Mohammed Mouaqit : « La charia est une source, non une norme »

Pour le professeur marocain de sciences politiques, Mohammed Mouaqit, il n’y a pas de contradiction insoluble entre une supposée loi religieuse et la recherche d’une modernité islamo-compatible.

Mohammed Mouaqit est professeur de sciences politiques. © J.A

Mohammed Mouaqit est professeur de sciences politiques. © J.A

Publié le 7 août 2012 Lecture : 2 minutes.

Charia : enquête sur une psychose
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Charia : enquête sur une psychose

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Jeune Afrique : y a-t-il un retour en force de la charia dans le droit ?

Mohammed Mouaqit : Mis à part de rares pays appliquant le droit islamique de manière extensive (Arabie saoudite, Iran), son domaine d’application est de plus en plus étriqué et se réduit au statut personnel. Les sociétés ont suffisamment changé pour qu’il n’y ait pas de réversibilité complète de la législation. L’islamisme est obligé de résoudre le dilemme entre l’éthique de la conviction et l’éthique de la responsabilité en faveur de cette dernière. Sur la question de l’alcool, les islamistes marocains du PJD [Parti de la justice et du développement, qui dirige le gouvernement actuel, NDLR] ont renoncé à son interdiction. Il est vrai que la législation existante interdit déjà formellement la vente aux musulmans. Le problème est de la rendre effective. Cela risque de se faire aux dépens de la manne fiscale générée par la vente de l’alcool.

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Dans La Charia aujourd’hui*, vous expliquez que la charia est d’abord une norme culturelle…?

Dans les esprits et les mentalités, la charia continue de peser lourdement. Depuis la Nahda [mouvement réformiste musulman du XIXe siècle], l’obsession est de rouvrir les portes de l’ijtihâd [« effort »]. L’audace des juristes consiste alors à faire correspondre les valeurs de progrès avec l’esprit de la charia, et vice versa. Certains, peu nombreux pour l’instant, tentent de reconnaître, à partir de la norme islamique, l’égalité hommes-femmes en matière d’héritage. D’une manière générale, la référence à la charia n’est plus l’apanage des oulémas au sens strict et traditionnel. Elle est médiatisée par des producteurs de sens religieux très divers.

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À défaut d’exclure toute référence au droit islamique dans la législation, est-il possible de le codifier ?

La codification de la charia a été en partie réalisée en ce qui concerne le statut personnel. Pour le reste, notamment le droit civil et commercial, la charia importe peu. On est désormais dans un cadre juridique positiviste. Mais le pouvoir d’interprétation du juge reste important, et celui-ci peut considérer que la charia est la norme fondamentale.

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N’y a-t-il pas alors une instrumentalisation de la charia par le droit moderne, et vice versa ?

Absolument. Symboliquement, la charia coexiste toujours avec un droit positif, introduit à l’époque de la colonisation. Toute la question est de savoir comment les acteurs – et notamment les juges – vont résoudre l’équation. Il y a des variantes, mais généralement le cadre de référence ultime d’un État, c’est la Constitution, la loi fondamentale. En Égypte, par exemple, la loi islamique est la source principale de la législation depuis 1980, mais la Haute Cour constitutionnelle n’a pas pour autant interprété ce principe de manière à faire de la charia la norme prévalente de l’ordre juridique.

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Propos recueillis par Youssef Aït Akdim

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À lire :

La Charia aujourd’hui, sous la direction de Baudouin Dupret, La Découverte, 26 euros.

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