Syrie : Lakhdar Brahimi, sur le chemin de Damas
Liban, Irak, Afghanistan… Lakhdar Brahimi est l’homme des missions impossibles. Nommé médiateur de l’ONU en Syrie, le diplomate algérien est peut-être confronté au plus grand défi de sa carrière.
«Êtes-vous confiant ? » « Non ! » Interrogé sur les chances de succès de sa mission en Syrie, Lakhdar Brahimi, le nouveau médiateur de l’ONU et de la Ligue arabe, ne s’est pas embarrassé de formules diplomatiques. Son non catégorique en dit long sur l’homme. Diplomate dans l’âme, Brahimi, 78 ans, est d’abord un militant, c’est-à-dire quelqu’un qui « fait le boulot » avec abnégation et lucidité. Avant d’accepter sa mission, il a exigé et obtenu que sa nomination émane de l’ensemble du Conseil de sécurité.
Sa vocation est précoce. La guerre d’Algérie, déclenchée le 1er novembre 1954, dure depuis deux ans lorsque le FLN décide la grève générale des universités. Brahimi interrompt ses études de droit et de sciences politiques à Paris. Il devient, à 22 ans, ambassadeur de l’Algérie combattante en Indonésie.
Il sera ensuite le premier ambassadeur de l’Algérie indépendante auprès de l’Égypte de Nasser. Ami du raïs, qui l’invite parfois à assister aux réunions de son gouvernement, le diplomate détonne dans le paysage. Il ne porte pas de cravate, arbore une barbe de trois jours, parle un arabe sans fioritures. C’est après le coup d’État du 19 juin 1965 qu’il donne toute la mesure de son talent. Pour Nasser, Ahmed Ben Bella incarnait le prolongement au Maghreb de son propre régime. Il a donc peu de sympathie pour son « tombeur », Houari Boumédiène. Brahimi accomplit un miracle : la normalisation rapide des relations bilatérales.
Ami Mehdi Ben Barka
Au cours de ses années égyptiennes, Brahimi a acquis une vaste connaissance de la région, de ses leaders et de ses conflits. Cette connaissance lui sera précieuse lorsque, numéro deux de la Ligue arabe, il réussit à mettre fin à la guerre du Liban (accords de Taëf en 1989). Dans cette entreprise, il bénéficie du soutien crucial de l’Arabie saoudite et de l’aide efficace de Hassan II. Un détail : Brahimi était l’ami d’un certain Mehdi Ben Barka et c’est chez lui, à l’ambassade d’Algérie au Caire, que le chef de l’opposition marocaine passa la nuit avant de se rendre à son rendez-vous fatidique à Paris…
La science arabe, chez Brahimi, se double d’une science onusienne. Il ne s’est consacré à son propre pays qu’une seule année, en 1991, lorsqu’il en dirigea la diplomatie. Le reste du temps, il est en première ligne sur tous les fronts où l’ONU est engagée : Afrique du Sud, Haïti, Nigeria, Cameroun, Burundi, Soudan, Irak… En 1997, il est son représentant spécial en Afghanistan. En conflit ouvert avec le gouvernement pakistanais, il démissionne deux ans plus tard. Ce qui ne l’empêche pas de revenir en 2001 pour organiser la Loya Jirga (conférence nationale) qui aboutit à l’installation au pouvoir de Hamid Karzaï. En 2000, il avait publié un rapport sur la refonte des opérations de paix.
Le diplomate fait partie des Elders, un groupe de faiseurs de paix réunis sous l’égide de Nelson Mandela qui interviennent dans les zones de tension en livrant leur diagnostic en toute indépendance. Animé par Desmond Tutu, ce cercle compte parmi ses membres Kofi Annan, Richard Branson ou Mary Robinson. Brahimi appartient à un autre groupe, informel celui-là, composé du Français Hubert Védrine, de l’Espagnol Miguel Ángel Moratinos et du Libanais Ghassan Salamé. Ces quatre hommes, éloignés des affaires, continuent à s’intéresser de très près aux conflits qui déchirent le monde. Tous enseignent à Sciences-Po Paris. Maintenant que l’un d’eux a repris du service, les trois autres ne manqueront pas de suivre de près sa mission en Syrie. Et, s’ils ont des idées, ils ne les garderont certainement pas pour eux.
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