Femme courage des Caraïbes, par Alain Mabanckou
Chronique littéraire d’Alain Mabanckou, écrivain franco-congolais.
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Alain Mabanckou
Alain Mabanckou est écrivain et professeur de littérature francophone à UCLA (États-Unis). Depuis 2016, il occupe la chaire de création artistique au Collège de France.
Publié le 14 août 2012 Lecture : 2 minutes.
Claude Durand a reçu le prix Médicis en 1979 pour La Nuit zoologique. Personnage mythique du milieu éditorial français, il est le traducteur en français, avec sa femme, de Cent Ans de solitude, de Gabriel García Marques. Depuis sa retraite en 2009, il a repris son activité d’écrivain et nous livre un récit original, Lilette, à classer parmi les plus brefs (136 pages) des Lettres françaises, mais d’une rare puissance.
Le narrateur est un journaliste qui retourne sur les lieux d’une éruption volcanique dans un îlot perdu de la Caraïbe afin de retrouver Lilette, la survivante qu’il avait entraperçue au moment du drame. Douze des treize chapitres qui composent le livre commencent par les confessions de la rescapée, le reportage prenant ensuite le relais. On apprend que Lilette, orpheline de mère, née d’un père disparu, a passé la plus grande partie de sa vie à l’« hôtel sans étoile » L’Huître perlière, où elle entra à l’âge de 14 ans comme servante. Elle savait compter mais pas lire. Elle jetait des sorts, dressait des iguanes ou soignait par les plantes qu’elle cultivait. Enfant, elle faisait le ménage du curé, « officiant importé du Centre-Afrique du fait de la crise des vocations ». Adolescente, elle s’inventait des péchés puisés dans les feuilletons radiophoniques, dont les récits confessés allaient servir à illustrer les sermons du pasteur, personnage rabelaisien qui oscillait entre sorcellerie et religion. Jeune fille, elle découvrit le monde à travers la clientèle composite de cet hôtel-restaurant tenu par la Veuve. Lilette apprendra à lire sur le tard avec le fils de sa patronne, Frito, fruit de ses amours d’un après-midi avec monsieur le Maire, ancien baroudeur, grand séducteur, déjà père d’une flopée d’enfants naturels.
Claude Durand a évité les écueils de ces récits qui vendaient jadis l’exotisme, regardaient de très loin les « indigènes » et dont on trouve encore, hélas, les traces dans les littératures française et africaine contemporaines. Nous ne sommes plus devant ces Antilles des agences de voyages, mais devant l’évolution d’un coin des Caraïbes où arrivent l’électrification, le goudron, les magouilles immobilières, et où l’on veut transformer un pénitencier en hôtel de luxe. On est emporté par le regard de l’auteur sur la vie des insulaires, qu’ils soient pêcheurs, matrones majestueuses, marchands à la sauvette, voisines à ragots, pasteur ou maire de village. Lilette nous montre aussi que la brièveté d’un récit ne lui ôte pas forcément de sa profondeur.
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