Afrique du Sud : nouvel eldorado subsaharien
Moins cher que l’Europe, accessible, dynamique et stable, l’Afrique du Sud offre de nombreux atouts. Le pays est ainsi devenu la destination préférée des élites africaines pour les vacances, les études, les affaires, ou pour se soigner.
Afrique du Sud : nouvel eldorado subsaharien
Il est 16 heures dans le vaste centre commercial Victoria & Alfred Waterfront du Cap. Une famille de touristes angolais patiente devant la billetterie du cinéma NuMetro. « On va voir L’Âge de glace 4 », s’enthousiasme le père, Victor Cordeiro. « Comme on est mercredi, les places ne sont qu’à 50 rands (5 euros) pour un film en 3D ! » ajoute, ravie, sa femme Carolina. Avant la projection, les garçons ont fait du shopping dans les nombreux magasins de sport. Carolina et sa fille de 8 ans ont déambulé dans le centre commercial. Elles ont visité l’aquarium et fait un tour sur la grande roue.
Entrepreneur de 45 ans dans l’import-export pharmaceutique, Victor vient de passer une semaine à Johannesburg pour le travail avant de rejoindre sa famille au Cap. « Ils sont venus par le vol direct Luanda-Le Cap de la compagnie TAAG Angola Airlines », explique-t-il. Avant d’ajouter : « Passer des vacances en Europe tous ensemble revient trop cher. Ici, nous avons loué un appartement 3 000 rands pour une semaine. Avec des additions avoisinant les 800 rands, les restaurants sont bons et moins chers qu’à Luanda. Pour le shopping, toutes les marques sont disponibles. En fait, le seul inconvénient est qu’il faut impérativement parler anglais. »
Loisirs, tourisme médical, business, conférences internationales ou études de haut niveau… L’Afrique du Sud est devenue une destination de prédilection pour les élites subsahariennes, qui peuvent s’appuyer sur vingt années de stabilité politique depuis la fin de l’apartheid, en 1991, une croissance économique continue, des infrastructures de qualité dans la foulée de la Coupe du monde de football de 2010, des liaisons aériennes régulières avec les autres capitales africaines. Qu’il s’agisse du Waterfront du Cap ou du gigantesque centre commercial de Sandton City au nord de Johannesburg, les grandes marques ne s’y sont pas trompées et s’y sont installées pour le plus grand plaisir de « l’Afripolitain », selon l’expression d’Achille Mbembe. Jadis, on le croisait exclusivement à Paris, Londres ou New York… Aujourd’hui, il préfère gagner et dépenser son argent sur le continent. Confort, efficacité et ambition sont ses mots d’ordre, sur fond de crise économique du Nord et d’émergence du Sud. Le pays de Nelson Mandela est un tremplin pour approcher le reste du continent. Et là où l’apartheid empêchait les Noirs de suivre des études supérieures et d’accéder à des emplois qualifiés, sociétés, banques et compagnies d’assurances recrutent maintenant des cadres africains pour remplir leurs quotas dans le cadre du Black Economic Empowerment.
Qualité de vie
« Les Subsahariens sont un énorme atout. Ceux qui viennent d’Afrique de l’Ouest sont plus qualifiés que les Sud-Africains, et leur connaissance du terrain nous ouvre de nouveaux marchés », assure Erik Larsen, porte-parole de la Standard Bank. Edem Lassey, un Ghanéen de 31 ans, a ainsi tourné le dos à Londres et New York. Embauché il y a deux ans et demi par la banque d’investissement sud-africaine Investec, il a quitté le bureau londonien de Goldman Sachs pour s’installer au Cap. « En tant qu’Africain, j’ai envie de participer à l’essor du continent. Mais je ne fais pas semblant d’être philanthrope. Ici, je gagne mieux ma vie et je suis bien placé pour suivre les tendances du marché. Mon potentiel de revenu est nettement plus élevé », explique-t-il. Pour la qualité de vie, rien à redire non plus. « On peut vivre comme en Europe ou aux États-Unis. Il y a énormément de loisirs et, grâce aux infrastructures, on a le temps d’en profiter. Il n’y a pas de pannes d’électricité ou de problèmes quotidiens qui pourraient prendre du temps. L’Afrique du Sud a une mauvaise image, avec la criminalité et la xénophobie, mais ce n’est pas mérité. C’est un pays en pleine croissance qui offre une multitude de possibilités. »
Aux allures anglo-saxonnes, le campus de l’African Leadership Academy, à Johannesburg, accueille nombre de Subsahariens.
© Marc Shoul pour J.A.
À la Bourse de Johannesburg, Tamsin Freemantle, chef du développement des marchés africains, confirme : « Le Johannesburg Stock Exchange représente déjà 60 % des opérations sur le continent. Le nombre important de Subsahariens dans notre secteur va forcément favoriser cette évolution. » Dans l’immobilier, l’impact de ces nouveaux arrivants commence à se faire sentir. « Au deuxième trimestre de 2012, sur les 4 % d’acquisitions effectuées par des étrangers, la part des acheteurs africains est passée à 20 %, contre 8,5 % sur la même période l’année dernière », affirme John Loos, économiste de la First National Bank. Une maison avec trois chambres dans la région du Cap ou de Johannesburg se vend autour de 1,1 million de rands. Le marché immobilier est en progression, avec une croissance moyenne annuelle de 8,7 %. Grâce à son agro-industrie développée, le panier de la ménagère revient moins cher que dans toutes les grandes villes africaines ou européennes. Les factures d’eau et d’électricité sont modérées et le litre d’essence n’est qu’à 11 rands. Seule exception : l’achat d’une voiture neuve, pénalisé par des taxes à l’importation. Mais d’une façon générale, le coût de la vie est très compétitif. Un argument de poids pour les étudiants subsahariens, qui profitent également de facilités pour obtenir un visa (420 rands par an).
Pour son master en littérature africaine anglophone, le Gabonais Sydoine Moudouma-Moudouma, 34 ans, aurait pu se tourner vers Ibadan, au Nigeria, ou Nairobi, au Kenya. Mais l’université de Stellenbosch, près du Cap – pourtant historiquement afrikaner et même proapartheid -, était de loin son premier choix. « Je suis arrivé en 2006. Après une année en langues et deux de master, je termine à présent mon doctorat. Les conditions d’études, les bonnes infrastructures et la présence d’une communauté gabonaise ont motivé ma décision », détaille ce boursier de l’État gabonais qui reçoit également une dotation de 120 000 rands de la Fondation Carnegie. « Pour trouver un niveau d’études équivalent, il aurait fallu aller aux États-Unis. Or, dans mon domaine, c’est inestimable de pouvoir étudier en terre africaine », conclut-il. Sur les 28 000 étudiants de Stellenbosch, près de 2 500 sont subsahariens et viennent majoritairement de Namibie, du Zimbabwe, du Nigeria et du Botswana. Les proportions sont les mêmes à l’université du Witwatersrand de Johannesburg, qui compte 2 200 internationaux sur 29 500 étudiants. Si les francophones sont minoritaires, leur nombre ne cesse de croître. Il s’agit principalement de Gabonais, de Camerounais et de Congolais (Kinshasa et Brazzaville). À Stellenbosch, les frais d’inscription pour un master en sciences avoisinent les 20 000 rands par an, et les 40 000 rands en agriculture. Une chambre en colocation coûte environ 2 800 rands par mois. « Nous recevons une subvention de l’État pour chaque doctorant quelle que soit sa nationalité. À cela s’ajoutent les financements étrangers, notamment en provenance des pays scandinaves, très intéressés par les projets intra-africains », explique Christoff Pauw, le directeur des réseaux internationaux universitaires de l’établissement. Ainsi, depuis 2006, Stellenbosch coordonne un programme de coopération pour doctorants, Partnership for Africa’s Next Generation of Academics (Pangea). La prochaine étape sera d’émettre des diplômes validés par deux universités. Il est également prévu d’informatiser les archives des universités du continent, y compris francophones, pour créer une base de données destinée aux chercheurs africains et conserver leurs publications.
Le campus de l’African Leadership Academy, à Johannesburg
© Marc Shoul pour J.A.
Dans la capitale économique, des hommes d’affaires, dont le Nigérian Hakeem Belo-Osagie, ont créé l’African Leadership Academy (ALA), il y a trois ans. Soutenu par la Fondation Coca-Cola Afrique, ce lycée international accueille – à l’issue d’un concours d’entrée – 185 étudiants de 15 ans à 18 ans (85 % sont des boursiers) issus de 35 pays africains. « Nos cours s’appuient sur les réalités africaines et sur l’histoire du continent, cela permet à nos élèves de rechercher des solutions inspirées de leur quotidien », relate Frank Aswani, le directeur kényan des relations stratégiques.
Tourisme médical
Un autre volet de cette stratégie africaine porte sur la santé, dans un pays qui compte plus de 200 hôpitaux et cliniques. « Je me suis lancée il y a quatorze ans en proposant des séjours de soins esthétiques aux Européens, raconte Lorraine Melvill, la présidente de l’Association de tourisme médical. Mais aujourd’hui, pour cause de crise économique, ils ne viennent pratiquement plus et mes clients sont essentiellement des Africains, pour de grosses opérations parfois, telle l’implantation de prothèse. Nous sommes plus chers que la concurrence asiatique, mais ma clientèle n’est pas à la recherche du moindre coût », ajoute cette professionnelle, qui estime à 9 milliards de rands le chiffre d’affaires annuel de ce secteur d’activité.
Tourisme médical haut de gamme, safaris animaliers pour super-VIP, thalassothérapies sur mesure, croisières grand luxe, visites guidées de prestigieuses caves à vin… La gamme est aussi étendue que le territoire, riche et diversifié. Pour une clientèle no limit, ou tout du moins dépensière. « Alors que les boutiques parisiennes jouent la discrétion en proposant par exemple des sacs en papier kraft pour emballer les articles, ici le luxe s’expose », analyse Inka Crosswaite, anthropologue et spécialiste de la consommation à l’université de Stellenbosch. Selon les dernières statistiques de l’office de tourisme sud-africain, le touriste européen dépense en moyenne 25 000 rands, alors que le budget du visiteur subsaharien dépasse les 33 600 rands. « Ils viennent faire la fête, consommer… Ils s’amusent plus qu’à Dubaï, l’autre destination favorite pour les courts séjours », exulte une professionnelle du tourisme, Thandiwe Mathibela. Durant le premier trimestre de cette année, le nombre de touristes angolais a connu une progression de plus de 48 % par rapport à la même période en 2011. Pour les Ghanéens, la hausse est de 30 %, et de 31 % pour les Tanzaniens. Résultat, South African Airways vient de fermer sa ligne Le Cap-Londres pour étendre ses dessertes sur le continent. Kigali et Bujumbura comptent parmi les nouvelles destinations. Et en septembre, la compagnie aérienne prévoit d’ajouter Abidjan et Brazzaville à ses 26 destinations africaines. En parallèle, Marthinus Van Schalkwyk, le ministre du Tourisme, a débloqué plus de 20 millions de rands pour lancer une campagne de promotion sur le continent.
« Depuis notre ouverture, le marché a vraiment évolué. Notre clientèle, essentiellement européenne et américaine il y a trois ans, devient angolaise et nigériane », explique Debra Algie, chargée de marketing du One&Only, le seul palace six étoiles sud-africain, situé à deux pas du Victoria & Alfred Waterfront. Les 91 chambres « basiques » sont facturées 5 500 rands la nuit et les trois suites, sur deux étages avec quatre chambres et deux piscines, 115 000 rands. Et d’ajouter : « Johannesburg est la cité des affaires, Le Cap, la ville pour les vacances en famille. La visite de Robben Island [l’île où Mandela a été prisonnier pendant près de dix-huit ans, NDLR] est moins prisée que les croisières en mer, la pêche, le shopping ou les spectacles. » Sac Adidas à l’épaule, Coca-Cola dans la main, la famille Cordeiro attend le début de la projection de L’Âge de glace 4 et poursuit tranquillement ses vacances.
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