L’Angola en transe avec Titica
Tout le pays danse sur les rythmes effrénés de Titica. La reine du kuduro assume sans complexe sa transsexualité dans un pays où même l’homosexualité reste taboue. Sa musique s’exporte dans le monde entier et connaît notamment un grand succès au Brésil.
Elle se déhanche, se courbe et fait ressortir ses formes généreuses. « Chão Chão », lance-t-elle sur un rythme effréné. Ce titre de Titica connaît un succès quasi planétaire. Pulpeuse et sexy, la chanteuse angolaise est un transsexuel épanoui dans un pays où l’homosexualité était, jusqu’en 2010, considérée comme un crime. Né dans un quartier pauvre de Luanda il y a vingt-cinq ans, Teca Miguel Garcia, de son nom d’homme, est aussi d’origine congolaise (Brazzaville) par son père, une autre spécificité malvenue dans ce pays d’Afrique australe. L’histoire de cette chanteuse populaire de kuduro et dont le succès dépasse aujourd’hui les frontières de l’Angola (États-Unis, Brésil, Europe…) n’était pas tracée.
« J’ai de bons souvenirs de mon enfance, bien que, comme pour la plupart de mes amis issus d’un milieu pauvre, elle fut dure, raconte l’artiste. Je devais m’occuper de la maison, porter des choses lourdes, et si je voulais une nouvelle paire de chaussures, ce n’était pas possible… » Et lorsque le petit garçon trouve le temps de jouer, son attirance pour les poupées lui révèle rapidement sa différence. À l’adolescence, sa famille comprend son homosexualité et le rejette : « J’ai dû partir à l’âge de 16 ans. Une amie chanteuse, Stela, connue sous le nom de Propria Lixa, m’a accueillie avec sa famille. C’est désormais la mienne à part entière », explique-t-elle.
Les relations sociales sont compliquées. Intolérance et violence rythment son quotidien, mais celle qui vit désormais comme une jeune femme assure ne s’être jamais cachée, avoir toujours su rester elle-même malgré les quolibets. Très vite, elle entame des démarches pour se faire poser des implants mammaires. Ce qu’elle concrétise, en 2010, au Brésil. Dernièrement, elle a eu recours à une seconde intervention chirurgicale au niveau des hanches afin d’accentuer ses courbes pour les rapprocher de celles « d’une guitare », dit-elle.
Sensibilisation
Titica fait ses premiers pas artistiques en tant que danseuse aux côtés de son amie Propria Lixa. Elle rêve néanmoins d’être sous les projecteurs, et brûle déjà de donner de la voix, alors que sa timidité l’en empêche encore. Finalement, en 2010, elle compose Chão avec l’aide de DJ Devitor et du chanteur Mona Star. Le succès est immédiat, et les Angolais téléchargent aussitôt le tube sur leur téléphone portable et l’écoutent en boucle à la radio. Son second single, Olha o Boneco, est chanté en duo avec la star angolaise Ary. L’équipe qui entoure la chanteuse s’est depuis étoffée : son directeur artistique, Heavy C, et sa maison de disques Produções LS, sont aux manettes. Puto Portugês, Mestre Yara, deux chanteurs-compositeurs, participent à l’élaboration de son premier album, tandis que Maria Emilia Abrantes s’occupe de son management.
En quelques mois, la chanteuse, dont le look extravagant (longs cils artificiels colorés, paillettes, tenue sexy…) est proche de celui de l’artiste américaine Lady Gaga, se trouve invitée à toutes les soirées, est nommée meilleure chanteuse de kuduro de l’année 2011, avant de participer à ce qui est probablement le plus grand show télévisé du pays, le Concert annuel des divas, en présence du président José Eduardo dos Santos. « Je ne pense pas que mes chansons pourront complètement changer les mentalités, mais au moins sensibilisent-elles le public à nos souffrances… Il n’est pas normal que les gays ne puissent vivre normalement, respirer librement comme tout le monde ! » poursuit Titica.
"De la bonne musique"
Adulée également hors de son pays natal, la nouvelle star angolaise s’est produite au Portugal, au Brésil et aux États-Unis. Dans l’un de ses autres titres, « Kusi de Pole », la chanteuse, accompagnée de Mona Star, se fend même de quelques phrases en français… À l’étranger, elle dit se sentir reconnue comme une artiste à part entière et non uniquement un transsexuel se trémoussant sur du kuduro. « Mon plus beau souvenir ? Quand je suis montée à minuit sur scène au Brésil devant plus de 10 000 personnes qui scandaient mon nom… C’était absolument incroyable, et je leur suis infiniment reconnaissante ! » Elle espère pouvoir exporter ses chansons – et ses messages – dans le reste du monde : « Je pense pouvoir faire beaucoup pour la cause gay… Si seulement nous pouvions enfin oublier notre différence, travailler comme tout le monde et nous assumer tels que nous sommes… L’Angola et l’Afrique ne sont pas mon unique espace d’expression : je suis une citoyenne du monde ! » En Angola, ses fans ne se posent plus de questions. Pour eux, Titica fait de « la bonne musique », et c’est bien là le plus important.
Kuduro, quèsaco ?
Se prononce « Koudourou »
Vient de cu duro, « cul dur » en portugais
Musique électronique à textes engagés qui mixe rythmes africains, rap et techno
Créé par Tony Amado en 1996 en Angola
Très populaire dans toute l’Afrique lusophone, au Brésil, dans les Antilles, au Portugal…
À l’origine, danse inspirée des pas de Jean-Claude Van Damme dans Kickboxer.
Jusqu’en septembre, Titica donnera une série de concerts en Angola notamment, et espère, entre-temps, faire aboutir un autre projet : réaliser une tournée internationale pour continuer à exporter le kuduro. Baptisée « I Love Kuduro », l’expérience pourrait permettre à la jeune femme de demeurer longtemps dans « le souvenir des gens » comme une grande chanteuse, son voeu le plus cher.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Algérie : Lotfi Double Kanon provoque à nouveau les autorités avec son clip « Ammi...
- Stevie Wonder, Idris Elba, Ludacris… Quand les stars retournent à leurs racines af...
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- En RDC, les lampions du festival Amani éteints avant d’être allumés
- Bantous : la quête des origines