Mali : Bamako, peur sur la ville
Djihadisme dans le Nord et imbroglio politique dans le Sud, les habitants de la capitale malienne, Bamako, vivent dans le doute. Et la crainte. Aux incertitudes institutionnelles s’ajoutent une vive tension et un climat de violence.
Bamako n’est plus Bamako. Depuis le coup d’État qui a renversé, le 21 mars, le président Amadou Toumani Touré (ATT), la coquette capitale malienne s’est enveloppée d’un voile de tristesse. La nuit, cette tristesse se meut en inquiétude. Dès le coucher de soleil, les rues se vident, les retardataires pressent le pas, et les pétaradants « Sotrama », les bus de transport collectif, ont du mal à faire le plein de passagers. Les petites boutiques et les revendeurs à la sauvette font de la résistance. Mais les grands magasins et supermarchés ne cèdent pas à la tentation de séduire le rare chaland nocturne. Le crépuscule venu, les rideaux sont baissés. Seules les enseignes lumineuses et les éclairages publics, entre deux délestages, font illusion.
Rumeurs infondées
"Opération Guindo"
On le disait en cavale en Guinée ou au Burkina. Le colonel Abidine Guindo, ancien aide de camp du président ATT et commandant du 33e régiment commandos parachutistes, était devenu l’ennemi public numéro un depuis le 30 avril, le jour où ce Béret rouge a lancé l’offensive contre la « junte de Kati ».
Le 12 juillet à 1 heure du matin, une équipe de la sécurité d’État (DGSE) l’a appréhendé dans un appartement du quartier huppé de Bamako, ACI 2000. Sa planque ? Un immeuble de trois étages dont le deuxième est occupé par le consulat du Togo, situé à moins de cinquante mètres de l’ambassade de Côte d’Ivoire. Le fugitif avait été localisé un mois auparavant grâce à des écoutes téléphoniques et à la filature de son épouse et d’un certain Ben, qui lui apportait sa nourriture. Déféré devant la justice, il a été placé au camp no 1 de la gendarmerie, à Bamako. Si sa famille lui fait parvenir repas et linge propre, elle n’a pas pu lui rendre visite. Tout comme son avocat, Me Magatte Seye, qui n’a pas eu accès au dossier d’instruction. CH.O.
Le jour, le chaos de la circulation routière reprend le dessus. Le front social est étrangement calme sur fond de morosité économique et de forte érosion du pouvoir d’achat. Mais la confusion institutionnelle, aggravée par la fracture entre les pro- et les antiputsch, alimente une agitation politique permanente. Les manifestations sont fréquentes. La ville bruisse de rumeurs. Dans les « grin », les think-tanks à la malienne, la course aux « scoops » est devenue un sport national. Les uns jurent, la main sur le coeur, avoir croisé la veille un impressionnant convoi militaire sur la route de Ségou : « C’est la preuve que l’armée malienne a entamé sa marche victorieuse en vue de libérer le Nord. » D’autres assurent qu’ATT a quitté son exil dakarois pour rallier Bamako par voie terrestre afin de « récupérer Koulouba et délivrer le pays du diktat des officiers subalternes ». Certains répètent à l’envi que le putschiste Amadou Haya Sanogo a passé sa nuit à sillonner la capitale dans une voiture banalisée.
Autant de propos qui se révèlent très vite infondés. Pas le moindre mouvement de troupes. ATT coule encore des jours tranquilles sur les bords de l’Atlantique. Quant au capitaine Sanogo, il ne quitte son fief, le camp militaire de Kati, qu’à bord d’un imposant cortège d’une vingtaine de véhicules, dont de nombreuses automitrailleuses et deux véhicules blindés. Dépité, l’attaché de défense d’une chancellerie ouest-africaine assure : « Avec les seuls moyens mobilisés pour les déplacements de Sanogo, je pourrais lancer une offensive victorieuse et chasser les occupants à Gao. » Propos exagérés ? À peine. Après la prise de Gao, fin juin, c’est à bord de quatorze véhicules seulement que le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) a pu chasser les indépendantistes touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) d’Ansongo, la seconde agglomération de la région.
Agressions répétées
Dans le Nord, les djihadistes ne cessent de gagner du terrain. À Bamako, les influences du wahhabisme et d’un islam rigoriste sont de plus en plus perceptibles : religiosité, mosquées transformées en tribunes, femmes voilées… Et les incertitudes politiques ne sont pas de nature à ramener la sérénité. Les habitants se perdent en conjectures : controverses sur le Premier ministre, Cheick Modibo Diarra, affublé du peu glorieux sobriquet « homme lige de Kati »… Ils ont peur aussi. Les « ninjas », des commandos d’hommes armés et cagoulés, multiplient les agressions de journalistes, d’opérateurs économiques et même parfois de hauts fonctionnaires. Le mode opératoire ? Descente musclée au domicile ou au bureau de la cible, emmenée sans ménagement en rase campagne, passage à tabac et menace de récidive.
Bamako, quartier de Hamdallaye, le 12 juillet, à 21 heures. Le doyen des journalistes maliens, Saouti Haïdara, 62 ans, directeur de la publication du quotidien L’Indépendant, vient de boucler son journal. Il quitte son bureau et s’apprête à monter dans son véhicule. Trois hommes armés, cagoulés, habillés en civil mais portant des rangers lui intiment l’ordre de les suivre. Le journaliste refuse et exige de voir leur mandat. Ils commencent à le malmener. Des jeunes du quartier tentent de venir à son secours. Peine perdue.
"Où étiez-vous ?"
D’autres molosses arrivent à bord de deux véhicules tout-terrain. L’un d’eux arrose d’une rafale de kalachnikov la façade de l’immeuble du journal. Nous sommes à quelques encablures du camp de Djicoroni, où se sont déroulés les combats fratricides entre Bérets rouges et Bérets verts, le 1er mai. Haïdara est embarqué dans un 4×4. Son fils, présent sur les lieux, tente de suivre le convoi des assaillants. En vain. Il perd leur trace sur la route de l’aéroport. La suite est rapportée par le patron de presse : « Ils m’ont mis un sac sur la tête puis roué de coups dans la voiture. Une fois sortis de la ville, ils m’ont descendu sans ménagement du véhicule et jeté à terre en m’assénant des coups de pied et de crosse de fusil. Je les suppliais d’épargner ma vie. Ils continuaient à frapper. Quand ils m’ont menacé de revenir si je portais plainte, j’ai compris qu’ils me laissaient la vie sauve. » Saouti Haïdara s’en sort avec une fracture à l’avant-bras, quelques côtes fêlées et une dizaine de points de suture.
Le lendemain, la télévision publique diffuse des images du supplicié sur son lit d’hôpital. Le gouvernement condamne, la sécurité d’État assure que l’agression ne restera pas impunie. Son directeur général, le lieutenant-colonel Sidi Alassane Touré, diligente une enquête. Cela ne calme pas la profession. Le 17 juillet, Bamako vit son premier jour sans presse depuis le coup d’État. Un imposant cortège de journalistes, d’artistes et d’hommes politiques se dirige vers la primature. Arrivés sur place, ils font face à des grilles fermées et à un imposant dispositif des forces de sécurité. « C’est une marche pacifique que vous empêchez, où étiez-vous quand Dioncounda Traoré a été agressé au palais de Koulouba ? » crient les manifestants.
Pendant ce temps, le Premier ministre poursuit sa visite des capitales qui l’a mené successivement à Niamey, Dakar, Paris et Ouagadougou. Une tournée d’explication. Après le sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), les 6 et 7 juillet, Cheick Modibo Diarra a annoncé le lancement « d’une large concertation » pour constituer le gouvernement d’union nationale demandé par les pays voisins avant le 31 juillet. Mais à Bamako, les uns refusent que les partis politiques « complices d’ATT » soient associés à la gestion des affaires publiques, les autres exigent un départ du Premier ministre. « Pas question ! réplique l’intéressé. Je ne lâcherai pas. Ni l’hostilité de la presse ni l’animosité de la classe politique ne me feront reculer. Je ne partirai pas. » Méthode Coué ou volonté farouche de poursuivre une laborieuse remise sur les rails d’un pays au bord du gouffre ?
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