Mais avez-vous pensé au léopard ?

Ingénieur des Ponts et Chaussées, docteur en sciences économiques, et à présent écrivain, Fouad Laroui est un brillant touche-à-tout. Après avoir vécu au Royaume-Uni, ce natif d’Oujda, au Maroc, réside aujourd’hui à Amsterdam, où il enseigne la littérature. Son dernier livre, La Vieille Dame du riad, est paru en 2011 aux éditions Julliard.

Fouad Laroui. © DR

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Publié le 29 août 2012 Lecture : 3 minutes.

Développement : l’Afrique idéale
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Développement : l’Afrique idéale

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La conférence était sur le point de se terminer. Les ingénieurs, les planificateurs et les politiques avaient bien travaillé. Sur l’immense tableau électronique qui occupait tout un pan de la salle archimoderne, les images de synthèse se succédaient rapidement, montrant des routes, des barrages, des ports, des voies de chemin de fer, des zones de transfert et des aéroports. Ces messieurs-dames étaient réunis pour décider de l’avenir de l’Afrique et, ma foi, l’avenir de l’Afrique se dessinait là, sur le tableau, et c’était un rêve de technocrate. Le président de séance, souriant, s’exclama :

– Eh bien, mes chers amis, nous sommes donc tous d’accord sur le plan directeur ?

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D’une pichenette, il fit une dernière fois virevolter les images : le réseau routier (futur) étendait sa toile de Tanger à Johannesburg, de Nairobi à Lagos ; le chemin de fer Le Caire-Le Cap, dont l’euphonie ravissait francophones et anglophones, balafrait l’est du continent. À l’ouest, le TGV marocain se prolongeait de Marrakech jusqu’à Durban. Une insolente autoroute reliait Alger à Kinshasa (ce n’était qu’un début) et tant pis si elle signifiait l’arasement de mille collines. Partout d’arrogants barrages arrêtaient le flot impétueux de fleuves qui en devenaient moroses mais navigables. Les villes prolongeaient leurs tentacules à se toucher les unes les autres comme dans un flirt de poulpes géants. Le visage du continent était grêlé de milliards de petits points qui figuraient les antennes de communication qui allaient permettre au bachelier de Cotonou de bavarder avec la collégienne de Soweto. Dans la salle, tout le monde se mit à applaudir. Il y eut même des hourras, des vivats et des coups de sifflet à l’américaine, c’est-à-dire bruyamment approbateurs.

C’est alors qu’un petit bonhomme tout ridé, qui n’avait pipé mot jusque-là, leva la main et demanda la parole. On la lui accorda. Le vieux sage se dressa lentement, ajusta son boubou et murmura dans le micro que lui tendait une Éthiopienne accorte.

– Il me semble, dit-il, qu’on n’a pas recueilli l’avis des principaux intéressés.

Tout le monde se tut. Le président toussota, contrarié.

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– Je ne comprends pas. Nous sommes tous mandatés par des gouvernements élus démocratiquement et, à ce titre, ce que nous décidons représente la volonté générale des Africains.

Le vieux sage secoua la tête, se redressa et tapa dans ses mains. Comme par magie, toutes les portes de l’immense salle de conférences s’ouvrirent et on vit alors un spectacle prodigieux. On vit entrer des zèbres, des éléphants majestueux, des okapis, des lions, des guépards et des léopards, des gazelles (un peu inquiètes), des oryx, des girafes placides, des hippopotames… Sous la voûte, quelques aigles, des pygargues, des grues voletaient, regardant de haut ces homo sapiens qui prétendaient refaire la Création sans leur demander leur avis. Entre les jambes des délégués se faufilaient des petits mammifères et mille espèces de serpents. Ce fut un beau brouhaha. Le délégué ougandais, tremblant de peur, pensait au tohu-bohu biblique, l’Égyptien invoquait Salomon, le Sénégalais riait de bon coeur : il avait compris ce qui se passait. Quand le calme fut revenu dans ce qui ressemblait maintenant à une arche de Noé, on entendit le vieux sage énoncer de sa voix un peu chevrotante :

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– Retournez donc à vos travaux, messieurs, avec plus de modestie.

Le président, tapotant machinalement la tête du petit lémur qui s’était installé sur ses genoux, demanda aux délégués de bien vouloir revenir le lendemain à la première heure puis leva la séance. Quelle affaire ! Il fallait maintenant annuler les billets d’avion du retour, réserver de nouveau des chambres d’hôtel, des tables de restaurant… Pour combien de temps ? Combien de jours, de semaines, de mois ? Impossible de le savoir. Tout était à refaire.

La Matinale.

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