Tunisie : Ennahdha met la balle au centre
Pas de clash. Pas d’annonces à défrayer la chronique. Le 9e congrès d’Ennahdha a cependant levé le voile sur la ligne et les figures montantes du mouvement islamiste avant les élections générales prévues en 2013.
Jamais le mouvement islamiste tunisien n’avait tenu un congrès en public, les huit premiers ayant eu lieu dans la clandestinité et en petit comité. C’est dire tout l’intérêt de ce grand rassemblement d’Ennahdha (« la Renaissance ») au parc des expositions du Kram, près de Tunis, du 12 au 16 juillet, réunissant pour la première fois plus de 1 100 délégués représentant toutes les régions. On allait enfin en savoir plus sur ce parti qui, arrivé en tête aux premières élections démocratiques, en octobre, dirige la coalition gouvernementale chargé de la transition. On s’attendait aussi à ce que ce congrès soit celui de la confrontation. C’était après tout la rencontre inédite et au grand complet entre modernistes et ultraconservateurs, entre dirigeants et cadres de l’extérieur forcés à l’exil pendant plus d’une vingtaine d’années et ceux restés au pays dans les geôles de Ben Ali ou sous étroite surveillance de sa police.
Le grand clash ne semble pas avoir eu lieu. « Cela nous fait rire d’entendre parler de clivages entre gens de l’extérieur et ceux de l’intérieur. Le fait que des exilés aient eu l’occasion de se familiariser avec la pratique de la démocratie ne peut être qu’un enrichissement pour tous », assure Ajmi Lourimi, l’une des têtes pensantes de la génération réputée ouverte et membre du comité exécutif. Abdellatif Mekki, ministre de la Santé, qui fait partie de cette même génération et a été porté à la présidence du congrès, parle quant à lui de « chimie » qui s’est opérée entre les congressistes.
Un "recentrage modéré et centriste"
Cela n’a pas empêché certains débats houleux. Le principal point d’achoppement est lié à ce que l’on pourrait appeler le « recentrage culturel ». Un parti civil peut-il avoir des activités socioculturelles, comme celle de faire de la prédication en se référant à l’identité arabo-musulmane ? « Le mouvement est entré dans le moule d’un parti, répond Lourimi, mais il lui reste à savoir comment mener ce projet de civilisation et sous quelle forme. Certaines voix à l’intérieur et à l’extérieur d’Ennahdha s’élèvent pour dire qu’il ne faudrait pas laisser la place vide aux religieux [les mouvements salafistes, NDLR] et estiment que le mouvement doit jouer un rôle sur ce plan, dans le cadre de la loi. »
La ligne politique esquissée au cours des dix-huit derniers mois par le président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, a toutefois été endossée. Le congrès a consacré le choix d’un État civil et d’un « recentrage modéré et centriste » du mouvement, il est favorable au consensus et à des gouvernements « d’alliance » pendant la transition démocratique, il dit non à la bipolarisation idéologique, il est pour un système parlementaire… Ce congrès était en effet la dernière étape avant les élections générales prévues au printemps 2013 et qui ont constitué la toile de fond des débats.
Leader incontesté
Omniprésent, Ghannouchi n’a cependant pas cherché à jouer au zaïm. Ni photos à son effigie ni slogans. Il a même dû se plier aux exigences démocratiques des congressistes. Son rapport moral n’en est pas un, lui ont-ils signifié, et il a dû en changer le titre. Il demeure, certes, le leader incontesté d’Ennahdha, mais n’a été réélu président du mouvement « que » par 74 % des délégués.
Son pouvoir est contrebalancé par celui de l’ultraconservateur Sadok Chourou, élu à la tête du conseil de la Choura, autorité suprême du mouvement entre deux congrès. Hamadi Jebali, numéro deux de la formation, est confirmé dans sa fonction de chef du gouvernement. Enfin, bien que discrète, la relève se prépare avec la montée en puissance de la génération d’anciens dirigeants du mouvement estudiantin durant les trente dernières années, eux aussi anciens prisonniers ou exilés. Au regard du nombre de voix obtenues lors du vote des membres du conseil de la Choura, outre Ajmi Lourimi et Abdellatif Mekki, parmi les plus populaires figurent Abdelkarim Harouni (ministre du Transport), Ali Laarayedh (Intérieur), Noureddine Bhiri (Justice) et le juriste Habib Khedher.
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