Congolismes : quand les bouchards philosophent
Sous l’influence des langues et de la culture régionales, le français parlé au Congo-Brazzaville se colore d’expressions à la saveur rafraîchissante. Florilège.
Congo : démocratie cha cha
En débarquant à Brazzaville ou à Pointe-Noire, vous aurez sûrement envie d’une boisson fraîche. Commandez donc une bière. Une cravatée (marque de bière avec une étiquette en forme de cravate au niveau du goulot) vous comblera d’aise, à condition qu’elle soit bien tapée (très fraîche) et que l’on vous ait apporté un ziboulateur (décapsuleur). Pour goûter au vin de palme, faites appel au spécialiste : le malafoutier. Au cas vous préféreriez un jus de fruit pour ingurgiter votre quota journalier recommandé de cinq fruits et légumes, attention : au Congo, un jus est un soda.
Après ces libations, votre ventre réclamera ses droits, alors n’hésitez pas à boukouter (manger), les produits locaux sont généralement frais et savoureux. La question est de savoir si vous êtes un vrai boukouteur (gros mangeur) – et de faire attention si vous dites à quelqu’un qu’il est un vrai boukouteur, l’expression s’appliquant aussi à celui qui puise sans retenue dans les caisses de l’État. Vous pourrez, comme certains Congolais, apprécier le saka saka qui a dormi (feuilles de manioc de la veille) ou être capable de taper (finir) une marmite entière de trois-pièces, une spécialité locale composée de feuilles de manioc à la sauce d’arachide et au poisson salé. Évitez cependant d’épicer votre plat avec un piment méchant (piquant).
Côté métaphores culinaires, n’oubliez pas que, pendant la guerre civile de la fin des années 1990, les aubergines (grenades) ont causé beaucoup de dégâts. Des miliciens aux noms étranges (Cobras, Ninjas, Cocoyes, Zoulous) pouvaient alors faire voyager ou barrer (exécuter sommairement) quiconque tombait entre leurs mains. Leurs armes crachaient des arachides (cartouches), qu’ils n’hésitaient pas à faire avaler (cribler le corps de balles) aux malheureuses victimes. La paix revenue, les ennemis d’hier ont dû partager le mangement (la nourriture) et kolater (se donner la noix de kola).
Trois Glorieuse
À la fin du repas, votre interlocuteur, au détour de la conversation – les Congolais aiment philosopher, comme ils disent -, peut évoquer les Trois Glorieuses. Vous chercherez évidemment à établir un lien avec les Trois Glorieuses qui agitèrent Paris du 27 au 29 juillet 1830, à la suite d’un bras de fer entre le roi Charles X et le Parlement, hostile à un retour à la monarchie d’avant 1789. Les émeutiers auront raison du roi, contraint de fuir Paris avec sa famille. À quelques détails près, les Trois Glorieuses congolaises ressemblent à leurs camarades françaises de 1830. Il s’agit également de trois journées d’émeutes, les 13, 14 et 15 août 1963, qui ont conduit le premier président du pays, Fulbert Youlou, à démissionner.
Certains Congolais vous diront qu’ils ne parlent pas le patois (la langue maternelle locale). Vous avez le droit de les traiter de bourreurs (menteurs), mais c’est pourtant souvent le cas. En revanche, il est vrai que certaines personnes cafouillent (trichent, resquillent) sans se gêner. Notamment dans les transports en commun. Depuis quelques années, l’État congolais s’est désengagé du secteur des transports pour le laisser à des entrepreneurs privés, et, de plus en plus, les conducteurs de minibus, profitant de l’insuffisance des occasions (moyens de transport), ne respectent plus le long champ (trajet direct).
Ces roublards pratiquent aussi le demi-terrain (sectionner le trajet), condamnant ainsi les malheureux passagers à descendre en cours de route pour chercher d’autres occasions ou à faire diatance (marcher) sur de longues distances, sans même pouvoir katizer (prendre un raccourci), s’ils ne connaissent pas le chemin. Faute d’argent pour prendre un taxi, ceux-ci peuvent quand même monter dans un cent cent (taxi collectif) s’ils n’ont pas peur de rouler en mbeba (n’importe comment, dangereusement) ou, s’ils sont à Impfondo ou à Dolisie, prendre un engin (moto-taxi). Dans ce cas, ils devront partir à seul (seul).
En ville, vous serez certainement témoin de bien d’autres choses mystiques (bizarres), mais personne ne le fait par exprès (exprès). Un bon conseil : il ne faut pas varier (se mettre en colère, s’énerver), car on pourrait croire que vous cherchez à salir (humilier) vos hôtes. Évitez aussi de les insolencer (manquer de respect, insulter) ou de les influencer (fixer dans le but d’impressionner). Enfin, ne perdez pas la tête à trop regarder les barricades (postérieurs proéminents) des Congolaises – une caractéristique qui fait partie des canons de beauté locaux – et ne vous risquez pas non plus à tenter un coup d’État (séduire la femme ou la petite amie d’autrui).
Passés ces premiers contacts, vous vous apercevrez qu’ici la solidarité africaine n’est pas un vain mot, les difficultés de la vie sont telles que les gens, surtout les plus humbles, recourent à la coopération Sud-Sud (entraide mutuelle). En revanche, ne prenez pas toujours la monnaie locale, le franc CFA, pour argent comptant. En effet si, pour vos rendez-vous, vous arrivez toujours en retard, on vous accusera d’avoir l’heure CFA (manquer de ponctualité). On peut également douter de l’âge mentionné sur vos documents officiels et l’on parlera alors d’âge CFA.
Êtes-vous ambianceur (bon vivant) ? Si oui, vous irez sans doute passer le temps dans une boîte. Pas de panique, de fausse joie, ni de méprise si vous entendez un local en héler un autre en l’appelant homo, il interpelle seulement son homonyme (de nom ou de prénom). Alors que vous cherchez dans la foule un visage connu, une jeune fille vous demandera peut-être pourquoi vous la guettez (regardez).
Les quatre lettres
La conversation est engagée. Où habite-t-elle ? « Près du goudron » (avenue bitumée) bien sûr ! Il se peut que la demoiselle soit déjà gaspillée (ne soit plus vierge), mais cela ne vous donne aucunement le droit de lorgner sur son pays bas (sexe féminin). Elle vous dira d’ailleurs certainement qu’elle ne veut pas être bocalisée (concevoir) et, surtout, qu’elle n’est pas une bordelle (prostituée). Elle ajoutera que, de toute façon, elle n’a pas envie d’avoir les quatre lettres (sida). Pour trouver un plan de fuite, si elle est étudiante, elle évoquera ses examens où elle a bu (mal travaillé), tout simplement parce qu’elle n’a pas eu la possibilité de préparer sa bombe (stratégie pour tricher). Un bon samaritain s’approchera alors pour vous chuchoter à l’oreille : « Vraiment, cette femme est boucharde ! » (elle parle trop). De toute façon, cette diacre (jolie fille ou copine) n’est pas faite pour vous.
Rappelez-vous plutôt que vous êtes au pays de la Sape (Société des ambianceurs et personnes élégantes). Passez outre leurs mines parfois patibulaires, leur gestuelle excentrique, et allez discuter avec ses adeptes, les sapeurs. Ne les prenez surtout pas pour des chanvreurs (fumeurs de cannabis). Ils n’adorent que les fringues et les pompes, qu’ils célèbrent notamment en défilant le jour de la fête nationale. Ils vous apprendront beaucoup de choses sur l’art de s’habiller chez les couturiers les plus célèbres du monde en vous initiant à la sapologie ou encore sapelogie. Et quand, à votre tour, vous mettrez vos plus beaux atours, ils ne manqueront pas de vous dire que « vous avez vraiment lancé ! » (fait des frais vestimentaires). Sur ce, à tout moment (au revoir).
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