Algérie : Sadek Beloucif, l’éthique et la foi
Sadek Beloucif est chef de service en anesthésie-réanimation à Bobigny (France). Cet Algérien féru de littérature a apporté son point de vue, musulman, sur les questions du clonage, de l’euthanasie ou du don d’organes.
Sadek Beloucif est ce que l’on peut appeler un sage, même si, c’est le propre des sages, j’entends déjà ses protestations aiguës. Une personne qui cherche la mesure et le compromis dans toute chose. Pour le rencontrer, il faut passer sous une copie de la monumentale porte de Marrakech à l’entrée de l’« hôpital franco-musulman » Avicenne de Bobigny, ouvert en 1935 dans une banlieue parisienne populaire. C’est là que le professeur, chef du service anesthésie-réanimation depuis 2007, exerce deux jours par semaine au bloc opératoire et aux soins intensifs, en dehors de ses cours à l’université Paris-XIII voisine.
« J’apprends à mes étudiants que si la médecine est de plus en plus technique, paradoxalement, nous devons être de plus en plus humains. Aujourd’hui on ne tolère plus, lors des opérations chirurgicales, qu’il y ait ne serait-ce qu’une mort indue sur 150 000. Mais je préfère dire aux patients : « Je vais tout faire pour que l’opération se passe bien », plutôt que : « Ne vous inquiétez pas, tout ira bien », qui est infantilisant. Et puis, je ne suis pas seul à décider ! » sourit-il en regardant au ciel derrière ses grosses lunettes.
Héritier d’un islam tel qu’il est pratiqué par la majorité des musulmans en France, Sadek Beloucif a été nommé en 1999 au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) par le président de la République d’alors. Il a siégé pendant huit ans aux côtés d’un catholique, d’un protestant, d’un juif et d’un libre-penseur, car il appartient à l’une des « principales familles philosophiques et spirituelles » françaises. Didier Sicard, président du CCNE à cette période, salue un homme à la pensée « extrêmement libre » lors de leurs travaux sur le don d’organes, le statut de l’embryon ou le clonage… « Il n’a jamais prétendu avoir des réponses en s’appuyant uniquement sur sa foi. Il est d’une honnêteté intellectuelle exceptionnelle et a toujours cherché à aller plus loin que les préceptes religieux. L’islam aurait besoin de beaucoup de Sadek Beloucif ! » Lui-même se réjouit d’avoir, en 2000, contribué au texte voté à l’unanimité sur la fin de vie, qui trouvait un consensus « au-delà du simpliste pour ou contre l’euthanasie ». « Je crois que le texte a inspiré Jean Leonetti, rapporteur de la loi qui est toujours en vigueur. » De 2008 à 2011, le professeur a présidé le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine.
Né en 1958 à Annaba, dans l’Est algérien, d’un père sénateur d’Afrique du Nord et d’une mère professeure d’anglais, Sadek Beloucif a grandi dans le 14e arrondissement de Paris dès l’âge de 6 ans. « Je n’ai jamais subi le racisme, mais je ne le tolère pas contre les autres, dit-il. J’ai toujours été protégé grâce à mon milieu social favorisé, c’est malheureusement une évidence. C’est donc une sorte de pied de nez d’exercer désormais à l’hôpital Avicenne. Il a une âme. Je pensais y trouver une juxtaposition de communautés, mais en fait la pauvreté écrase toutes les différences. » S’il a caressé un moment l’idée de rentrer au pays, comme tant d’autres, le « toubib » y a renoncé. « J’ai une dette morale envers mon pays, mais j’essaie de la rembourser avec ce que je fais ici », explique-t-il, très engagé aussi dans la promotion de la greffe et du don d’organes au Maghreb.
Enthousiaste et bavard, il aime les métaphores : « J’ai grandi dans une culture mixée, entre le couscous sauce rouge de l’Est, d’où venait mon père, et le couscous sauce blanche d’Alger, où est née ma mère. Mais il y a toujours eu aussi des steaks frites à la maison ! Je transmets cela à mon fils unique de 18 ans, Rayan. Et comme le faisait mon oncle, qui m’appelait Sadeko, je dissémine des pépites dans sa tête sur plein de choses différentes pour alimenter ses futures réflexions. »
Sadek Beloucif a appris à organiser ses pensées et à les verbaliser dans des formules à mi-chemin entre l’exposé scolaire et le proverbe. Il s’offre aussi le luxe de glisser un « top », ou un « merdique » au milieu d’un vocabulaire riche. Pourtant, rappelle Didier Sicard, « il avait des difficultés d’élocution au début de son mandat, qu’il a fait disparaître en quelques mois ».
Dans son bureau blanc et ordonné, aucune photo sur la table, aucun tableau aux murs. Seuls quelques CD de musique, classique ou jazz, et quantité de livres. Le docteur adore la littérature. Au cours de l’entretien, il a réussi à citer Marcel Pagnol, saint Thomas d’Aquin, Emmanuel Jaffelin, Jean-Paul Sartre, Abdennour Bidar, Hippocrate, Daniel Picouly, William Faulkner, Antoine de Saint-Exupéry, Elie Wiesel, Victor Hugo, Averroès, Jacques Berque, Montaigne – deux fois – et Harry Potter ! D’ailleurs, il vient de se mettre à l’écriture d’un ouvrage qui compilera, pour le grand public, ses réflexions sur l’éthique. « Je crois que ça peut le faire ! » dit-il en souriant.
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