Chine : le jeu des 200 familles

Enrichissement illicite, corruption ou encore prévarication. Ces termes reviennent souvent dans la bouche des Chinois quand ils évoquent leurs dirigeants et leurs proches. Le récent scandale mettant en cause le puissant Bo Xilai est aujourd’hui sur toutes les lèvres.

Bo Xilai, ancien maire de Chongqing, disgrâcié par un scandale en mai dernier. © AFP

Bo Xilai, ancien maire de Chongqing, disgrâcié par un scandale en mai dernier. © AFP

Publié le 25 juillet 2012 Lecture : 5 minutes.

Visiblement mal à l’aise dans son uniforme militaire mal ajusté, Mao Xinyu parle lentement, de manière presque enfantine, lorsqu’il détaille la difficulté d’être un descendant direct de Mao. « Je vis sous pression. Le peuple chinois, les gens ordinaires, projettent sur moi leur amour profond pour le président Mao », dit-il, faisant signe de son bras potelé aux cerbères qui s’agitent autour de lui pour arranger son costume ou l’aviser de se tenir bien droit. Seul petit-fils vivant du dictateur qui a régné sur un cinquième de l’humanité pendant presque trente ans, il est aussi à 42 ans le plus jeune général de division de l’histoire de l’Armée populaire de libération (APL).

Le général Mao a publiquement reconnu que ses diverses réussites devaient beaucoup à son lignage, mais, selon des personnes bien informées, il ne dispose pas d’une fortune personnelle importante et a critiqué la corruption endémique qui règne parmi la progéniture d’autres puissantes dynasties communistes. « Regardez notre famille : y a-t-il parmi tous les descendants du président un haut fonctionnaire ou un homme d’affaires ? Pas un seul », affirmait-il dans un entretien donné à un journal local en mars dernier.

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Mais, à l’heure des réseaux sociaux, il est devenu impossible pour les « princes héritiers », comme on désigne ici les rejetons des caciques du Parti communiste chinois (PCC), de dissimuler leurs fabuleuses fortunes, et le public, de plus en plus informé, a le sentiment qu’une petite classe de gens bien introduits dirige l’économie pour son propre bénéfice. « La corruption n’a jamais atteint cette ampleur en Chine. Nous avons affaire à une économie de marché régie par les autorités. Toute activité exige l’aval et l’appui de membres du pouvoir, explique Yang Jisheng, un vétéran du PCC, journaliste auprès de médias officiels et écrivain. Si le gouverneur de la province était votre père, un seul mot de votre part pourrait signifier l’approbation officielle pour un projet immobilier qui me rapporterait des centaines de millions de yuans [des dizaines de millions d’euros, NDLR], alors quelle importance si je vous reverse quelques millions ? »

L’opinion publique et l’élite politique

Bien sûr, le général Mao a tiré profit de son ascendance familiale. Mais il apparaît surtout dans les cercles des princes héritiers comme une embarrassante plaisanterie et ne possède rien de comparable à la fortune amassée par la famille disgraciée de Bo Xilai, l’ancien maire de Chongqing et membre du bureau politique. Selon les rapports officiels, le clan des Bo contrôle pour plus de 100 millions de dollars (80 millions d’euros) d’actions de compagnies chinoises cotées, et des proches soutiennent que leur fortune est bien plus importante. Les vies privées, les affaires professionnelles et les fortunes des hauts responsables sont traitées comme des secrets d’État. Les censeurs des médias et d’internet mettent tout en oeuvre pour bloquer les informations qui les évoquent.

De plus en plus préoccupé par la manière dont l’opinion perçoit l’élite politique, le Parti a organisé des conférences de presse annuelles entre 2006 et 2010 pour annoncer des mesures obligeant les cadres supérieurs du régime à déclarer publiquement leur patrimoine et celui de leurs proches. Mais à chaque fois, le PCC a conclu la conférence en répétant que « le moment n’était pas venu » et que « davantage d’études devaient être réalisées » avant d’appliquer de telles mesures. Malgré l’absence de déclarations officielles, la déchéance de Bo Xilai a montré aux Chinois la manière dont leurs dirigeants s’étaient enrichis.

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D’ailleurs, quelques recherches sur les activités d’autres familles politiques révèlent des réseaux tentaculaires d’intérêts économiques comparables à celui que contrôlait la famille Bo. Les neuf membres du comité permanent du Politburo, la cellule d’élite qui gouverne le pays, ont presque tous des parents impliqués dans des activités qui dépendent d’autorisations étatiques.

Une réussite fruit du népotisme

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Fille de Li Changchun, le magnat des médias et de la propagande chinoise, et numéro cinq du comité permanent du Politburo, Li Tong dirige ainsi un important fonds de la Bank of China International, consacré aux investissements dans l’industrie des médias. Second dans la hiérarchie du parti, Wu Bangguo a de nombreux parents actifs dans la gestion de placements, la promotion immobilière et la construction. Son gendre, Feng Shaodong, est directeur général de China Guangdong Nuclear Industry Investment, un fonds créé en 2009 par un géant public du nucléaire. Il était auparavant à la tête de la branche investissement de Merill Lynch en Chine, où – selon d’anciens collègues et rivaux – il a remporté presque seul le mandat pour garantir, en 2006, l’introduction à la Bourse de Hong Kong de l’Industrial and Commercial Bank of China, à l’époque la plus grande opération de ce genre au monde.

Comme Feng, beaucoup de princes héritiers ont été recrutés par des banques occidentales et autres multinationales. « Plus vous restez en Chine, plus vous réalisez que tout est contrôlé par quelque deux cents puissantes familles, constate un diplomate occidental spécialiste de l’élite politique chinoise. Vous prenez également conscience que la plupart des grandes compagnies étrangères cherchent à embaucher les fils et les filles de fonctionnaires chinois pour leur ouvrir des portes et faire des affaires. » Certains princes héritiers, dont beaucoup ont étudié dans les meilleures universités chinoises et occidentales, font cependant preuve de grandes compétences. Certains se plaignent même d’être discriminés à cause de leurs origines familiales et regrettent que tous voient dans leur réussite le fruit du népotisme plutôt que de leur talent. 

Corruption rampante

Reste que les directeurs généraux de trois multinationales établies depuis des années en Chine affirment qu’engager des proches de hauts fonctionnaires comme consultants ou comme partenaires de joint-ventures est la norme et même une mesure vitale dans de nombreux secteurs. Selon eux, les princes héritiers préfèrent généralement prendre des participations dans des coentreprises via des holdings basés à Hong Kong ou aux Caraïbes, où les brigades anticorruption chinoises ne peuvent les trouver. De même, les contrats sont écrits sur un papier rouge qui noircit les photocopies ou les documents scannés afin d’éviter une trop large circulation. Dans certains cas, ces parents sont présentés à la fin des négociations comme des consultants hautement rémunérés, et leur subite apparition est généralement le signe que l’affaire est en bonne voie.

Certains, dont de nombreux héritiers, prennent la défense des fonctionnaires et de leurs proches. Pour eux, la responsabilité de la corruption rampante, du népotisme et du trafic d’influence doit être davantage imputée au système qu’aux individus. À l’image du général Mao, ils soutiennent que beaucoup de leurs biens et privilèges leur sont imposés par ceux qui espèrent profiter de leur pedigree. « Peu importe que le fils d’un fonctionnaire se comporte bien ou mal. Même s’il reste cloîtré chez lui, ils viennent frapper à sa porte, lui offrent de l’argent et des sinécures, assure Yang Jisheng. C’est la conséquence d’un système vicié et pas nécessairement la faute des héritiers. »

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