Sania Halifa : « On me prenait pour une poupée qui marche »
Dans « Hawa », de Maïmouna Doucouré, Sania Halifa joue son premier grand rôle, aux côtés d’Oumou Sangaré. Si le film laisse sur sa faim, l’actrice albinos est une révélation. À JA, elle raconte sa trajectoire, des Comores à la France en passant par Madagascar.
Sania Halifa est lycéenne, en terminale S. À presque 18 ans, elle s’interroge sur son avenir après le baccalauréat : optera-t-elle pour des études de psychologie ou de médecine ? De ses parents, d’origine comorienne et malgache, elle ne partage pas toutes les caractéristiques physiques, avec sa chevelure blonde aux reflets dorés et sa peau diaphane. Ce sont ces traits particuliers, causés par son albinisme, qui l’ont poussée à passer le casting du dernier film de Maïmouna Doucouré, Hawa (paru sur Amazon Prime Video), dont elle campe le personnage principal.
Michelle Obama, mère adoptive
Comme cela avait déjà été le cas pour Mignonnes (2020), la scénariste franco-sénégalaise ne cherchait pas particulièrement d’acteurs professionnels pour raconter l’histoire d’Hawa, une adolescente de 15 ans qui vit en France avec sa grand-mère, Maminata, une griotte originaire du Mali. Cette femme, qui constitue la seule famille de la jeune fille, est atteinte d’une maladie grave, qui s’apprête à l’emporter. Le film raconte la quête désespérée d’Hawa pour convaincre Michelle Obama, l’ex-première dame des États-Unis, de devenir sa mère adoptive.
« Pour décrocher le rôle d’Hawa, il fallait avoir un physique atypique ou être albinos », raconte Sania Halifa, qui a reçue la fiche de poste grâce à un groupe Instagram, sorte de chaîne de soutien virtuelle où elle conversait avec des jeunes atteints, comme elle, de cette particularité génétique.
L’idée était de réaliser un film sur un personnage atypique afin de montrer que nos différences ne nous empêchent pas d’avancer dans la vie. Un peu à l’image du parcours personnel que raconte souvent Maïmouna Doucouré, Noire, issue d’un milieu éloigné du monde de la scène et qui rêvait de faire du cinéma… Étonnamment, l’albinisme est à la fois au cœur du récit et complètement passé sous silence. « Il était très important qu’on ne prononce pas ce mot », souligne Sania Halifa.
Pourtant, le spectateur se demande pourquoi cette enfant se retrouve seule avec sa grand-mère, loin de son pays natal. A-t-elle été abandonnée en raison de sa couleur de peau ? Les deux femmes ont-elles dû fuir un pays qui persécute les personnes à la peau pâle, comme le racontait White Shadow, de Noaz Deshe, en 2015 ? Le parti pris cinématographique de Maïmouna Doucouré donne parfois l’impression que le film survole le sujet. Aborde-t-on vraiment la différence en ne la nommant pas ? On a envie de connaître Hawa, de la rencontrer autrement que dans cette tragique et rapide quête de figure maternelle, au cours de laquelle elle croise des stars sur son chemin.
L’on se demande parfois où la réalisatrice veut en venir… Et l’on reste sans réponse. Volontairement, d’après la jeune actrice : « On comprend qu’Hawa a subi des discriminations, mais le but du film est de soulever de nombreuses questions et de ne pas donner de réponses, de se concentrer sur le ressenti. » L’objectif serait surtout de dévoiler l’audace qui sommeille en chacun de nous et qui permet à Hawa de tout tenter pour être adoptée par la famille Obama.
« Une bizarrerie »
Mais, au fil de la discussion, Sania Halifa témoigne volontiers de son expérience, bien différente de celle de son personnage. La jeune femme de 17 ans est née dans cette enveloppe claire, de deux parents à la peau noire. Elle incarne ici une enfant solitaire, « qui a énormément de blessures et s’est construite là-dessus, au point d’être dure et renfermée ». Une description aux antipodes de ce qu’est Sania dans la vie : « Je ne me suis jamais sentie seule, parce que j’ai un frère aîné albinos. J’ai eu un modèle, je savais que j’étais différente, mais je ne voyais pas ça comme une bizarrerie. J’ai été éduquée avec l’idée que ce n’était pas un frein dans la vie ».
« Par chance », Sania Halifa estime ne pas avoir subi de discriminations. Elle n’a pas été de ces enfants qui sont enfermés dans les toilettes de l’école, comme le confie brièvement Hawa dans le film. « Au départ, je ne savais pas trop sur quoi me baser pour incarner ce personnage, car je n’ai pas vécu ce qu’il a vécu », poursuit-elle. Pourtant, depuis qu’elle est active sur les réseaux sociaux, sa peau fait d’elle la cible de critiques, surtout sur Twitter. « Quand cela a commencé, j’étais déjà construite, précise-t-elle. Si on m’avait envoyé [de tels messages] quand j’étais plus jeune, alors que je cherchais à me définir, cela aurait été destructeur ». Les récits d’autres jeunes albinos victimes de brimades l’ont aidée à nourrir son personnage.
Pour autant, le regard insistant des autres ne lui est pas inconnu. Ses nouvelles fréquentations de lycée lui en font parfois la remarque : « Mais c’est gênant ! Pourquoi te regarde-t-on comme ça ? » En France ou dans les pays d’origine de ses parents, les Comores et Madagascar, elle y a droit à chaque coin de rue. « Je me souviens de ma première visite à Madagascar, quand j’étais petite. Les gens me montraient du doigt, ils me prenaient pour une poupée qui marche », se souvient-elle.
Avant de donner la réplique à la chanteuse malienne Oumou Sangaré, Sania Halifa n’avait eu qu’un petit rôle dans un court-métrage. Elle qui n’avait pas envisagé cette voie professionnelle s’est retrouvée devant la caméra de Maïmouna Doucouré, incarnant un personnage complexe sur le point de vivre une déflagration, la perte de son seul repère sur Terre. Cette détresse, la comédienne amatrice l’incarne avec justesse et émotion, sans l’avoir jamais vécue. « On s’est tous déjà dit : et si ma maman mourrait là, tout de suite ? Je crois que cette peur nous hante, c’est un sentiment universel. »
Hawa, de Maïmouna Doucouré, depuis le 9 décembre sur Prime Vidéo
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