Tunisie : une expérience démocratique in vivo

Fadhel Moussa est membre de l’Assemblée nationale constituante, doyen de la faculté des sciences juridiques de Tunis.

Publié le 24 juillet 2012 Lecture : 3 minutes.

Depuis le 6 décembre 2011, la Tunisie vit sous l’empire d’une loi constituante organisant les trois pouvoirs publics : exécutif, législatif et judiciaire. Sans que cela soit un terme consacré, on la désigne par « petite Constitution ». Aux yeux de l’opinion publique, focalisée sur la rédaction de la Constitution, les discussions serrées pour établir clairement le fonctionnement des institutions et définir les prérogatives de chacun ne semblaient pas jusqu’à présent fondamentales.

Coup sur coup, l’extradition de Baghdadi Mahmoudi et la décision présidentielle de limoger Mustapha Kamel Nabli, le gouverneur de la Banque centrale, ont relancé le débat autour de l’organisation des pouvoirs et éprouvé la pertinence des textes définissant les rouages de l’État élaborés par une Assemblée nationale constituante (ANC) souveraine et qui, surtout, ne peut être dissoute. La conscience collective a bien saisi son rôle ; elle réclame désormais son intervention et son arbitrage dans les affaires du pays quand le gouvernement opère des sorties de route. Mais la situation est particulièrement exceptionnelle pour les experts et les constitutionnalistes ; il ne s’agit plus de l’étude de cas abstraits éprouvés dans d’autres pays, mais de l’observation de l’expérience démocratique in vivo et de la mise à l’épreuve des textes.

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Beaucoup avaient affirmé que la Tunisie était le laboratoire des révolutions arabes. Aujourd’hui, le pays met en pratique des outils constitutionnels dont on ne mesurait pas la portée il y a six mois. Si les Tunisiens s’interrogent sur le type de régime qui leur conviendrait, ils peuvent désormais mieux jauger le système parlementaire, puisque les mécanismes de la « petite Constitution » sont similaires. Ils se révèlent même d’autant plus essentiels que le pouvoir de l’Assemblée est un « leurre », la troïka gouvernementale bénéficiant du soutien d’une confortable majorité d’élus. Les marges de manoeuvre de l’opposition sont de fait réduites, mais elle peut faire barrage en utilisant les outils prévus par le règlement intérieur de l’ANC. Interpellations des membres de l’exécutif, questions écrites ou orales et commissions d’enquête sont devenues pratique courante ; cela permet aux Tunisiens de connaître le contenu et la nature des débats ; cela donne un sens à la démocratie, même si la troïka voudrait éviter les débats publics qui mettent au jour ses faiblesses.

L’extradition de Baghdadi Mahmoudi est édifiante ; loin d’être une simple affaire de remise d’un criminel de droit commun aux autorités de son pays, c’est bel et bien une affaire de politique interne et une dispute de prérogatives entre chef du gouvernement et chef de l’État. Cet événement d’importance a donné lieu à un mauvais spectacle. Pourtant, la procédure est aussi claire que simple ; il aurait fallu actionner l’article 20 relatif à un éventuel contentieux entre les deux têtes de l’exécutif et qui fait intervenir le recours à l’ANC, laquelle prend sa décision après consultation du tribunal administratif pour avis. Par ailleurs, le chef du gouvernement aurait pu obtenir un vote de confiance pour l’extradition de Baghdadi Mahmoudi, si celle-ci est conforme au droit. Clairement, on a refusé de porter la question sur la place publique pour éviter les questions gênantes. Le président de l’ANC n’a pas récupéré l’événement en ouvrant le débat. Son refus a provoqué la motion de censure, prévue par l’article 19, déposée par une opposition mobilisée pour engager la responsabilité de l’exécutif.

User de la motion de censure, une première en Tunisie, signifie qu’on a épuisé tous les arguments ; un acte fort qui sera cependant certainement insuffisant pour faire chuter le gouvernement, mais c’est un carton jaune, un avertissement sans frais, d’autant qu’il n’a pas été utilisé dans d’autres circonstances graves qu’a vécues le pays ces derniers mois. Dans un registre différent, la décision de mettre fin aux fonctions du gouverneur de la Banque centrale relève aussi de cet article 20 ; pour garantir l’indépendance de la Banque centrale, la décision de l’exécutif ne peut être définitive et exécutoire qu’après la validation de l’ANC. La mise en place de verrous, qui semblaient inutiles ou trop pointilleux à l’élaboration des textes, garantit aujourd’hui le fonctionnement des mécanismes démocratiques.

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