Ali Bongo Ondimba : « Je ne regrette rien »

Pouvoir, réformes, André Mba Obame, Union africaine, Mali, François Hollande, affaire des « biens mal acquis », son père… Le chef de l’État gabonais, Ali Bongo Ondimba, aborde sans détour les grands sujets du moment.

Ali Bongo Ondimba est désormais au pouvoir depuis 3 ans. © AFP

Ali Bongo Ondimba est désormais au pouvoir depuis 3 ans. © AFP

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Publié le 10 septembre 2012 Lecture : 20 minutes.

Aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, samedi 11 août, en fin de matinée. Les passagers à destination de Libreville embarquent progressivement sur le vol Air France. L’arrivée du dernier d’entre eux, qui s’installe péniblement dans son siège de première classe, aidé par un jeune Gabonais qui semble faire office d’aide de camp, suscite immédiatement l’étonnement et de nombreux murmures parmi les occupants de l’avant de l’appareil. Et pour cause : il s’agit d’André Mba Obame, le frère ennemi du chef de l’État Ali Bongo Ondimba, qui fait son grand retour au pays après quatorze mois d’absence. Muni de béquilles et d’un corset, très amaigri, il semble s’amuser de cette effervescence. Nous discutons. Malgré sa fragilité évidente et sa voix tout juste audible, il n’a pas changé. Sourire aux lèvres et regard malicieux, il conclut notre entretien, à la demande pressante d’une hôtesse qui me demande d’aller m’asseoir, par cette annonce : « Vous allez entendre parler de moi ! » Effectivement, dans les jours qui suivirent, son retour était sur toutes les lèvres. Un retour tonitruant, d’appels à l’insurrection en menaces à l’endroit du pouvoir : ambiance à Libreville…

C’est dans ce contexte, tendu, qu’Ali Bongo Ondimba nous a reçus, le lendemain, dans sa résidence officielle de la Sablière, quartier chic de la capitale. Décontracté, vêtu d’un pantalon en toile bleu et d’un polo aux couleurs du Gabon, il nous propose un café ou un jus de fruit. Ses collaborateurs non musulmans sont gênés : le « patron », comme ils l’appellent, fait le ramadan… Commence alors l’entretien, qui durera près de deux heures. Il se prête sans rechigner au jeu des questions, défend son bilan mais concède sa frustration de ne pas voir ses réformes aller plus vite, répond aux attaques dont il est l’objet et livre son analyse sur l’élection de Nkosazana Dlamini-Zuma à la tête de la Commission de l’Union africaine, la crise malienne, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), l’arrivée des islamistes au pouvoir en Afrique du Nord ou les relations avec la France de François Hollande. À l’évocation d’André Mba Obame, sujet ô combien sensible, il réfléchit, hésite. Et décide finalement de se lâcher, pour la première fois, sur le sujet. Décapant…

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Jeune Afrique : Vous avez nommé, en février, un nouveau Premier ministre et un nouveau gouvernement. Au sein des administrations ou des entreprises publiques, vous avez procédé à de nombreux changements. Est-ce le signe que l’« émergence », comme on dit au Gabon, patine ?

Pas du tout. Nous allons indéniablement dans la bonne direction et commençons à percevoir les fruits des réformes engagées. Seul bémol : je trouve que cela ne va pas assez vite. À chaque période, ses hommes. Le Gabon émergent, qui correspond au programme pour lequel j’ai été élu, est comme un arbre : pour prospérer, il doit avoir des racines solides et profondes. Nous avons commencé par cela et la tâche était loin d’être aisée, compte tenu de tout le travail qu’il fallait abattre. Certains ont participé à cette phase, d’autres participent à celle que nous sommes en train de mener, qui voit l’arbre enfin sortir de terre et pousser. D’autres encore nous rejoindrons plus tard. Nous tirons cependant les leçons de nos erreurs, corrigeons ce qui doit l’être pour nous améliorer. Y compris dans le choix des hommes et des femmes qui nous entourent…

En raison de l’état de santé du président Omar Bongo Ondimba, plus rien n’avançait dans le pays.

Pour filer la métaphore, vous avez tout de même beaucoup secoué cet arbre lors de votre arrivée au pouvoir… En remettant en cause des baronnies, en supprimant un certain nombre de privilèges, en réduisant les effectifs de la fonction publique. De quoi susciter quelques vocations pour rejoindre les rangs de vos adversaires, y compris au sein de votre propre camp…

Si j’ai dû secouer cet arbre, c’est parce nous savons tous que ces dernières années, en grande partie à cause de l’état de santé du président Omar Bongo Ondimba, plus rien n’avançait dans le pays. Lui-même l’avait dénoncé, en 2007. Je n’avais pas d’autre choix que d’essayer de remettre la machine en route. Ces mesures étaient réclamées par la population depuis longtemps. C’est tombé sur moi, je l’ai fait et je ne regrette rien.

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Les attentes des Gabonais sont légion. L’« émergence » peut ressembler, pour certains, à une formule incantatoire. Les changements qu’attendent les plus démunis concernent leur vie quotidienne, les transports, l’accès aux soins, l’éducation. Pensez-vous qu’ils sont réellement perceptibles pour eux ?

Il faudrait vraiment être de mauvaise foi pour dire que tout cela n’évolue pas dans le bon sens. Mais le chantier est tellement vaste ! Sur le plan des infrastructures routières ou dans le secteur de la santé, nous tenons nos objectifs. Concernant l’éducation, les résultats scolaires sont en très nette progression, mais nous avons encore d’importants efforts à fournir pour pouvoir accueillir nos élèves dans des conditions optimales. Reste un problème, de taille, celui du logement. L’accession à la propriété est d’une complexité inouïe chez nous. Un véritable parcours du combattant, qui prend parfois six ans ! Cela nous a retardés dans la mise en route du plan que nous avions élaboré. Mais nous allons tout faire pour rattraper ce retard.

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L’Assemblée nationale issue des dernières législatives vous est acquise : 114 députés sur 120 pour le Parti démocratique gabonais (PDG). Peut-on dire : « L’opposition a boycotté le scrutin, tant pis pour elle » ? N’est-ce pas un problème pour le Gabon et le débat démocratique ?

Ce serait un problème si le parti majoritaire n’était pas conscient qu’il s’agit là d’une situation exceptionnelle, qui n’est d’ailleurs pas celle que nous aurions désirée. Mais je ne suis pas responsable de ce que décident les autres partis politiques. Certains ont opté pour la politique de la chaise vide. C’est une stratégie qui ne paie jamais. Ils s’en aperçoivent désormais, font tout pour exister et émettent des réclamations pour le moins tardives.

Un taux de participation de 34 % aux législatives, c’est peu. Cela dénote un désintérêt certain de la population pour la politique. Comment remédier à cela ?

Je peux comprendre le désintérêt de mes ­compatriotes parce que les acteurs politiques, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, sont toujours les mêmes. Chez nous, nous voyons des hommes au pouvoir pendant des décennies qui, du jour au lendemain, passent à l’opposition pour se mettre à critiquer les dirigeants sans parvenir à expliquer pourquoi, lorsqu’ils étaient aux affaires, ils n’ont jamais réglé les problèmes qu’ils dénoncent aujourd’hui. Le souci est là : c’est une question de crédibilité. Le PDG, lui, lors des dernières élections législatives, a renouvelé plus de 50 % de ses candidats. Il faut seulement espérer que, dans quelques années, ces nouveaux hommes politiques, qui ont tout à prouver, ne se comporteront pas comme ces politiciens usés jusqu’à la corde que la population rejette.

La politique de la chaise vide ne paie pas. Certains opposants s’en aperçoivent et font tout pour exister.

Depuis le décès de Pierre Mamboundou, arrivé en deuxième position lors de la présidentielle d’août 2009, la vie politique se cristallise autour de vous, d’une part, et d’André Mba Obame, d’autre part. Ce dernier vient de rentrer, le 11 août, au Gabon, après quatorze mois d’absence. Que cela signifie-t-il pour vous ?

Qu’un Gabonais rentre chez lui, c’est tout.

C’est un de vos plus féroces adversaires, tout de même…

Qu’est-ce que cela change ? À l’extérieur, il était un adversaire politique, il le sera également ici.

La tension est palpable. Dans ses déclarations, lors de ses premiers pas à Libreville, il ne vous ménage guère.

La tension ou la crispation, elles sont dans son esprit à lui, pas dans le mien. Ce sont des termes dont vous, journalistes, raffolez… C’est spectaculaire, cela fait vendre. Au Gabon, nous avons d’autres préoccupations. Les bagarres politiciennes, les Gabonais en ont assez. André Mba Obame a quitté le pays parce qu’il avait de graves problèmes de santé. Ceux-ci existent toujours, mais il a décidé de rentrer. Pourquoi ? Parce que, politiquement, c’est un homme désespéré. Je ne suis pas dupe et il ne va pas me refaire le même coup, envoyer les gamins des autres tout casser pendant qu’il va se réfugier dans les locaux du Programme des Nations unies pour le développement, en espérant qu’on l’arrête pour en faire un martyr. Ce qu’il n’obtient pas par les urnes, il veut l’obtenir par la négociation politique. Quelle négociation politique ? La démocratie, c’est laisser le peuple décider. Si vous avez d’autres idées, vous les exposez lors d’un scrutin. Lui et ses acolytes ont choisi de ne pas participer aux élections. Ils ont pensé que la population allait se soulever. Elle n’en a rien fait…

Votre relation est très particulière : vous vous connaissez de longue date, vous étiez extrêmement proches, avez milité ensemble au sein du PDG pour faire évoluer cette formation, et, du jour au lendemain, lors de la présidentielle de 2009, tout a changé. Comment êtes-vous devenus d’irréductibles ennemis ?

Oui, c’est une relation particulière. Parlons-en, pour que tout le monde comprenne. Il faut se souvenir de son parcours d’ancien opposant qui rentre au Gabon. À l’époque, en 1984, je ne le connaissais pas. Le président Omar Bongo Ondimba me le présente en disant : « J’ai connu son père, nous étions de très grands amis et je te demande de te rapprocher de lui, il vient nous rejoindre. » Je l’ai fait. Une amitié s’est développée et nous avons travaillé ensemble pendant vingt-cinq ans. Cette amitié m’a beaucoup coûté car un certain nombre de membres du PDG n’ont jamais été réellement convaincus de sa sincérité. Je me suis aliéné beaucoup d’entre eux. Il faut donc comprendre quelle a été ma position lorsque, au décès du président Omar Bongo Ondimba, André Mba Obame a décidé de quitter le PDG pour se retrouver face à nous. Son discours, depuis 2009, va totalement à l’encontre de la philosophie de ce dernier, qui fut également celle de Léon Mba : l’unité nationale. Lors de la présidentielle, il a mené une campagne, je suis désolé de le constater, tribaliste, en s’adressant uniquement à ceux de son ethnie. Il sait très bien, au fond de lui, qu’on ne peut pas gagner ainsi une élection au Gabon. Sa seule stratégie consiste à diviser, à attiser les haines.

André Mba Obame, à son retour au Gabon, le 11 août, après quatorze mois d’absence. Il conteste toujours l’élection d’Ali Bongo Ondimba.

© Patrick Fort/AFP

Il n’est pas le seul à s’opposer à vous…

Ses alliances sont curieuses. Je suis pour beaucoup dans l’évolution de sa carrière. Je l’ai protégé des gens avec qui il est en accointance circonstancielle aujourd’hui. Dont Zacharie Myboto, qui a toujours été opposé à l’avènement de la démocratie au Gabon, tout comme il était opposé aux accords de Paris ou à la Conférence nationale [dans les années 1990, NDLR], qu’il a le culot de réclamer aujourd’hui. À l’époque, quand nous étions les tenants du courant rénovateur au sein du PDG, Mba Obame, moi et quelques autres avions dû le combattre, lui, le tout-puissant secrétaire administratif du parti. Étrangement, ce sont ces personnes qui exécraient Mba Obame hier qui aujourd’hui deviennent ses nouveaux amis. Je pense qu’André se fait manipuler et il y risque sa peau. Ses « amis » vont jusqu’à se servir d’un homme souffrant, afin d’instrumentaliser leur haine.

Mba Obame ne va pas refaire le même coup : envoyer des gamins tout casser pendant qu’il se cache.

Les critiques qu’il formule portent sur les thèmes de la démocratie ou de la gouvernance…

Mba Obame ne peut pas me donner de leçon de démocratie ! Il faut tout de même avoir un peu de mémoire. Du temps où j’assumais les fonctions de ministre de la Défense, je n’ai procédé à aucune arrestation pour délit d’opinion. Que n’a pas fait Mba Obame pendant ce temps ! Il a poursuivi Bruno Ben Moubamba [figure de la société civile gabonaise, qui avait demandé des comptes au président Omar Bongo Ondimba sur la gestion du pays pendant quarante ans dans une lettre ouverte publiée en 2008] pour tentative de coup d’État. Il a fait enfermer Marc Ona Essangui [autre figure de la société civile, président de l’ONG Brainforest] à la veille de la remise de son prix Goldman. Et j’en passe… Aujourd’hui, je peux vous le dire, si M. Ona a pu récupérer son prix Goldman aux États-Unis, c’est grâce à moi et au ministre Paul Toungui. Qui est le plus démocrate de nous deux ?

Entendez-moi bien, André Mba Obame est un homme intelligent et certainement très doué en communication, mais qui ne fait que mentir. C’est viscéral chez lui. Il se sert de vous, les médias, en vous disant ce que vous souhaitez entendre, il se donne en spectacle. Mais au Gabon, ce n’est qu’une comédie burlesque et, finalement, pitoyable.

Vous avez évoqué l’unité nationale et sa préservation. La présidentielle de 2009 avait été marquée par un net repli identitaire. Les candidats fangs, comme Jean Eyeghe Ndong, se sont unis derrière André Mba Obame. Trois ans plus tard, Jeune Afrique a publié une enquête consacrée à la question fang (voir J.A. no 2680) qui a suscité de nombreuses polémiques. Cela ne dénote pas un apaisement. Êtes-vous inquiet ?

Si vous prenez en compte la campagne de 2009 et le spectacle auquel nous avons assisté, vous comprenez les réactions de l’opinion publique gabonaise face à votre article. Vous avez peut-être trouvé, de l’extérieur, que ces réactions étaient exagérées. Mais c’est justement à cause de la campagne tribaliste menée par André Mba Obame. Les Gabonais ne veulent plus entendre cela. Ceux qui bâtissent leur stratégie politique sur la division et sur la haine savent qu’ils seront les premiers emportés.

Concernant l’organisation de l’exécutif, vous semblez avoir adopté un mode de fonctionnement qui n’est pas sans rappeler celui qu’utilisait Nicolas Sarkozy à l’Élysée, c’est-à-dire des agences et un cabinet rattachés directement à la présidence, qui gèrent les dossiers importants, et un gouvernement qui a les mêmes responsabilités sur les mêmes secteurs, au risque de créer doublons ou conflits. Quel est finalement le rôle de chacun ?

C’est un faux débat. Ce qui est important pour nous, c’est de faire une différence entre la réflexion, l’exécution et le contrôle. Un exemple : on a souvent parlé de l’Agence nationale des grands travaux [ANGT]. Elle est là pour assister le gouvernement. Elle prépare les dossiers, lance les appels d’offres puis les étudie parce qu’elle a les compétences requises pour le faire. Ensuite, elle formule des recommandations au ministre, qui, lui, signera le marché. Depuis la mise en oeuvre de ce type de fonctionnement, la corruption a baissé, les marchés de gré à gré ont disparu et les travaux vont à leur terme. La connivence entre certains hommes politiques et hommes d’affaires n’existe plus. Vous comprendrez aisément la nostalgie de ceux qui préféraient l’ancien système, l’époque où on amenait le président Omar Bongo à lancer une multitude de projets qui n’aboutissaient jamais mais permettaient à quelques-uns de s’enrichir facilement…

À quoi servirait une opération militaire au Mali sans que l’on sache qui est derrière tout cela ?

Quelles sont les répercussions de la crise européenne sur le Gabon ?

Jusqu’à présent, l’Afrique a bien résisté. Mais, dans de nombreux secteurs, nous commençons désormais à ressentir des difficultés. Certains pays africains sont touchés au niveau du tourisme, d’autres au niveau des aides, et la plupart constatent un ralentissement des investissements étrangers. Les pays miniers, comme le Gabon, ne sont pas en reste, dans la mesure où la Chine, un client important, a freiné ses achats. D’où nos efforts pour diversifier notre économie afin qu’elle ne soit plus dépendante de certains produits. Cette année, notre taux de croissance hors pétrole a été à deux chiffres, au-delà de 12 %. C’est un signe encourageant.

"Après trois années au pouvoir, j’ai pu mesurer l’étendue des connaissances de mon père" (à g.), explique Ali Bongo Ondimba.

© DR

Avec le recul, trois ans après votre élection, l’exercice du pouvoir vous a-t-il surpris ?

C’est loin d’être aussi simple qu’on l’imagine. Dans la réalité, tout est compliqué et rien ne va aussi vite que vous le voudriez. J’ai pu également mesurer l’étendue des connaissances de mon père.

Êtes-vous toujours autant comparé à lui ?

Je crois que cela ne s’arrêtera jamais…

Comment le vivez-vous ?

Bien, je vous rassure. C’était un personnage unique, je ne pourrai jamais être comme lui. Donc je ne cherche pas à le devenir.

S’il vous observait de là où il est, que penserait-il selon vous ?

Peut mieux faire ! (rires)

La Commission de l’Union africaine (UA) a une nouvelle présidente, la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma. Comment avez-vous vécu la défaite du Gabonais Jean Ping ?

J’ai l’âme sportive. Dans une compétition, on gagne ou on perd. L’important c’est que le continent africain, lui, n’ait pas perdu, que nous ayons dépassé la situation de blocage qui prévalait jusqu’alors. Jean Ping, c’est mon compatriote. Je le connais bien, il était donc naturel que je le soutienne. Mme Zuma, je ne la connais pas, mais j’ai entendu parler d’elle, en bien. Nous travaillerons avec elle comme nous l’aurions fait avec Jean Ping.

Jusqu’à présent, une règle non écrite voulait que les grandes puissances du continent – Algérie, Afrique du Sud, Nigeria, etc. – n’occupent pas la présidence de la Commission…

Il s’agit d’un problème que l’Afrique du Sud va devoir traiter de manière particulière, pour ne pas nous donner raison de nous être inquiétés. Nos frères sud-africains connaissent notre position. Il est grand temps de se diriger vers des règles écrites, pour que les choses soient enfin claires.?

Qu’attendez-vous principalement du mandat de Nkosazana Dlamini-Zuma ?

Des réformes importantes sur le fonctionnement même de l’UA. Lors des sommets, nous n’allons jamais au fond des problèmes. Lorsque nous arrivons, il y a plus de dix points à l’ordre du jour. La première journée est prise par tous les discours, vous ne commencez réellement à travailler que le lendemain. Avant le départ des uns et des autres, si nous avons pu examiner trois dossiers, c’est déjà merveilleux. Et si nous voulons examiner tous ces points, nous sommes contraints de les survoler. Enfin, concernant notre indépendance, il faut savoir que nous fonctionnons plus avec le financement des pays non africains qu’avec celui des États africains eux-mêmes… Assumons déjà nos responsabilités !

Parmi les crises majeures que traverse actuellement le continent, le cas malien est particulièrement préoccupant. Comment sortir de cette impasse ?

Nous faisons confiance à la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest] pour nous proposer les bonnes solutions. Le temps de réflexion pris n’est pas du temps perdu. La question est de savoir si cela se règle militairement ou pas. L’intervention peut s’avérer nécessaire, comme ultime recours, si le dialogue échoue. L’opération militaire en elle-même ne serait d’ailleurs pas d’une grande complexité. Mais à quoi servirait-elle si nous agissions sans savoir qui est derrière tout cela et si les mêmes événements se produisaient, demain, ailleurs ? Elle risque cependant d’être inévitable. Car les rapports dont nous disposons font état de graves maltraitances des populations. Quand des mouvements expriment des revendications politiques, culturelles et sociales, ce n’est pas en imposant par la force des conditions d’existence dont la population ne veut pas qu’ils font progresser leur cause.

Vous êtes musulman. Comment vivez-vous l’arrivée des islamistes au pouvoir en Tunisie, au Maroc ou en Égypte et, donc, l’avènement d’un islam politique ?

Cela ne m’inquiète pas puisque cela correspond au désir des populations. Je pense qu’il faut leur donner leur chance. L’expérience du pouvoir est importante. Nous jugerons ensuite, une fois leur apprentissage – parce que c’en est un – achevé.

Religion et politique peuvent-elles faire bon ménage ?

Elles doivent faire bon ménage. Sauf à considérer que les choix des populations importent peu…

On assiste également à l’émergence d’extrémistes : salafisme en Afrique du Nord, en Tunisie et en Égypte notamment, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et ses « filiales »… Est-ce une phase naturelle qui va se résorber petit à petit ou est-ce un signal inquiétant ?

Tout extrémisme est inquiétant et ce n’est pas seulement l’apanage des musulmans. Maintenant, il est important de considérer le terreau sur lequel l’extrémisme naît et progresse. Dans la plupart des cas, cela a trait à l’absence de développement. Lorsqu’on a le ventre plein, on est un peu moins sensible à tout cela, on est moins assidu dans les églises ou dans les mosquées, à l’écoute de prêches belliqueux. Et, surtout, on peut plus facilement mesurer que les extrémismes n’ont jamais mené à aucune réussite.

Votre ami Nicolas Sarkozy a perdu l’élection présidentielle française. François Hollande est votre nouvel interlocuteur. Vous l’avez rencontré début juillet à Paris. Comment cela se passe-t-il entre vous ?

Comme cela doit se passer entre chefs d’État. Nous ferons de notre mieux pour que nos relations demeurent bonnes, cordiales et surtout productives, dans l’intérêt de nos pays respectifs.

C’est tout de même plus simple quand on a une relation, disons particulière. Cela permet de se dire les choses franchement ou d’obtenir plus…

Mais une relation, cela se crée et s’entretient. Au départ, je ne connaissais pas Nicolas Sarkozy non plus.

Votre rencontre a été, dit-on, assez froide…

Pourquoi ?

D’une part, parce que vous ne vous connaissiez pas et que François Hollande n’est pas forcément là pour marcher dans les pas de Nicolas Sarkozy… D’autre part, parce que l’image du Gabon n’est pas excellente : vous avez succédé à votre père au cours d’une élection contestée, les remugles de la Françafrique, votre opposition qui vous accuse de tous les maux…

Ceux qui disent cela ont assisté à l’entretien ?

Non, justement.

Posez la question à ceux qui étaient présents alors…

C’est ce que je fais…

Nous avons eu une séance très intéressante. Les dossiers sont si importants qu’aujourd’hui nous devons travailler ensemble. Il n’y a pas d’autre choix. Cette rencontre nous a permis de nous connaître. François Hollande m’a fait part de ses commentaires et nous n’avons pas attendu que l’on nous pose des questions, notamment liées aux sujets que vous évoquez et aux critiques émises par notre opposition, qu’une certaine presse aime à draper de toutes les vertus alors qu’elle est précisément responsable de la situation dans laquelle s’est retrouvé notre pays en 2009. Une fois encore, c’est quand même curieux que des gens qui ont l’ambition de diriger le Gabon s’arrangent pour insulter les Gabonais en proclamant que leur vote ne vaut rien, que c’est la France qui vient placer des chefs d’État à leur tête [allusion au soutien supposé de Nicolas Sarkozy à ABO en août 2009]. Et ils courent tous ensuite à l’étranger pour aller supplier un président de les mettre au pouvoir. Parce qu’en fait c’est à cela qu’on assiste. André Mba Obame est en train de supplier François Hollande. Les Gabonais apprécieront.

William Bourdon, cela le dérangeait beaucoup moins de travailler pour la famille Kadhafi…

Qu’attendez-vous concrètement de la France aujourd’hui ?

C’est notre premier partenaire. Cette relation doit non seulement être consolidée mais surtout développée. Nous voulons davantage d’investissements français au Gabon, plus d’échanges. Nous étudions aussi les opportunités qui peuvent nous amener à investir en France. Nous entretenons des relations anciennes et qui sont très bonnes malgré ce qui se dit. Il y a plus de 12 000 Français au Gabon. S’ils n’étaient pas bien ici, resteraient-ils ? Tous ceux qui vocifèrent dans les salons parisiens sur la dictature gabonaise, pourquoi ne viennent-ils pas poser la question aux Français qui vivent ici ?

Vous parlez des critiques émises à Paris au moment de votre visite en juillet ?

Oui. Des critiques émanant de personnes qui ne connaissent pas le Gabon, qui ne veulent pas le connaître et qui sont toujours dans l’illusion du passé, parce que cela les arrange. Elles préfèrent relayer uniquement le point de vue de certains hommes politiques gabonais, qu’elles condamnaient d’ailleurs hier, entre parenthèses. Comme s’il suffisait de se déclarer opposant africain pour, en France, devenir un homme vertueux…

Qu’avez-vous pensé des perquisitions et du mandat d’arrêt qui a été émis en France contre le fils du chef de l’État équato-guinéen ?

Je ne souhaite pas formuler de commentaire sur des questions liées à des opérations de justice qui ne me concernent pas. Mais pour ce qui est de l’affaire dite des « biens mal acquis », vous connaissez mon sentiment. Je demeure surpris de la manière dont cette affaire s’est développée. S’il s’agit de protéger les populations par rapport à certains comportements de leurs dirigeants, pourquoi ces actions ne visent-elles pas toute la classe politique internationale ? Pourquoi s’agit-il seulement de certains chefs d’État africains ? Ailleurs dans le monde, en Asie, en Russie, au Moyen-Orient, il n’y a rien à examiner ? Et si on se cantonne à l’Afrique, pourquoi des chefs d’État et pas des hommes politiques tout court ? Ici, au Gabon, je peux vous citer pas mal de noms d’actuels opposants qui étaient jadis aux affaires, installés dans des quartiers résidentiels pour le moins cossus à Paris ou dans sa banlieue chic, qui mènent grand train alors qu’ils n’ont aucune fonction officielle. Mais, curieusement, on ne leur pose pas de questions. Ces gens qui font croire qu’ils agissent pour le bien des Africains sont d’un cynisme sans nom. William Bourdon [fondateur de l’association Sherpa et avocat de Transparency International à l’origine de la plainte qui a abouti à l’ouverture de l’enquête], par exemple, ça ne le dérangeait pas beaucoup de travailler pour la famille Kadhafi et leurs sbires…

Après le scandale de la Beac (Banque des États de l’Afrique centrale) fin 2009, une autre institution d’Afrique centrale, la Cemac, a elle aussi été touchée par un scandale, celui de la gestion de l’ex-président de la Commission, le Camerounais Antoine Ntsimi. Décidément, l’Afrique centrale peine à se débarrasser de ses mauvaises habitudes…

Notre problème, c’est qu’on ne va jamais au fond des choses pour corriger ce qui doit l’être. Voilà pourquoi nous donnons ce sentiment. Il faut que les réformes aillent jusqu’au bout. C’est ma priorité, alors que mon pays prend la présidence de la Cemac.

Imaginons enfin qu’un petit génie apparaisse et vous accorde trois voeux. Quels seraient-ils ?

Je n’en formulerais qu’un seul : disposer de beaucoup plus de voeux… (rires)

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