Football : sorciers blancs, coeurs noirs ?
L’Afrique est une terre de prédilection pour les entraîneurs de football étrangers, et notamment européens. Pour l’amour du ballon rond en Afrique ou pour de l’argent facile…
Michel Dussuyer tire sur sa cigarette, convoque sa mémoire et rassemble ses souvenirs africains. Et sa sentence est presque définitive. « L’Afrique, quand on y goûte, qu’on décide vraiment de s’y investir, ce n’est pas facile de la quitter », assure le sélectionneur de la Guinée. « Travailler sur ce continent, c’est en accepter les réalités. Celui qui bosse en Afrique sait qu’il ne sera pas seulement entraîneur, il devra gérer beaucoup d’autres choses. C’est parfois usant, mais on vit aussi des expériences inoubliables. » Dans les salons d’un confortable hôtel de Metz, ville de l’est de la France où la Guinée est venue affronter le Cameroun pour un « match amical entre amis », en mai dernier, Dussuyer affiche six années d’Afrique au compteur réparties entre la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Bénin. Il fait partie des vingt-trois sélectionneurs étrangers (sur cinquante-cinq sélections) installés sur le continent, le plus ouvert du monde avec l’Asie.
Remontant au milieu des années 1960, la présence de ces professionnels venus d’ailleurs s’est accélérée au fil du temps. Au début, la plupart venaient essentiellement de France ou d’autres ex-puissances coloniales comme le Portugal, la Belgique, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne. Pendant longtemps, la filière d’Europe de l’Est (ex-URSS et ex-Yougoslavie notamment) a été prisée, et pas seulement dans les pays proches idéologiquement du grand frère soviétique. « Mais à présent, ils viennent de partout, de Scandinavie, d’Espagne, d’Amérique du Sud et plus seulement du Brésil, et même des États-Unis », précise Denis Lavagne, le sélectionneur du Cameroun. Pourquoi ? « L’Afrique est attractive, c’est une terre de football, et elle est capable d’offrir des salaires proches de ceux pratiqués en Europe, parfois même équivalents, où des techniciens sont obligés de s’expatrier s’ils veulent travailler », explique-t-il.
« Quand je suis venu au Cameroun, en 1985, il y avait peu d’agents dans le monde du foot, et je n’en avais pas. J’avais été recruté parce que Albert Batteux avait soufflé mon nom à la fédération camerounaise, qui lui demandait conseil. » Claude Le Roy, aujourd’hui sélectionneur de la RD Congo, se souvient ainsi avoir été choisi par le bouche à oreille. Aujourd’hui, la prolifération d’agents facilite les transactions. Mais il existe d’autres possibilités pour des étrangers de travailler en Afrique : les candidatures spontanées ou la filière de l’Unecatef, le syndicat des entraîneurs français, à l’origine de la création de Foot Expat. A.B.
Notoriété et palmarès
L’exil a permis à certains d’entre eux de forcer les portes de leur destin et de se construire une notoriété et un palmarès. Comme Hervé Renard, champion d’Afrique avec la Zambie en février dernier. « J’ai entraîné des équipes de niveau amateur en France avant de travailler avec Claude Le Roy, notamment quand il était à la tête du Ghana. J’ai ensuite décidé de voler de mes propres ailes, en Zambie, en Angola, en Algérie [à l’USM Alger, NDLR] et de nouveau en Zambie. L’Afrique m’a permis de faire mes premiers pas au haut niveau », explique le sélectionneur des Chipolopolo.
Claude Le Roy, aujourd’hui à la tête de la RD Congo, pour la seconde fois, après avoir écumé le continent (Cameroun, Sénégal, Ghana) et remporté une CAN avec les Lions indomptables en 1988, est convaincu de l’impérieuse nécessité de vivre dans le pays où il travaille. « Je n’imagine pas passer les trois quarts de mon temps en France. Quelqu’un qui n’arrive sur place qu’une semaine avant les matchs et repart tout de suite après aura du mal à durer. Car vivre dans le pays qui vous emploie c’est non seulement une question de respect, mais aussi la meilleure façon de s’imprégner de sa culture, de sa mentalité, et de connaître les gens. Il faut parcourir le pays pour voir des matchs, s’intéresser aux joueurs, à la formation des jeunes et des entraîneurs. Cela favorise votre adaptation », assure Le Roy, rejoint dans son raisonnement par Lavagne et partiellement par Dussuyer, lequel se rend régulièrement en Europe. « Mes internationaux évoluent presque tous là-bas, il faut que j’aille les voir et en rechercher d’autres susceptibles d’intégrer la sélection. Je partage mon temps entre l’Europe et l’Afrique. »
Certains sélectionneurs ont laissé une trace sur le continent, même s’ils n’ont rien remporté avec leur sélection, comme Bruno Metsu (au Sénégal entre 2000 et 2002) ou Philippe Troussier (Côte d’Ivoire, Nigeria, Burkina, Afrique du Sud, Maroc). Renard, en installant la Zambie sur le toit de l’Afrique, est devenu le premier non-Africain, depuis le sacre de la Tunisie alors dirigée par Roger Lemerre en 2004, à remporter le titre continental. « Personnellement, cela ne me dérange absolument pas que des Européens ou des Sud-Américains viennent entraîner en Afrique », assure Sami Trabelsi, le sélectionneur tunisien. « Car une majorité d’entre eux a laissé une empreinte, ajoute-t-il. D’autres non, je pense à Clemente au Cameroun, Coelho en Tunisie, Eriksson en Côte d’Ivoire et Lagerbäck au Nigeria. Mais en règle générale ils bénéficient d’une très bonne formation, et c’est évidemment bénéfique. Si un étranger vient avec la volonté de s’adapter, d’apporter quelque chose, il a toutes les chances de réussir. Mais si c’est pour profiter du climat et jouer les touristes, il échouera. »
"Mercenaires"
Cette présence de sélectionneurs importés, souvent qualifiés de « sorciers blancs », est toujours accompagnée de commentaires acides, « parce que certains se comportent comme des mercenaires », regrette Dussuyer. « Quand quelqu’un débarque dans un pays qu’il ne connaît pas en donnant des leçons à tout le monde, en se montrant arrogant et en ne donnant l’impression d’être là que pour prendre son salaire, il fait du tort non seulement à l’Afrique, mais aussi à la profession. » À sa façon, Stephen Keshi s’est fait le porte-parole de ceux qui voient arriver d’un mauvais oeil sous les latitudes africaines des entraîneurs au CV rachitique. « Ils viennent en Afrique nous voler notre boulot », a dénoncé le sélectionneur du Nigeria dans L’Équipe Mag du 21 janvier dernier, visant les Français Manuel Amoros (sélectionneur du Bénin) et Didier Six (sélectionneur du Togo).
« D’autres sont prêts à venir pour des salaires de misère », ajoute un entraîneur français sous le couvert de l’anonymat, sans doute inquiet de voir la manne menacée. Car l’Afrique est capable d’offrir des rémunérations très élevées. Ainsi, Sabri Lamouchi, ancien international français sans aucune expérience sur un banc de touche, perçoit 60 000 euros mensuels en Côte d’Ivoire. François Zahoui, son prédécesseur, émargeait à un peu moins de la moitié. La fédération ivoirienne, alors dirigée par Jacques Anouma, un proche de Laurent Gbagbo, avait cassé sa tirelire en 2010, offrant un traitement princier – 200 000 euros par mois plus les avantages – au Suédois Sven-Göran Eriksson (ex-sélectionneur du Mexique et de l’Angleterre, et entraîneur à succès de l’IFK Göteborg, de Benfica et de la Lazio Rome) pour conduire les Éléphants lors de la Coupe du monde sud-africaine, en 2010. Les Ivoiriens ont été éliminés au premier tour…
À la même époque, son compatriote Lars Lagerbäck a touché 1 400 000 euros pour une « pige » de cinq mois au Nigeria, pour un résultat identique. Au Maroc, le salaire estimé du Belge Eric Gerets oscillait dans une fourchette de 180 000 à 260 000 euros par mois, selon les sources au moment de son arrivée en 2010. Aux dernières nouvelles, il serait finalement de 110 000 euros, primes et avantages non compris. Et lors de son passage sur le banc du Cameroun (juillet 2009-juin 2010), Paul Le Guen avait empoché 650 000 euros, une somme largement supérieure aux salaires en vigueur. « Pour les étrangers, cela tourne généralement autour de 25 000 euros en moyenne, hors primes et avantages », estime un technicien habitué du continent. « Mais on trouve aussi des salaires à 10 000 euros. Et les locaux touchent souvent beaucoup moins. »
Alors pourquoi un tel investissement ? « Un étranger présente un avantage important pour celui qui l’emploie : il sera nettement moins influençable qu’un local », précise Robert Nouzaret, qui a « pigé » en Côte d’Ivoire, en Algérie, en Guinée et en RD Congo. « Il peut partir si on cherche à lui imposer des joueurs ou si on lui en refuse. Un local résiste moins aux pressions, car il sait qu’il devra continuer à travailler dans son pays. Pour garder sa place, il faut parfois faire des concessions… »
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?