Madagascar : la guerre des clones

En l’espace de quelques jours, Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina se sont rencontrés à deux reprises. La fin de la crise malgache ? Pas sûr, tant l’animosité entre les deux hommes est forte, malgré des parcours similaires.

Un partisan de l’ancien président malgache, Marc Ravalomanana. © Andrea Campeanu/AFP

Un partisan de l’ancien président malgache, Marc Ravalomanana. © Andrea Campeanu/AFP

Publié le 29 août 2012 Lecture : 6 minutes.

Bien malgré eux, à reculons même, Marc Ravalomanana et son tombeur, Andry Rajoelina, rattrapent un peu du temps perdu. Depuis plus de quatre ans qu’ils ferraillent, jamais ils ne s’étaient autant fréquentés. Une première rencontre, en tête à tête et à huis clos, a été organisée fin juillet sur une île perdue des Seychelles sous l’égide de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et de la Commission de l’océan Indien (COI). Sur l’îlot Desroches, ils se sont entretenus avec un minimum de conseillers à leurs côtés. Il s’agissait alors, pour les médiateurs, « de renouer le dialogue » comme on tente de rabibocher deux parents séparés pour le bien de leurs enfants. Il est prévu que les Malgaches élisent leur futur président le 8 mai 2013, et le 3 juillet en cas de second tour.

Un nouveau round s’est tenu le 8 août, toujours aux Seychelles. Comme lors du premier rendez-vous, aucun accord n’a été trouvé. Le tête-à-tête, selon une source diplomatique, n’aurait pas duré plus d’une demi-heure. Un échec, même si « le fait de les réunir est une petite victoire », note un médiateur. Que les deux hommes se parlent de vive voix et s’apostrophent sans intermédiaire, en français ou même en malgache, comme ce fut le cas aux Seychelles, « c’est déjà assez exceptionnel », souligne un diplomate ouest-africain qui a géré le dossier lors des premiers mois de la crise en 2009, avant d’en être éloigné.

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À l’époque, il avait compris que la crise malgache ne relevait pas seulement d’un ras-le-bol général des dérives de Ravalomanana instrumentalisé par une partie de la grande bourgeoisie tananarivienne. Il fallait aussi y voir un de ces combats de coqs dont raffolent les Malgaches. Un duel impitoyable entre deux éléphants prêts à tout écraser sur leur passage. « La haine, entre les deux, était trop forte, quasi viscérale. Un dialogue était impossible à nouer. » D’où l’idée de sortir de leur retraite les deux anciens présidents, Didier Ratsiraka et Albert Zafy, et de les inviter à la table des négociations. « Il s’agissait d’éviter à tout prix un tête-à-tête entre Ravalomanana et Rajoelina qui n’aurait fait qu’attiser les tensions. » Une fausse bonne idée, que les médiateurs de la SADC ont fini par abandonner au bout de trois ans. « Aujourd’hui, la crise se résume à ces deux personnalités, explique un diplomate occidental en poste à Antananarivo. Eux seuls ont la clé pour en sortir. » Le problème, c’est que le temps n’a pas fait son oeuvre. Aujourd’hui encore, « Ravalomanana déteste Rajoelina, l’homme qui l’a empêché d’assouvir son rêve de devenir l’empereur de Madagascar. Et Rajoelina hait cet homme qu’il considère comme odieux et qui a voulu l’écraser, comme tous ses autres rivaux potentiels », explique le même diplomate.

Fils spirituel

Dans un monde fictif, pourtant, Rajoelina (38 ans) ferait un excellent fils spirituel de Ravalomanana (62 ans). Le dauphin idéal. Certains observateurs ont parlé de « clones », tant il est vrai que les similitudes entre leurs deux parcours sont nombreuses. Certes, on note des différences de taille : l’origine sociale (le premier est un petit-bourgeois, le second un enfant des faubourgs miséreux), la religion (l’Église catholique pour l’un, l’Église réformée pour l’autre), le caractère (une urbanité de bon aloi contre une certaine rusticité)… Mais, comme Ravalomanana, Rajoelina est un Merina, l’ethnie la plus puissante du pays. C’est aussi un fidèle croyant qui ne manque pas de faire référence à la Bible. Comme Ravalomanana encore, il a été un entrepreneur à succès. Et comme lui, il décide de se lancer en politique.

Andry Rajoelina

1974 Naissance à Antananarivo

1998 Crée Injet après avoir travaillé dans l’événementiel

2007 Leader dans la publicité, il est élu maire d’Antananarivo

2009 Prend la tête de la Haute Autorité de transition après quatre mois de vives tensions dans le pays

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Nous sommes en 1999. Ravalomanana, petit laitier devenu grand, est à la tête d’un des groupes industriels les plus puissants du pays. Parti de rien, il a fait fortune grâce à un sens inné des affaires, à un prêt de la Banque mondiale (1982) et à quelques passe-droits obtenus dans les années 1990. Mais la puissance de feu de son groupe, Tiko, et son désir de diversifier ses activités sont menacés par la bureaucratie. S’il décide de briguer la mairie d’Antananarivo cette année-là, c’est, dit-on, parce qu’il en a assez d’attendre un permis de construire. En quelques semaines, il crée un parti de toutes pièces autour de sa seule personnalité, Tiako Iarivo (« J’aime Tana »), qui deviendra par la suite Tiako i Madagasikara (« J’aime Madagascar »), dont le nom et les couleurs rappellent son entreprise. Ce n’est pas un hasard : comme tout bon producteur de yaourts en Afrique, Tiko est une entreprise connue et appréciée dans l’ensemble du pays.

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Après avoir pris soin de ne pas porter d’étiquette (opposition ou pouvoir), Ravalomanana se fait élire, à la surprise générale. Son action à la mairie devient la vitrine de ses ambitions. Il veut construire, assainir, moderniser, parfois à marche forcée. Enfin, en mai 2002, après un long bras de fer avec Didier Ratsiraka et grâce au soutien de dizaines de milliers de manifestants, à l’issue du scrutin présidentiel, il gravit les marches du Palais. S’il s’est présenté face au vieil amiral, c’est notamment parce que l’État lui avait cherché des poux en fouillant dans les comptes de Tiko et en menaçant l’entreprise de fermeture.

Cinq ans plus tard, on assiste à un étonnant remake. Depuis plusieurs années, Andry Rajoelina, fils d’un colonel sans envergure, qui a grandi dans la petite bourgeoisie de Tana, est une star locale. Il a commencé par animer des soirées. Puis le DJ au visage poupin a rencontré une ravissante jeune fille venue de la haute, Mialy Razakandisa. Il a des idées et du talent, sa belle-famille a de l’argent. Ensemble, ils montent une société de communication, Injet, qui dominera bientôt le marché de l’affichage publicitaire. En 2006, Rajoelina s’offre une chaîne de télé et une radio (Viva). Le début des ennuis.

Marc Ravalomanana

1949 Naissance à Imerinkasinina

1982 Obtient un prêt de la Banque mondiale : Tiko est né

1999 Leader dans le secteur agroalimentaire, il est élu maire d’Antananarivo

2002 Devient président de la République après un bras de fer de six mois

2009 Chassé du pouvoir par Andry Rajoelina. Exilé depuis en Afrique du Sud

Déjà en 2003, Ravalomanana, dont la fille Sarah souhaitait s’implanter dans le secteur de la communication, lui avait cherché des noises. Le maire de la capitale, un proche de Ravalomanana, avait interdit à Injet d’installer des panneaux publicitaires. En 2007, la pression s’accentue. Avec sa force médiatique, Rajoelina devient un concurrent potentiel. De fait, le jeune homme, qui avait toujours dit ne pas vouloir entrer en politique, finit par franchir le pas. « Il s’est dit : "Le seul moyen de sauver mon business, c’est de prendre la mairie", mais jamais il ne s’était douté que ça l’amènerait plus haut », se souvient un de ses amis.

Il lance alors un mouvement : TGV (pour Tanora Malagasy Vonona, ce qui signifie « jeunes Malgaches prêts »). C’est le surnom que ses amis lui ont donné en raison de ses succès rapides dans les affaires et de son caractère fonceur. Comme Ravalomanana, il ne s’affilie pas officiellement à l’opposition. Et comme lui, il se fait élire à la surprise générale en battant le candidat de Ravalomanana – un camouflet qui ne passe pas pour le tout-puissant président. Nous sommes en décembre 2007. Un an plus tard, irrité par les conflits qui l’opposent à l’État et persuadé que Ravalomanana cherche à l’écraser, il profite de la fermeture de sa chaîne de télévision, Viva, pour appeler à l’insurrection… En mars 2009, après quatre mois de manifestations violentes dans la capitale, il prend le pouvoir.

« Entre ces deux mégalos, ça ne pouvait qu’exploser », persifle un ancien partisan de Ravalomanana rallié à Rajoelina et aujourd’hui retiré de la vie politique. On prêtait à Ravalomanana des rêves d’empereur. Certains signes ne trompaient pas, comme cette volonté affichée et souvent incomprise de réintégrer le célèbre palais de la Reine, le symbole de la puissance merina au XIXe siècle, détruit par un incendie en 1995. Rajoelina, lui aussi, joue sur cette gloire passée. Fin 2010, il a rallié le centre-ville de Tana depuis le même palais dans une tenue qui rappelait celle des souverains passés. « Il veut changer l’histoire de Madagascar », confie l’un de ses proches, qui évoque un « combat de messies ». Avant d’ajouter : « Tous deux se sentent investis d’une mission : sortir le pays de la misère. » Mais, en bons croyants, ils savent que deux messies, c’est un de trop. 

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