France : l’Afrique selon Hollande
Quatre mois après son élection, le président français a enfin esquissé les contours de sa politique africaine. Fini les méthodes de l’ère Sarkozy ? Peut-être, mais entre la défense des grands principes et les intérêts bien compris, la voie est toujours aussi étroite.
Il était prévu avant l’élection présidentielle, puis fut repoussé à l’entre-deux-tours. Le premier vrai discours de politique étrangère de François Hollande, préparé par Paul Jean-Ortiz, son conseiller diplomatique, a finalement été prononcé lors de l’ouverture de la traditionnelle conférence des ambassadeurs, le 27 août, à l’Élysée. Sans surprise, le « président normal » a réaffirmé les grandes alliances de la France (axe franco-allemand, atlantisme, relation méditerranéenne…) et évoqué plusieurs priorités : régler la crise de l’euro, renverser Bachar al-Assad, lutter contre le terrorisme au Sahel, faire revivre la Francophonie, promouvoir une vision apaisée de l’immigration. Il a aussi, pour la première fois, esquissé les grandes lignes de sa politique africaine.
« C’était un discours sérieux, équilibré, collant aux positions américaines, mais sans souffle ni idées neuves », déplore un ancien compagnon de route de François Mitterrand. Un constat partagé par nombre d’ambassadeurs, qui notent toutefois une rupture de ton et de méthode. Fini les « coups » sarkoziens. Hollande avance prudemment, cherche le soutien de ses partenaires. Fini aussi les conseillers omnipotents, officiels – comme Henri Guaino – ou officieux – comme Robert Bourgi -, qui s’exprimaient parfois maladroitement et sur tous les sujets. Seuls les ministres, dont Laurent Fabius (Affaires étrangères), Pascal Canfin (Développement) et Yamina Benguigui (Francophonie), sont habilités à porter la voix de la France. À l’Élysée, les conseillers se font discrets et rédigent une multitude de notes à l’attention du président. S’ils assistent généralement aux entretiens du chef de l’État avec ses homologues africains, ils ne les appellent jamais directement. Hollande s’appuie aussi pleinement sur le Quai d’Orsay. Jean-Marc Ayrault, le Premier ministre, et Laurent Fabius se sont attachés à remobiliser des troupes marquées par la défiance de Sarkozy à l’égard des diplomates.
Plus de discours larmoyant
Très réticent à aborder les questions africaines durant la campagne – « il n’y a que des coups à prendre », lui répétaient ses proches -, le chef de l’État a enfin dit quelle était son approche, quatre mois après son élection. « Notre vision de l’Afrique doit refléter ce qu’elle est aujourd’hui : un continent en forte croissance, qui le sait et ne supporte plus le discours larmoyant à son endroit. Un continent où la démocratie progresse, où l’environnement et l’énergie sont des sujets majeurs, et avec lequel nous avons une proximité historique, culturelle, linguistique exceptionnelle. En 2050, 80 % des francophones seront africains, 700 millions de femmes et d’hommes, chacun comprend ici l’enjeu. »
Hollande souhaite établir une « nouvelle donne » avec ses partenaires africains « fondée sur la transparence des relations économiques, la vigilance dans l’application des règles démocratiques et le respect de la souveraineté ». Sur le continent, opposants et acteurs de la société civile se sentent pousser des ailes depuis le Printemps arabe et les avertissements lancés par le président français aux régimes non démocratiques ou enclins à opter pour des successions héréditaires. Y aurait-il un projet caché ? « Si la question est "va-t-on financer la déstabilisation de certains États ?", c’est non, explique-t-on à l’Élysée. Mais on veille à l’émergence du dialogue politique, à l’implication des représentants de la société et des opérateurs économiques dans les réformes. »
Quelques jeunes diplomates vont un peu plus loin : « La France ne s’opposera pas à un "printemps africain". Ce qui s’est passé au Sénégal est déjà un début de changement sur le continent. » Mais Paris aimerait éviter les transitions douloureuses et envoie des messages plus ou moins subliminaux. La semaine dernière, dans un communiqué laconique, le Quai d’Orsay a rappelé ses engagements à Alpha Condé, le président guinéen : « La Guinée a besoin d’élections législatives sereines et transparentes pour que l’Assemblée nationale devienne le cadre institutionnel d’expression des forces politiques. »
"Diplomatie économique"
Pour la France, la voie est étroite. Il faut mettre en oeuvre de grands principes sans sacrifier les intérêts, une équation à laquelle s’était heurté Nicolas Sarkozy malgré ses bonnes intentions de départ. Les socialistes souhaitent même faire des ambassadeurs des « porteurs d’affaires », appuyant les entreprises hexagonales, promouvant le « fabriqué en France » et la « destination France ». « Si la diplomatie économique est notre priorité, notre organisation doit la refléter, a indiqué Fabius. J’ai décidé de créer au Quai d’Orsay une direction entièrement consacrée aux entreprises et aux affaires économiques. »
La tâche s’annonce difficile en cette période de restrictions. Le budget du Quai d’Orsay (5 milliards d’euros pour 15 000 fonctionnaires et 163 ambassades) devrait diminuer de 1 % par an lors des trois prochaines années. Quant à l’aide publique au développement (environ 10 milliards d’euros par an), elle devrait stagner, voire baisser, en attendant la mise en place de financements innovants comme la taxe sur les transactions financières.?Hollande souhaite aussi jouer pleinement la carte de la francophonie. Il se rendra à Kinshasa, du 12 au 14 octobre, pour assister au 14e sommet des chefs d’État de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Au début de juillet, il conditionnait sa participation à des avancées démocratiques. Après un voyage de Yamina Benguigui à Kinshasa, Joseph Kabila, le président congolais, semble avoir fait de vagues promesses. Hollande s’est surtout laissé convaincre par ses conseillers, ses pairs africains et Abdou Diouf, le secrétaire général de l’OIF. Kabila, dit-on, menaçait de ne pas organiser le sommet, il y avait plus à y perdre qu’à y gagner. Mais Hollande a prévenu : il en profitera pour rencontrer des représentants de l’opposition et de la société civile.
L’Algérie après Kinshasa ?
S’agissant de la Méditerranée, le chef de l’État français prône une approche plus modeste que son prédécesseur. Face aux blocages politiques de l’Union pour la Méditerranée (UPM), il souhaite faire avancer des projets concrets : autoroute du Maghreb, échanges universitaires… Telle est aussi la vision du Marocain Fathallah Sijilmassi, le secrétaire général de l’organisation, qui a rencontré Laurent Fabius le 27 août, et Emmanuel Bonne, le conseiller Afrique du Nord et Moyen-Orient de Hollande, le lendemain.
Pour les questions politiques, le chef de l’État veut relancer les discussions avec ses partenaires du Maghreb. Il prévoit de se rendre les 5 et 6 octobre à Malte pour le sommet 5+5, cadre de dialogue informel entre dix pays des rives sud et nord de la Méditerranée. Dans les prochains mois, la France sensibilisera les nouveaux dirigeants du Sud issus de partis islamistes au partenariat euro-méditerranéen alors que la Chine leur fait déjà les yeux doux.
Le premier voyage de François Hollande en Afrique du Nord pourrait le mener en Algérie. Un déplacement qui devrait survenir d’ici à la fin de l’année, peut-être juste avant son voyage de Kinshasa à l’occasion duquel il pourrait faire escale à Dakar. Ces derniers mois, le président français s’est entretenu à plusieurs reprises avec Abdelaziz Bouteflika, son homologue algérien, pour évoquer les relations bilatérales et lui demander de s’impliquer davantage dans la résolution de la crise sahélienne et dans la lutte antiterroriste. Alger, pour l’instant, semble faire la sourde oreille…
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