Brazza-Kinshasa : comme les doigts d’une seule main
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Tshitenge Lubabu M.K.
Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.
Publié le 31 août 2012 Lecture : 3 minutes.
Congo : démocratie cha cha
Au milieu coule un fleuve. Un fleuve aux eaux brunes, voire kaki, depuis qu’il s’est laissé coloniser par ces jacinthes d’eau qui charrient nos destins. Congo, ô Congo ! Sur tes deux bras, deux capitales. Kinshasa-qui-fut-belle et Brazzaville-qui-aspire-à-la-verdure. Entre elles, quatre kilomètres. Seuls quatre petits kilomètres d’un cours d’eau qui feint de les séparer alors qu’il les réunit, comme les doigts d’une seule main, en dépit des orages de l’Histoire. Congo, ô Congo ! Il arrive que Brazzaville et Kinshasa se fâchent, s’observent en chiens de faïence, se dévisagent, se boudent. Les deux pays ont pris l’habitude, depuis les années 1960, d’héberger leurs opposants respectifs, d’attiser les tensions dès que l’occasion se présente, sans jamais en être venus aux mains. Car l’attirance est là, réciproque et mutuelle, plus forte que la haine. Congo, ô Congo !
Tantôt depuis Brazza, tantôt depuis Kin, je te vois débarquer, dans un potopoto indescriptible, ton flot de communs spécimens de la faune humaine – des handicapés moteurs en fauteuil roulant, des aveugles à la cécité suspecte conduits par des guides peu amènes, des gosses plus entreprenants que n’importe lequel de leurs aînés… – qui tous à l’unisson savent mieux que quiconque conjuguer le verbe survivre.
Ils n’adoptent pas « l’attitude stérile du spectateur », comme disait Césaire, car ils ont compris que « la vie n’est pas un spectacle ». Dans cette comédie humaine portuaire, quelque chose m’a toujours amusé : les différentes taxes que les voyageurs doivent payer. La plus drôle est celle qui vous dispense d’être fouillé !
Qu’est-ce qui attire les Kinois à Brazzaville ? La sape – vêtements, chaussures, sacs à main… Les CFA aussi. On vous le dira, à Brazza, « toutes les filles de joie viennent de Kin », sans oublier d’y ajouter « tous les voleurs et bandits ». Ah, ces Zaïrois ! En juillet 2009, à Brazzaville, pendant la campagne présidentielle, lors d’un meeting de l’opposition, l’un des orateurs s’est fait plaisir en clamant que des milliers de Zaïrois étaient venus, à l’appel du camp présidentiel, pour voter Sassou Nguesso contre une poignée de F CFA. Et ils auraient refait le coup cette année pour les législatives ! Incroyable.
Chacune sur sa rive, Brazza et Kin jouent la même musique, celle qui a conquis toute l’Afrique subsaharienne.
Le regard que portent les Brazzavillois sur leurs voisins de fleuve est pourtant loin d’être toujours négatif. Certains, même, ne cachent pas leur admiration pour ces Kinois qu’ils trouvent dynamiques, créatifs, « industrieux »… S’ils croisent un Zaïrois « honnête et intègre », ils ne manquent cependant pas de mettre en doute sa zaïritude. Congo, ô Congo !
Qu’est-ce qui attire les Brazzavillois à Kinshasa ? « Les Zaïroises, parce qu’elles sont plus douces », persifle une Kinoise pur sang. Puis d’ajouter : les vivres, les détergents, la margarine, l’huile… Ils aiment aussi goûter aux nuits chaudes de Kin, avec leurs innombrables bars, restaurants, boîtes, leur pléiade de chanteurs à la mode.
Chacune campée sur sa rive, les deux villes jouent la même musique, celle qui a conquis toute l’Afrique subsaharienne. Paulo Kamba, Jean-Serge Essous, Michel Boyibanda, Youlou Mabiala, Loko Massengo et tant d’autres ont enchanté le public zaïrois. De retour d’un voyage à Brazzaville, des Kinois ont composé quelques chansons cultes, comme Hortense, de Pépé Ndombe Opetum, ou Jarria, de Dalienst Ntesa.
Tous chantent en lingala. Ils sont pourtant de plus en plus rares, sur les deux rives, à maîtriser la richesse de cette langue du fleuve qu’ils ont en partage, de plus en plus rares à pouvoir encore se targuer de la parler sans recourir plus que de raison au français pour masquer la pauvreté de leur vocabulaire. Une vraie plaie !
Laquelle risque de former une blessure plus profonde et handicapante pour tous qu’on ne le pense. J’ai récemment voulu rendre hommage à un ami disparu, Sony Labou Tansi, enfant des deux pays. Pour entamer mon pèlerinage, j’ai pris un taxi pour le 1281, avenue Hippolyte-Mbemba, à Makélékélé, quartier du sud de Brazzaville, là où le célèbre écrivain vivait. À ma plus grande consternation, au 1281, avenue Hippolyte-Mbemba, personne ne se souvient de Sony Labou Tansi. Pis, sa maison, où a été écrite La Vie et demie, appartient désormais à… une Église évangélique. Congo, ô Congo ! Sauveras-tu ton âme ?
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