Moussa Mansaly : « Grâce à des réalisateurs comme Steve Achiepo, le cinéma français change »

À l’affiche du « Marchand de sable » de Steve Achiepo, le Français d’origine sénégalaise tient, pour la première fois, le rôle principal. Et donne la réplique à Aïssa Maïga.

Moussa Mansaly, dans « Le Marchand de sable ». © The Jokers Distribution

eva sauphie

Publié le 10 février 2023 Lecture : 4 minutes.

Certains le connaissent pour son rôle de Mastar dans Validé, une série sur le rap français signée Franck Gastambide, qui a obtenu un grand succès sur Canal+ en 2020 et 2021. Un univers dans lequel Moussa Mansaly, 39 ans, est dans son élément. Après quelques collaborations avec Youssoupha ou encore avec Ol Kainry, l’acteur s’est en effet distingué en tant que rappeur, sous le nom de Sam’s. Avant cela, ce gaillard de 1,88m frappait le ballon en nationale au FC Libourne, un club de football de la Gironde, son département natal.

Tout-terrain, le Bordelais jongle avec habileté entre le petit et le grand écran, entre la caméra et le micro. Pas question de choisir son camp, au grand dam de la profession. « Cela a surtout constitué un problème au début, maintenant ça va mieux. Je n’ai jamais voulu me mettre des barrières. J’aime pouvoir construire ma carrière comme je l’entends », confesse l’acteur, qui a tourné dans une dizaine de films. Parmi eux, des longs-métrages qui ont connu un succès public et ont été salués par la critique, comme Qui vive, de Marianne Tardieu (2014), ou Patients, réalisé par le slameur Grand Corps Malade avec Mehdi Idir (2017).

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Pourtant, cet enfant de Floirac, dans la banlieue bordelaise, n’avait jamais osé rêver devenir acteur. « C’était un but inaccessible, pour moi le gamin qui entrait au cinéma par la porte de derrière avec les copains ou avec le centre social qui nous y emmenait pour 10 francs », se souvient celui qui s’est forgé une culture cinématographique grâce aux films du dimanche soir diffusés à la télévision dans les années 1990. « J’ai été bercé par la pop culture avec Le Parrain, Usual Suspects, Top Gun, Star Wars, les films de Bruce Lee… ». L’adolescent visionnait aussi en format VHS les comédies de Gohou Michel avant de les faire « tourner aux camarades ».

Crise ivoirienne de 2011

Si Moussa Mansaly n’est pas un inconnu du grand public, il ne nous est pas totalement familier. Depuis une dizaine d’années, on l’aperçoit surtout dans des rôles secondaires. Avec Le Marchand de sable, le premier long-métrage de Steve Achiepo, il tient pour la première fois le rôle principal. Il y incarne Djo, un ancien détenu en phase de réinsertion qui retourne vivre dans l’appartement de sa mère, en banlieue parisienne, déjà encombré d’oncles et de tantes.

Père d’une petite fille dont il a la garde partagée, il tente de subvenir à ses besoins en enchaînant les petits boulots, mais peine à lui offrir un cadre de vie stable. Quand l’une de ses tantes, interprétée par Aïssa Maïga, arrive de Côte d’Ivoire pour fuir la crise politique de 2011, Djo, désemparé, cherche une solution pour la loger. Et, face à l’impuissance des travailleurs sociaux à l’aider à trouver un toit, devient marchand de sommeil.

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Un personnage décrit sans manichéisme et interprété avec subtilité, entre candeur et résilience, malgré la gravité de ses actes. « J’ai grandi dans un quartier où la majorité des habitants était issue de l’immigration. On voyait énormément de marchands de sommeil loger des gens dans le besoin, mais je n’avais pas conscience, à l’époque, de tout ce que cette activité impliquait », se souvient ce fils d’un trésorier de l’Union des travailleurs sénégalais en France. « On se disait, avec mes camarades, que c’était bien de reloger les gens. Ce n’est que bien plus tard que j’ai réalisé qu’il s’agissait d’un business, et, surtout, d’un trafic d’êtres humains. J’avais la même innocence que celle que peut avoir Djo dans le film », admet l’ex-gamin de la cité de Dravemont, qui s’est d’abord fait un nom en filmant son quartier au moment des émeutes de 2009 et en diffusant des courts-métrages humoristiques sur YouTube (En attendant demain).

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Fini les « rôles clichés » pour acteurs noirs

Si Le Marchand de sable fait état des difficultés à se loger en France, l’histoire – qui s’éparpille parfois – rend également compte du sort des centaines de milliers de réfugiés politiques ivoiriens arrivés en France à la suite de la crise post-électorale. « Je suis Sénégalais d’origine, mais je fais partie de la diaspora africaine, donc cette histoire me concerne aussi, assure Moussa Mansaly. On parle beaucoup des réfugiés économiques, beaucoup moins des réfugiés politiques venus du continent. La guerre qui sévit en Ukraine depuis plusieurs mois a montré que la France pouvait se mobiliser pour accueillir des migrants. Mais, dès lors qu’il s’agit de l’Afrique, c’est plus compliqué. C’est une politique du deux poids, deux mesures », estime le comédien, qui souhaite pourtant éviter l’écueil victimaire.

« Steve Achiepo est parti de ce qu’il connaissait, puisque son père est Ivoirien. Mais, on le voit dans le film, le “mal-logement” touche tout le monde : des personnes de toutes origines et issues de toutes les couches de la population. » Dans ce long-métrage signé d’un réalisateur noir qui dirige un casting majoritairement noir, aucun communautarisme, donc. L’histoire vise à l’universel. Un changement de paradigme qui ne laisse pas Moussa Mansaly insensible.

« Beaucoup de projets évoquant l’histoire de l’Afrique ou celle de la diaspora ont été réalisés par des cinéastes blancs. Aujourd’hui, les choses changent, avec des réalisateurs comme Steve Achiepo, Alice Diop,  Jean-Pascal Zadi, Ladj Ly... Conséquence, les rôles que l’on nous confie changent, eux aussi. Il y a dix ans, on ne me proposait que des rôles clichés, comme le mec de cité un peu bête ou qui vend de la drogue. Que ces personnages existent ne me dérange pas, mais que [les personnes issues de l’immigration] soient systématiquement présentées comme cela, oui. Et, heureusement, c’est moins le cas aujourd’hui », estime l’acteur, qui veut surtout défendre des personnages ayant un vécu et une trajectoire. Comme Djo, père de famille avant tout, qui se bat pour offrir un environnement de vie décent à sa fille. Et à qui tout le monde, ou presque, peut s’identifier.

Le Marchand de sable, de Steve Achiepo, avec Moussa Mansaly et Aïssa Maïga. En salle en France le 15 février.

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