William Nadylam, théâtrothérapeute
L’acteur William Nadylam, fils d’un Camerounais et d’une Réunionnaise, a noué une relation privilégiée avec le metteur en scène britannique Peter Brook. Sans trahir pour autant l’exemple de son père médecin.
La France a le chic pour faire fuir ses talents ! Bien avant que l’Hexagone élise deux députés d’extrême droite, le 17 juin, William Nadylam avait pris la mesure du repli identitaire d’une France rance. Et s’était exilé aux États-Unis pour trouver des rôles à la hauteur de son talent. Il faut dire qu’à son grand étonnement la presse le présente toujours comme « le premier… Rodrigue noir », « le premier… Hamlet noir », « le premier… Noir à avoir joué dans La Flûte enchantée ». Des rôles que le Français doit à des réalisateurs anglo-saxons. Grâce à Declan Donnellan, il fut le seul acteur à oser jouer Le Cid au Festival d’Avignon, quarante-sept ans après Gérard Philipe, en 1998. Là même où il avait présenté La Tragédie du roi Christophe, d’Aimé Césaire, deux années plus tôt. Peter Brook, lui, ne lui proposa pas seulement avec Hamlet ce qui fut son plus beau rôle, il lui offrit aussi une compréhension de son jeu qui l’a profondément forgé et une amitié indéfectible.
« Avec du recul, je me rends compte que Peter Brook m’a appris le théâtre et qu’à travers les rôles qu’il me propose il m’offre un parcours initiatique vers la maturité », explique l’acteur, qui reconnaît avoir noué une relation filiale avec le metteur en scène britannique. Sans doute parce que pendant longtemps son propre père a désapprouvé sa vocation tardive. Mais aussi parce que Peter Brook lui a témoigné sa confiance lorsqu’il en avait le plus besoin : alors qu’il venait d’accepter le rôle de Hamlet, en 2000, le jeune acteur a eu un terrible accident de voiture dont son visage porte encore aujourd’hui les stigmates. Défiguré, il perdit un temps l’usage de la parole. Peter Brook décida néanmoins que Hamlet se ferait avec lui… ou ne se ferait pas. Et il attendit que l’artiste se remette, quitte à déprogrammer la première.
Pas une seconde William Nadylam ne regrette d’avoir refusé d’entrer à la Comédie-Française pour suivre Brook. Une institution peut-être trop repliée sur elle-même pour cet inlassable voyageur… « encore que, depuis deux ans, elle dépoussière le répertoire français et le modernise considérablement ».
Né en France d’un père camerounais et d’une mère réunionnaise d’origine indienne, un pied à Paris, l’autre à New York ou à Londres, William Nadylam est « un nomade que les frontières et les nationalismes effraient ».
Profondément juste et émouvant, ce « végétarien philosophe » incarne actuellement Philemon dans une version très musicale de The Suit – créée au théâtre des Bouffes du Nord, à Paris -, aux côtés de l’actrice sud-africaine Nonhlanhla Kheswa (l’une des choristes de Wyclef Jean). En 1999, Peter Brook avait adapté en français cette pièce de l’écrivain sud-africain Can Themba avec le Français d’origine malienne Bakary Sangaré, aujourd’hui pensionnaire de la Comédie-Française. Avec Can Themba, William Nadylam découvre l’histoire des « Drum Boys », ces journalistes du magazine Drum, réalisé en plein apartheid par une équipe multiraciale, qui avaient pour devise « live fast, die young and have a good-looking corpse » (« vivre vite, mourir jeune et avoir un beau cadavre »). De fait, Can Themba meurt jeune, à 43 ans, d’alcool et de chagrin, exilé au Swaziland après que le gouvernement sud-africain a interdit ses oeuvres en 1966. The Suit, sa pièce la plus célèbre, est un conte cruel sur les relations hommes-femmes. Mais pas seulement. En filigrane, l’apartheid est raconté à travers ces autobus où Noirs et Blancs se côtoient sans se fréquenter et ces shebeens, des bars clandestins où les Noirs noient leur colère.
Le théâtre de Peter Brook n’est pas sans lui rappeler la pratique du kotéba et sa fonction thérapeutique. « Chaque nouvelle expérience trouve un écho en moi et m’enseigne quelque chose sur qui je suis », analyse le jeune homme à l’élégance réfléchie, qui, pendant longtemps, s’est senti coupable de n’avoir pas suivi les traces de son père médecin. « Il était installé en pleine brousse et sauvait des vies », glisse-t-il, admiratif. Lors d’un séjour au Cameroun, où il a grandi jusqu’à 18 ans, Nadylam assiste à une cérémonie pendant laquelle son père reçoit un titre coutumier. Et constate que la mise en scène du rituel est assez proche de ce qu’il fait. Le sentiment de lâcheté et de trahison qu’il ressent envers son père, envers l’Afrique, depuis l’abandon de la médecine pour le théâtre s’estompe. Réconcilié avec lui-même et les siens, William Nadylam peut désormais poursuivre son chemin en toute quiétude.
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