France : Manuel Valls, l’équilibriste

Le nouveau ministre de l’Intérieur a entrepris de détricoter la politique d’immigration de son prédécesseur, mais avec la modération qui lui est habituelle. Cela lui vaut déjà un flot de critiques, à droite comme à gauche. Est-ce forcément mauvais signe ?

Manuel Valls en juin 2012 à Paris. © AFP

Manuel Valls en juin 2012 à Paris. © AFP

Publié le 28 août 2012 Lecture : 4 minutes.

Il est le plus populaire des ministres du gouvernement Ayrault. Le plus sollicité par les médias. Le plus attendu au tournant, aussi, comme il a pu le constater après les violences urbaines du 14 août, à Amiens. Électron libre socialiste, Manuel Valls est aujourd’hui le « premier flic de France ». Ses maîtres mots ? Ordre, fermeté, justice. Normal pour un homme qui invoque volontiers les mânes de Georges Clemenceau, son lointain prédécesseur radical-socialiste au ministère de l’Intérieur (il fut aussi, à deux reprises, président du Conseil au début du XXe siècle). Mais, dès sa première allocution, le 10 mai, lors de la cérémonie de passation des pouvoirs avec Claude Guéant, il a fait entendre sa petite musique personnelle : « Pour celui qui n’est pas né en France, qui est devenu français, qui a appris à aimer ce pays et ses valeurs […], devenir ministre de l’Intérieur, cela montre bien que ce pays est un pays un peu à part. »

Enfant d’immigrés espagnols né à Barcelone en 1962 et naturalisé français à 20 ans, Manuel Valls a gravi un à un, mais très vite, les échelons du pouvoir : conseiller régional à 24 ans, maire d’Évry à 38, député de l’Essonne à 39… Sa sensibilité d’homme de gauche ne fait aucun doute, mais il se montre très iconoclaste en matière de sécurité, raison pour laquelle ses camarades socialistes se sont empressés de le cataloguer « à droite ». Ils ont fini par s’y faire. Valls est aujourd’hui chargé au gouvernement de la sécurité, bien sûr, mais aussi du renseignement, de l’immigration et des cultes. Il entend bien « assumer pleinement les prérogatives régaliennes de l’État », comme il l’a déclaré au quotidien Libération le 20 août.

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Guéant Bis ?

Bref, il n’a pas l’intention de laisser à la droite le monopole de la fermeté. Mais en quoi sa politique diffère-t-elle de celle de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant ? D’abord par le discours, les « éléments de langage », comme aime à le répéter ce spécialiste de la communication – il en fut chargé dans le gouvernement de Lionel Jospin (1997-2001), puis lors de la campagne présidentielle victorieuse de François Hollande. Mais pas seulement. Dans Le Monde, fin juin, il jugeait durement la politique de l’ancien président (et ancien ministre de l’Intérieur), « marquée par des coups de menton et par l’idée que l’immigré était responsable des problèmes des Français ». Faut-il pour autant s’attendre à une régularisation massive des sans-papiers ? Non, bien sûr. « Être de gauche, précise Valls, ce n’est pas régulariser tout le monde et se retrouver ensuite dans une impasse. » La caractéristique de sa politique d’immigration est peut-être la tempérance, la modération, qualité qu’il a revendiquée devant la commission des lois du Sénat, le 25 juillet.

Dans l’immédiat, il entend bien remettre en question les critères de naturalisation « introduits subrepticement par [son] prédécesseur » Claude Guéant, qui transforment la procédure en « course d’obstacles aléatoire et discriminante ». Évoquant la nouvelle réglementation relative à l’acquisition de la nationalité française, qui devait entrer en vigueur le 1er juillet – son application a été suspendue par le gouvernement Ayrault -, il a ironisé sur le test de connaissances (culture, histoire de France, etc.) qu’elle prétend imposer aux postulants : « Certains ministres et sénateurs auraient du mal à y répondre tellement il est hors des clous ! » Dans la même veine, il souhaite réviser les critères de régularisation des sans-papiers. Le nombre des bénéficiaires (30 000 par an) n’augmentera pas, mais leur désignation devrait être plus juste. Actuellement, la moitié des immigrés régularisés le sont, précise Valls, sur des bases « purement discrétionnaires ». Avant la publication d’une nouvelle circulaire, le ministère de l’Intérieur devrait, dès le mois prochain, rendre compte des résultats du dialogue engagé avec les associations sur lesdits critères de naturalisation.

Appels du pied

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Autre chantier : la création d’une carte de séjour d’une validité de trois ans (la mesure concerne entre 50 000 et 60 000 personnes par an). Un projet de loi sera présenté par le ministre « au premier semestre de 2013 ». Mais le gouvernement a déjà pris plusieurs décisions d’urgence, comme l’interdiction d’enfermer des enfants dans un centre de rétention administrative. C’est une vieille revendication des associations de défense des droits des migrants. En janvier, la France avait d’ailleurs été condamnée à ce sujet par la Cour européenne des droits de l’homme. Manque de chance, l’application de la circulaire du 6 juillet n’a pas empêché le décès, peut-être au cours de sa rétention, d’un enfant en bas âge, le 16 août, à Mayotte.

Valls vient par ailleurs de supprimer le versement d’un droit de timbre afin de bénéficier de l’aide médicale de l’État (30 euros par an). La mesure est symbolique. Elle vise avant tout à contrer l’UMP, qui, à l’inverse, critique l’explosion du coût de cette aide médicale aux sans-papiers. Enfin, dès l’automne, un projet de loi devrait être présenté pour mettre fin au « délit de solidarité » qui punit l’aide apportée à des étrangers en situation irrégulière.

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L’entreprise de détricotage de l’héritage Sarkozy-Hortefeux-Guéant ne fait que commencer. Elle devrait valoir à Manuel Valls un surcroît de critiques venant de la gauche plus ou moins extrême, mais aussi de la droite. En 2007, Sarkozy lui avait proposé de rejoindre son gouvernement d’ouverture. En mai dernier, Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP, se déclarait « sincèrement heureux » de sa nomination Place Beauvau. Le temps des appels du pied à l’adresse de ce « socialiste de droite », comme le surnomme un hebdomadaire parisien, est assurément révolu. Imperturbable, Valls maintient le cap : « Comment pourrais-je être à la fois trop dur et laxiste ? plaide-t-il. Ces appréciations contradictoires sont les conséquences du point d’équilibre que je recherche. »

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