Syrie : réduit alaouite, la stratégie du bunker ?
L’éventualité d’un repli d’Assad et de ses partisans dans leur berceau relance l’hypothèse d’une reconstitution de l’entité créée par la France mandataire. Mais nombre d’observateurs sont sceptiques.
Muraille érigée le long de la côte syrienne, les tables rocheuses du djebel Ansariyeh courent des monts du Liban à la frontière turque. Un massif parsemé d’antiques fortifications, qui tint lieu de refuge aux persécutés pendant des millénaires : la montagne des Alaouites (communauté dont sont issus la famille Assad et 10 % des Syriens). Sur ses contreforts ouest, le bourg de Qardaha, berceau des Assad, peut-il devenir le centre névralgique des débris de leur État ?
L’hypothèse a pris corps dès juillet 2011, quand Fabrice Balanche, géographe et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, est revenu dans les colonnes du quotidien français Libération sur l’éphémère État des Alaouites créé par la France mandataire entre 1920 et 1936. « Il pourrait être reconstitué dans un futur proche si le régime de Bachar al-Assad finissait par tomber après une sanglante guerre civile », écrivait-il. L’exemple du « Guide » libyen retranché dans sa Syrte natale d’août à octobre 2011 a renforcé l’idée que son homologue syrien pourrait adopter la même tactique de repli.
En octobre 2011, Bechara Raï, patriarche des maronites (Église catholique d’Orient), a d’ailleurs soutenu que « l’État des Alaouites est prêt à être proclamé et [que] l’Occident le reconnaîtra sûrement ». Depuis, la rumeur n’a cessé d’enfler. On a évoqué des transferts massifs d’armes vers la zone, des faits de nettoyage confessionnel ont été rapportés, et on a affirmé que les alliés russes d’Assad, établis dans la base navale de Tartous, à quelques dizaines de kilomètres de Qardaha, seraient prêts à défendre l’ultime bastion.
Clan
Le 18 juillet, un attentat fauche quatre des principaux responsables de la répression, dont Assef Chawkat, vice-ministre de la Défense et beau-frère d’Assad. Pour la première fois, les combats entre armée régulière et insurgés de l’Armée syrienne libre (ASL) atteignent le coeur de Damas. Dans la confusion qui suit, l’opposition annonce – à tort – que le président Assad a fui vers Lattaquié, ville côtière au pied des montagnes alaouites.
Farfelue pour certains, envisageable pour d’autres, l’hypothèse d’un État alaouite fortifié autour du clan Assad est confortée par certains aspects du conflit syrien et repose sur des réalités historiques, dont la mainmise de cette minorité sur l’État et l’économie.
« Les chrétiens à Beyrouth, les Alaouites dans la tombe », scandait-on dans certains cortèges dès le début de la contestation. Pourtant, la plupart des spécialistes rappellent avec insistance que la révolution syrienne n’est pas une guerre confessionnelle. Fin février, l’opposition du Conseil national syrien (CNS) déclarait qu’il voulait « tendre la main [aux Alaouites, NDLR] pour construire un État de droit et de citoyenneté » : « Le régime ne réussira pas à nous pousser à nous entretuer. » Mais celui-ci a très vite cherché à donner une couleur confessionnelle à la crise, se présentant comme le rempart des minorités contre le fanatisme sunnite. Lequel, à la faveur du chaos entretenu par la répression brutale, a fini par gangrener la lutte contre Assad.
Un tel État ne sera jamais reconnu et ne peut être viable, estime l’expert américain Joshua Landis.
En février, depuis son exil saoudien, le religieux Adnan Arour a lancé à propos des Alaouites : « Nous les passerons au hachoir et donnerons leur chair à manger aux chiens. » Des propos qui rappellent ceux de l’une des sources d’inspiration du salafisme, Ibn Taymiyya, théologien sunnite du XIVe siècle. Ce dernier déclarait : « Les Alaouites sont les pires ennemis des musulmans et le djihad contre eux est un grand acte de piété. »
Secte dissidente du chiisme, l’alaouitisme est tenu pour une grande hérésie. Né d’un syncrétisme entre spiritualités préislamiques et principes musulmans, il a pour dogme la réincarnation et attache peu d’importance aux piliers de l’islam. Persécutés par les pouvoirs sunnites, ses adeptes ont trouvé refuge dans les montagnes du Nord-Ouest syrien. Après la Première Guerre mondiale, le projet français de partager la région en États confessionnels a échoué, sauf au Liban. Par la suite, les Alaouites ont été recrutés dans l’administration et dans les forces armées, où ils ont gagné en puissance jusqu’à la prise du pouvoir par le plus éminent d’entre eux, Hafez al-Assad, en 1970.
Curée
Laïque, il a obtenu de Khomeiny qu’il confirme l’appartenance de la communauté au chiisme. Pour s’assurer la loyauté des sunnites, il a confié des fonctions stratégiques à certains d’entre eux, tout en réservant les postes clés de l’État à des Alaouites. Une géopolitique interne fragile, comme l’a montré la récente défection du général sunnite Manaf Tlass, ami d’enfance de Bachar.
Pour Joshua Landis, spécialiste américain du Moyen-Orient, la dispersion de la communauté sur le territoire et son intégration à la société sont les premiers éléments qui rendent impossible la constitution d’un État alaouite. Il considère aussi qu’un tel État ne sera jamais reconnu et ne peut être viable. Ce que confirme le diplomate français arabisant Yves Aubin de La Messuzière, pour qui l’hypothèse d’un tel État « relève de fantasmes anciens ressuscités par les médias et les analystes occidentaux ».
À l’heure où les insurgés syriens concentrent leur offensive sur Damas et Alep, l’hypothèse d’un « Alaouiteland » reste pure conjecture. Les rumeurs répétées de la fuite d’Assad dans son fief servent une opposition pressée de sonner la curée. « La nation trouve sa force dans sa diversité ethnique, religieuse et culturelle. Sa scission serait inacceptable », assurait Assad aux médias turcs début juillet.
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