États-Unis : pourquoi ils draguent les Juifs
Pour s’attirer les suffrages des Juifs, un électorat majoritairement démocrate, Mitt Romney multiplie les prises de position outrancièrement pro-israéliennes. Mais Barack Obama n’est pas en reste. Verdict en novembre.
Retenez bien ce nom : Sheldon Adelson. Avant l’élection présidentielle américaine du mois de novembre, ce richissime businessman juif – il possède plusieurs casinos à Las Vegas, sa fortune est estimée à 25 milliards de dollars (20 milliards d’euros) – s’est juré de dépenser 100 millions de dollars pour faire battre Barack Obama. C’est l’une des plus grosses sommes jamais investies par un particulier aux États-Unis à des fins électorales. Lors de la récente tournée en Israël de Mitt Romney, Adelson, qui possède aussi la nationalité israélienne, a organisé à Jérusalem, à l’hôtel King David, un petit déjeuner destiné à lever des fonds en faveur du candidat républicain. Quelque 80 donateurs juifs américains y ont assisté. En une seule matinée, 1 million de dollars ont été collectés. Les participants sont repartis avec des pin’s où figurait le nom de Mitt Romney en hébreu…
Adelson, qui lors de la primaire républicaine a soutenu Newt Gingrich, est très représentatif de cette caste d’hommes d’affaires juifs – les frères David et Charles Koch, barons de la pétrochimie et troisième fortune américaine, en sont un autre exemple – prêts à tout pour faire élire le candidat le plus favorable à Israël. En échange, celui-ci n’a d’autre choix que de soutenir leurs vues extrémistes concernant le Moyen-Orient : rejet catégorique des frontières de 1967 comme base des négociations israélo-palestiniennes ; refus de la solution des deux États vivant côte à côte ; soutien à d’éventuelles frappes préventives contre l’Iran, etc. Mais aussi, de manière plus symbolique : volonté de faire libérer l’espion Jonathan Pollard, condamné en 1987 à la prison à vie par la justice américaine ; et transfert de Tel-Aviv à Jérusalem, « capitale inaliénable de l’État d’Israël », de l’ambassade des États-Unis.
Washington, le 27 juillet. Dans le bureau ovale de la Maison Blanche, Obama s’apprête à signer le nouveau pacte américano-israélien en matière de défense.
© Susan Walsh/AP/Sipa
Personne n’est plus à droite sur l’échiquier politique juif américain. Pas même l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac), le puissant lobby pro-israélien, dont la conférence annuelle, à Washington DC, est un passage obligé pour tout candidat en campagne (Obama et Romney y ont pris la parole, à une journée d’intervalle, en mars). À titre indicatif, Adelson a rompu avec l’Aipac en 2007, quand ce dernier s’est déclaré favorable à l’octroi d’une aide économique américaine aux Palestiniens…
Obama a beau soutenir fermement Israël et ne pas manquer une occasion de souligner le « lien inébranlable » entre les deux pays, c’est Romney qui a les faveurs d’Adelson et consorts. Il a aussi celui des chrétiens évangéliques, autres partisans du Grand Israël. À titre personnel, il est certes partisan de la solution des deux États, ce qui n’est pas un bon point aux yeux des extrémistes, mais sa relation avec Benyamin Netanyahou n’en est pas moins sensiblement meilleure que celle que le Premier ministre israélien entretien avec Obama. Sur le dossier iranien, en revanche, le candidat républicain a fait de la surenchère lors de son voyage en Israël : il soutient désormais ouvertement l’hypothèse d’une frappe contre l’Iran.
Va-t-en-guerre
Collaborateur du Wall Street Journal et de la chaîne ultraconservatrice Fox News, Dan Senor, l’un de ses conseillers en politique étrangère, est un va-t-en-guerre notoire, auteur d’un livre (Start-Up Nation: The Story of Israel’s Economic Miracle) qui a directement inspiré les désastreux commentaires de Romney sur la prétendue supériorité culturelle des Israéliens sur les Palestiniens. Une supériorité qui expliquerait les différences de développement économique entre les deux peuples. La propre soeur de Senor dirige le bureau de l’Aipac à Jérusalem.
Sur le plan intérieur, hommes d’affaires et lobbys juifs ne ménagent pas leurs efforts pour convaincre leurs coreligionnaires de voter pour Romney en novembre.
Sur le plan intérieur, hommes d’affaires et lobbys juifs ne ménagent pas leurs efforts pour convaincre leurs coreligionnaires de voter pour Romney en novembre. Le Republican Jewish Coalition, groupe soutenu par Adelson, a par exemple lancé une coûteuse campagne publicitaire (plusieurs millions de dollars) dans les États stratégiques de l’Ohio, de la Pennsylvanie et de la Floride. Dans une élection qui s’annonce serrée, les 600 000 Juifs qui vivent en Floride pourraient faire la différence. Il existe un précédent : en septembre 2011, Bob Turner, candidat républicain dans une circonscription de la ville de New York (Queens, Brooklyn) comptant une importante population juive et historiquement démocrate, l’a emporté à la surprise générale sur David Weprin. Il est pourtant catholique, alors que son adversaire démocrate est juif pratiquant. Mais il se montre plus intransigeant sur la question palestinienne.
Convaincre les 5 millions de Juifs américains de voter Romney s’apparente néanmoins à une gageure. En raison de ses opinions majoritairement libérales sur le droit à l’avortement, le mariage homosexuel ou l’immigration, la communauté juive américaine reste un bastion démocrate. La dernière fois qu’elle a voté à une présidentielle pour un républicain, c’était pour Ronald Reagan en 1980. Les démocrates rappellent d’ailleurs que les Juifs new-yorkais qui ont porté leurs suffrages sur un républicain en septembre 2011 sont dans leur majorité des haredim extrêmement conservateurs – et minoritaires dans la communauté.
Pas de "problème juif" pour Obama
À en croire Jeremy Ben-Ami, fondateur de J Street, le grand rival de l’Aipac (ce lobby finance les candidats favorables à une solution équilibrée au Moyen-Orient), les Juifs américains ne se reconnaissent pas dans les positions extrêmes défendues par Adelson. « Barack Obama, juge-t-il, ne sera pas confronté à un problème juif en vue de son éventuelle réélection. » Même son de cloche chez Mik Moore, fondateur du Jewish Council for Education and Research, qui estime qu’« entre 10 % et 15 % des Juifs qui ont voté Obama en 2008 pourraient voter Romney en 2012, pas davantage. Mais personne ne sous-estime l’impact que peuvent avoir sur la campagne les sommes colossales qui y sont dépensées ».
Échaudé par son échec new-yorkais, le camp démocrate multiplie les gestes en direction de la communauté. David Axelrod, le conseiller d’Obama, et Joe Biden, son vice-président, courent les plateaux de télévision et les conférences programmées par les organisations religieuses et insistent lourdement sur l’engagement du président en faveur d’Israël. À ceux qui en douteraient encore, ils rappellent son opposition, en septembre 2011, à l’admission d’un État palestinien aux Nations unies et sa décision de porter l’aide militaire américaine à l’État hébreu à 3 milliards de dollars, dont 250 millions pour l’Iron Dome, sorte de bouclier censé protéger les populations du sud d’Israël des bombes du Hamas.
Au vrai, l’élément fondamental est la lente séparation des deux expériences juives : l’américaine et l’israélienne. C’est même la hantise de certains politiques et lobbyistes des deux pays. Pour la prochaine présidentielle, les Juifs américains ont par exemple, selon un récent sondage, exactement les mêmes préoccupations que leurs compatriotes non juifs : d’abord l’économie, ensuite le fossé grandissant entre riches et pauvres. L’avenir d’Israël n’apparaît qu’en dernière position.
On l’a bien vu, l’an dernier, lorsque le gouvernement israélien a lancé une grande campagne publicitaire aux États-Unis afin d’encourager les Juifs à émigrer en Israël. Au fil des spots, le message était apparu clairement : l’enracinement en Amérique conduit à l’effacement de l’héritage juif. Devant l’indignation de la communauté juive américaine, Netanyahou en personne avait dû annoncer l’arrêt de la campagne.
Même l’engagement d’un Adelson est plus ambigu qu’il n’y paraît. Selon le New York Times, l’avenir d’Israël est en réalité secondaire dans le soutien qu’il apporte à Romney. Quatre-vingt-dix pour cent des revenus de la Las Vegas Sands Corp., son groupe, proviennent d’établissements dont le siège est à Macao ou à Singapour. À ce titre, Adelson est soumis à un taux d’imposition de 9,8 %, loin du taux habituel de 35 %. Une anomalie à laquelle Obama souhaite mettre un terme, ce qui n’est pas le cas, on l’imagine, de Romney. Et si tout ça n’était finalement qu’une histoire de gros sous ?
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