RDC : trouvailles kinoises
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Tshitenge Lubabu M.K.
Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.
Publié le 30 août 2012 Lecture : 3 minutes.
Kinshasa est une ville ingénieuse. Ici, les hommes ne se laissent pas abattre par l’adversité. Ils inventent sans cesse de nouvelles façons de vivre pour tirer leur épingle du jeu. Ils créent, ainsi, de nouveaux « métiers », aussi inattendus les uns que les autres. Même la mort est exploitée à très bon escient. Quiconque n’a pas oublié ses classiques africains se souvient de ce poème du Sénégalais Birago Diop qui rappelle que « les morts ne sont pas morts ». Ils nous voient et veillent sur nous. À l’époque, le membre le plus ancien de la famille se chargeait d’organiser, à la nuit tombante, un rituel d’offrandes. C’était un pauvre poulet qu’on égorgeait. Une fois cuisiné, on en retirait quelques morceaux qu’on plaçait sur un « autel » minuscule avec quelques petites boules de manioc au maïs en évoquant le nom de l’ancêtre concerné par la sollicitation familiale. Il est vrai que tout cela finissait dans la gueule de quelque chien indélicat, bête et méchant. Le reste remplissait nos ventres de bonheur. Les morts ne sont pas morts, tel est notre credo.
Kinshasa, dans sa grande ingéniosité, a trouvé une nouvelle façon de pleurer les chers disparus. Les deuils et les veillées funèbres ont cessé d’être des actes privés concernant uniquement les familles éprouvées pour devenir collectifs.
Jadis, on pleurait les morts dans l’intimité familiale, sur le lieu où le trépassé, avant de monter au ciel ou d’échouer chez Lucifer, selon les croyants, avait laissé s’écouler sa triste vie terrestre. Aujourd’hui, les cérémonies ont lieu dans les mairies ou dans des salles « spécialisées ». Une fois la levée de corps effectuée, le défunt est conduit par les pompes funèbres dans la cour de la mairie. La famille a déjà loué un catafalque où il sera exposé, des chaises ont été installées, où viendront s’asseoir ses proches, amis et connaissances. Sauf qu’il n’est pas seul : il partage cet espace payé en dollars avec d’autres morts. Chaque famille a le droit d’agir comme elle l’entend pour rendre un dernier hommage à l’être cher. Le plus déroutant reste le moment où chaque famille décide de jouer des musiques de circonstance, à un volume de décibels digne des boîtes de nuit. L’enfer sur terre !
Dans cette cacophonie organisée, ceux qui n’ont pas vu le mort pour lequel ils sont venus errent d’un cadavre à l’autre. Les marchands ambulants circulent entre les corps, vendant des oeufs bouillis, des mouchoirs jetables, des bonbons, des cigarettes et même de la nourriture cuisinée ! L’ambiance n’est pas triste, comme cela aurait dû l’être. Les vendeurs autoproclamés de couronnes mortuaires artificielles rôdent tels des charognards pour réaliser de belles affaires. Les dragueurs repèrent leurs proies, avant d’aller prendre une bière bien fraîche dans le bar d’à côté. À Kinshasa, pardieu, les morts meurent mille fois !
J’ai voulu savoir pourquoi les pratiques sociales liées à la mort avaient ainsi changé dans cette ville tentaculaire. Quelqu’un m’a dit que c’était pour éviter les vives disputes familiales portant sur les biens laissés par le défunt. En général, ces querelles surgissent lorsque la famille élargie de l’intéressé s’arroge le droit de déshériter la veuve et les orphelins. Mais cela vaut-il ces veillées funèbres, ces deuils dénaturés qui engraissent les bourgmestres, les pompes funèbres et tous les autres marchands ? Je laisse les morts répondre.
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