée en boucle sur les radios communautaires, la campagne de dénigrement a pris des proportions inquiétantes. Cheick Modibo Diarra s’est réfugié dans le silence et Baba Dagamaïssa n’a dû son salut qu’à l’intervention d’un… colonel : Moussa Sinko Coulibally, ex-directeur de cabinet du capitaine Sanogo, ministre (reconduit) de l’Administration territoriale. C’est lui qui, soutenu par le chérif de Nioro (un religieux influent, le seul qui « reçoive en audience » Dioncounda Traoré), est intervenu pour que les imams renoncent à leur guerre ouverte contre le patron de l’ORTM. Le colonel-ministre a même convoqué une réunion de conciliation entre l’imam et Dagamaïssa.

Si dans le Nord occupé les religieux ont gagné en influence grâce à leur kalachnikov, dans le Sud, cette montée en puissance s’est faite au détriment du politique. L’opinion malienne semble avoir admis la recevabilité de la revendication portant application de la charia. Celle-ci n’est plus perçue comme une menace pour l’avenir du pays, et la laïcité de l’État ne semble plus être la garantie des libertés publiques, notamment cultuelles. Pis : l’éventualité d’une République islamique est désormais admise par une partie de l’élite pour lutter contre les velléités sécessionnistes du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), dans le Nord. À Gao, Kidal ou Tombouctou, c’est le temps des cadis, ces juges islamiques qui font régner la loi. À Bamako, Kayes ou Sikasso, c’est celui des imams, et les politiques n’ont qu’à bien se tenir. 

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