Ramadan : ceux qui le font, ceux qui ne le font pas

La plupart des musulmans, qu’ils soient ou non pratiquants, ont entamé le 20 juillet trente longs jours de privations. En Tunisie, comme en Algérie et au Maroc, le respect des us et interdits liés à ce mois sacré est presque aussi culturel que cultuel. À quelques différences près. Notamment au regard des non-jeûneurs.

Le ramadan, un mois dont le respect des us et interdits est autant liés au culturel qu’au cultuel. © AFP

Le ramadan, un mois dont le respect des us et interdits est autant liés au culturel qu’au cultuel. © AFP

Publié le 30 juillet 2012 Lecture : 6 minutes.

En 1964, Bourguiba, buvant un jus de fruit en public durant le ramadan, signifiait au peuple que la construction du pays avait priorité sur les coutumes, et suscita alors une énorme polémique. De fait, en Tunisie, comme en Algérie et au Maroc, le respect du ramadan a toujours été bien plus ancré dans les moeurs que la prière. Quarante-huit ans et une révolution plus tard, à la faveur de l’émergence islamiste, les Tunisiens se révéleraient-ils plus conservateurs et moins tolérants que les autres Maghrébins et que leurs aînés ?

Les musulmans qui ne jeûnent pas, désignés avec dédain par le sobriquet de fatara (« ceux qui mangent »), sont perçus comme des mauviettes, sans volonté, incapables de supporter quelques privations – comparables à celles qu’observent les Juifs lors de Yom Kippour et les chrétiens pendant le mois de carême. En revanche, contrairement au droit algérien ou marocain, la loi tunisienne ne prévoit aucune sanction contre ceux qui n’observent pas le ramadan et n’interdit pas aux établissements de servir leurs clients. 

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Bras de fer tunisien

Depuis quelques années, les patrons de café et de restaurant hésitent cependant à lever le rideau pendant la journée. « La demande est là, et beaucoup de Tunisiens, surtout en milieu urbain, ne jeûnent pas, mais avec les islamistes ultras, ouvrir est un risque que je ne veux pas courir », explique un cafetier du centre de Tunis. Son propos n’est pas exagéré. L’autoproclamé défenseur des moeurs et de la vertu, Adel Almi, président de l’association Al-Jamia al-Wassatia Li Tawia Wal Islah (« Association centriste de sensibilisation et de réforme »), invite le gouvernement à retirer leur licence aux établissements ouverts durant le mois sacré et intime aux fatara de ne pas provoquer les salafistes en s’affichant.

Comme celui des quatre autres piliers de l’islam, le respect du jeûne relève d’un choix personnel et sa non-observance a toujours été entourée d’une discrétion que certains estiment hypocrite. « Je n’ai pas de comptes à rendre aux hommes. Je ne suis pas pratiquant, je ne jeûne pas et nul ne peut m’y obliger. Pourtant, depuis quelques années, la pression sociale est telle qu’on finit par se sentir honteux », confie Farès, blogueur actif durant la révolution. « Le regard des autres est tel qu’il peut conduire à des drames. Des malades ou des personnes âgées s’entêtent à jeûner, mais beaucoup finissent aux urgences », remarque un médecin de l’hôpital de Sahloul, à Sousse.

Alors que les communautés juive et chrétienne ne changent pas leurs habitudes mais observent plus de retenue en public, nombre de musulmans ont fait des provisions d’alcool, et la bière est en rupture de stock, du jamais vu. Le ramadan, qui tenait plus d’une coutume culturelle que cultuelle dans les années 1970-1980, symbolise désormais, en Tunisie, le bras de fer entre pratiquants et non-pratiquants. 

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Les Algériens et l’anathème du 144 bis 2

Non-jeûneurs aux abris ! En Algérie, la discrétion est de mise pour tous ceux qui n’observent pas le ramadan. Ils sont pourtant nombreux, chaque année, à être appréhendés et déférés devant la justice pour une gorgée d’eau, un quignon de pain ou une « taffe » prise avant le coucher du soleil.

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C’est en 2010 qu’a été enregistré le plus grand nombre d’affaires. Comme celles des huit « dé-jeûneurs » de Béjaïa, surpris en train de siroter des cafés dans un restaurant – que son propriétaire avait pourtant bien pris soin de fermer auparavant – ou des deux ouvriers du bâtiment de la région de Tizi-Ouzou, Salem Fellak et Hocine Hocini, interrompus en pleine pause casse-croûte. Leur procès prendra une autre tournure lorsque Hocini confessera être chrétien. Tous ont finalement bénéficié d’une relaxe grâce au soutien de la population et d’associations, et à la médiatisation de leur « faute ». Les verdicts sont généralement plus sévères lorsque la presse et les associations ne s’en mêlent pas et, chaque année, une dizaine de contrevenants, pourtant discrets, sont condamnés. Il faut dire que les magistrats ont une disposition imparable pour sévir contre les « mangeurs du ramadan » : l’article 144 bis 2. Introduit dans le code pénal en 2001, ce dernier dispose que « quiconque offense le Prophète […] et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen », est puni d’un emprisonnement de trois ans à cinq ans et/ou d’une amende de 50 000 à 100 000 dinars (500 à 1 000 euros). Liberté est donc laissée aux juges d’interpréter la loi et le délit d’offense selon leurs convictions, leur foi, leur raison ou leurs sentiments.

« Cette disposition a été prise pour faire face au prosélytisme, notamment chrétien, qui a fait son apparition au plus fort de la période du terrorisme, explique Me Khaled Bourayou, avocat à la cour d’Alger. L’État a choisi la voie de la répression, craignant que la violence islamiste ne crée un rejet des valeurs de l’islam au sein de la société. L’objectif est donc essentiellement d’ordre sociologique. » Ce processus de régulation fondé sur l’alternance de libertés et d’interdits, comme dans toute société, affiche ses contradictions à l’occasion du ramadan. Ainsi, en Algérie, la consommation d’alcool, permise durant toute l’année, tombe dans le domaine de la prohibition du jour au lendemain. « Trêve éthylique » religieusement observée jusqu’à la célébration de l’Aïd el-Fitr, où les bars sont alors pris d’assaut. 

Un Maroc unanimement antiagitateurs

Les vacances n’excluent pas le bon sens

Le ramadan en pleine haute saison met les tourismes tunisien et marocain dans une situation paradoxale et peut devenir un casse-tête pour les voyageurs. Difficile de trouver un café ou un restaurant ouverts, même dans les grandes villes, même au coeur des quartiers touristiques, en dehors des hôtels, qui continuent de servir leurs clients. En Tunisie, où les associations islamistes soutiennent que « le ramadan n’est pas un désagrément pour les touristes », les tour-opérateurs invitent les voyageurs à ménager les susceptibilités, à porter des tenues décentes, à ne pas boire, manger ou fumer en public. Bref, à faire preuve de bon sens. « Pour les groupes, nous sommes organisés, tout est prévu. En revanche, les touristes individuels peinent à trouver un restaurant ouvert et abordable, tout comme il leur est difficile de ne pas boire en public en pleine canicule. Il y a aussi une baisse générale de la qualité de service, car le personnel jeûne », observe Mohamed, un guide de Nouvelles Frontières. « Le ramadan est un faux problème. Les touristes viennent aussi pour vivre quelque chose de différent et le mois sacré est un moment spécial », assène Nejla, commerçante à deux pas des souks de Tunis. Aux voyageurs d’apprécier et de respecter les coutumes du pays et, pourquoi pas, de les partager. F.D.

Dans le royaume chérifien, comme en 2009, c’est par Facebook que le scandale est arrivé. Début juillet, une poignée de jeunes militants a lancé sur le réseau social l’appel Masayminch (« Nous ne jeûnons pas »). Là où les six activistes du Mouvement alternatif des libertés individuelles (Mali) avaient tenté d’organiser un pique-nique à Mohammedia pour dénoncer l’obligation de jeûner (ou de faire semblant), les membres de Masayminch ouvrent plus largement la question de la tolérance pendant le mois saint. La page Facebook du collectif reçoit des centaines de messages par jour, la plupart extrêmement virulents. Car au Maroc le jeûne est scrupuleusement observé. L’article 222 du code pénal prévoit que « celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion », est puni de un à six mois d’emprisonnement et d’une amende de 200 dirhams (18 euros). Son application stricte est compliquée puisque les critères retenus (appartenance notoire à l’islam, rupture ostentatoire du jeune, excuse religieuse) sont cumulatifs et souvent difficiles à retenir. D’ailleurs, en 2009, les « dé-jeûneurs » du Mali avaient finalement été relâchés sans poursuites après de longs interrogatoires de police. C’est le cas de quelques dizaines de personnes chaque année. La doctrine officielle explique que « ce texte réprime une infraction grave aux prescriptions de la religion musulmane qui peut être l’occasion de désordres en raison de l’indignation qu’elle est susceptible de soulever dans le public ». Porte-voix d’une minorité, ces mouvements sont les pionniers d’un débat encore timide sur la liberté de conscience. Pour l’instant, c’est dans les classes aisées et parmi les milieux de gauche que l’on jeûne le moins. La majorité, elle, fait le ramadan et préférerait que tout le monde fasse pareil.

Des touristes à la terrasse d’un McDonald’s à Rabat.

©Abdelhak Senna/AFP

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Frida Dahmani, à Tunis, Tarek Hafid, à Alger et Youssef Aït Akdim

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