Libye : retour gagnant pour Mahmoud Jibril

À la tête d’une coalition de 58 partis, l’ancien Premier ministre du Conseil national de transition (CNT) et ex-collaborateur de Seif el-Islam Kadhafi sort renforcé du scrutin législatif du 7 juillet.

Mahmoud Jibril en conférence de presse, le 8 juillet 2012 à Tripoli. © Gianluigi Guercia/AFP

Mahmoud Jibril en conférence de presse, le 8 juillet 2012 à Tripoli. © Gianluigi Guercia/AFP

Publié le 23 juillet 2012 Lecture : 5 minutes.

Premier scrutin démocratique après plus de quarante ans de dictature, les élections du Congrès national général (CNG) libyen, tenues le 7 juillet, semblaient promises au courant islamiste incarné par plusieurs formations, dont le Parti de la justice et de la construction (PJC, émanation des Frères musulmans). Observateurs et chancelleries en convenaient : dans ce pays dépourvu de traditions démocratiques et où l’appartenance tribale a pris l’ascendant sur le sentiment national, seul le fondamentalisme paraissait constituer une force politique attrayante. Cette analyse, qui s’est révélée erronée, se fondait également sur des éléments exogènes avec le triomphe électoral des Frères musulmans dans deux pays voisins, l’Égypte et la Tunisie, dans des conditions presque similaires.

Mais, contre toute attente, ces pronostics ont été déjoués. La Libye post-Kadhafi ne s’est pas livrée corps et âme aux islamistes, leur préférant l’Alliance des forces nationales (AFN), une coalition de 58 partis emmenée par Mahmoud Jibril, 60 ans. Lequel n’était pas lui-même candidat, puisque la loi le lui interdit. Mais son visage apparaît sur toutes les affiches électorales de l’AFN. L’ex-président du bureau exécutif du Conseil national de transition (CNT) est-il le nouvel homme fort de la Libye ? Nul ne peut l’affirmer avec certitude, mais il s’impose déjà comme une figure incontournable.

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Bio Express

28 mai 1952 : naissance à Benghazi

Juillet 1975 : licence en sciences politiques à l’université du Caire

Juillet 1985 : doctorat en sciences politiques à l’université de Pittsburgh, aux États-Unis

Décembre 2007 : recruté par Seif el -Islam Kadhafi pour piloter son programme de réformes

Mars 2011 : rejoint l’insurrection et devient chef de l’exécutif du Conseil national de transition (CNT)

Octobre 2011 : démissionne du CNT

Juillet 2012 : remporte une majorité de sièges au Congrès national général (CNG).

Mahmoud Jibril el-Warfalli est issu, comme son nom l’indique, de la tribu des Warfala, la plus nombreuse dans cette mosaïque tribale qu’est la Libye. Natif de Benghazi, en Cyrénaïque (province orientale), il est ce qu’on appelle une « tête bien faite ». Enfance sans histoires dans sa ville natale, où il effectue ses études primaires. Il a 17 ans quand une poignée d’officiers dirigés par un certain Mouammar Kadhafi renversent, le 1er septembre 1969, la dynastie des Senoussi. Le jeune lycéen n’est pas très enthousiaste. Calme et pondéré, Mahmoud Jibril n’est pas à proprement parler un « révolutionnaire en herbe ». Issu d’une famille pieuse et plutôt monarchiste, il se méfie du discours populiste fortement teinté de nationalisme panarabe des nouveaux dirigeants militaires, mais il se garde de manifester toute hostilité à leur égard. Dix-huit mois plus tard, il décroche son baccalauréat. Sa famille a les moyens de l’envoyer au Caire pour poursuivre des études de sciences politiques. Il y épousera la fille du ministre égyptien de l’Intérieur Shaarawy Gomaa. Licence et maîtrise en poche, il retourne en Libye, où il travaille au ministère des Affaires étrangères, avant de s’envoler pour les États-Unis. Il obtient, en 1985, un doctorat à l’université de Pittsburgh, en Pennsylvanie, où il occupera la chaire de la planification stratégique. Ses étudiants et ses collègues apprécient cet homme discret, disponible et pédagogue.

Carnet d’adresses

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Dans les années 1990, il choisit de s’installer au Caire et crée Getrac, une société de conseil internationale qui travaillera plus tard pour le compte du gouvernement libyen. Il étoffe considérablement son carnet d’adresses, qu’il élargit au Golfe, où les pétromonarchies recourent souvent à ses services.

Après les cercles universitaires, Mahmoud Jibril se taille une bonne réputation dans les milieux politiques et diplomatiques en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Dans son pays, la Libye, Kadhafi est toujours omnipotent, et son fils Seif el-Islam, étoile montante de la Jamahiriya et dauphin putatif du « Guide », envisage un programme de réformes et de modernisation des institutions. Pour ce faire, il cherche l’oiseau rare qui pourrait piloter cette délicate opération. Le nom de Mahmoud Jibril s’impose comme une évidence. Seif el-Islam se rend au Caire pour le convaincre de revenir au bercail. L’universitaire est dubitatif. La démarche est séduisante, les propos de Seif el-Islam semblent sincères. Il demande à son interlocuteur un délai de réflexion. Quelques jours plus tard, la télévision d’État annonce l’attribution d’un strapontin gouvernemental au consultant international.

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Mahmoud Jibril lors de la signature d’un accord sur l’immigration illégale, le 17 juin 2011 à Naples.

© Carlo Hermann/AFP

C’est ainsi que Mahmoud Jibril se trouve bombardé, en 2007, à la tête du Conseil national de planification, avant de prendre, en 2009, les rênes du Conseil national du développement économique, un think-tank chargé de plancher sur les réformes et qui est en réalité une filiale du Monitor Group, lequel conseille Seif el-Islam. En d’autres mots, il devient la plume de ce dernier, écrivant ses discours pour les tribunes internationales et mâchant les dossiers des grandes réformes chères au dauphin. Au cours de cette période, Mahmoud Jibril mesure l’ampleur des dégâts subis par l’État et l’économie libyenne en quatre décennies de dictature. Il jette l’éponge en 2010, un an avant le début de l’insurrection, qu’il rejoint dès mars 2011.

Stratégie payante

Nommé Premier ministre de fait du CNT, avant de cumuler avec le poste de ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Jibril devient la vitrine internationale de la rébellion. Il sillonne les capitales occidentales, où il obtient plusieurs soutiens. Mais ses performances n’empêchent pas ses nombreux détracteurs de lui reprocher sa collaboration, aussi brève fût-elle, avec le clan Kadhafi. La chute de Tripoli et la mort du colonel accélèrent la fin de son magistère de Premier ministre du printemps libyen. Il démissionne en octobre 2011 et promet de revenir à l’occasion des premières élections démocratiques.

En février 2012, il met sur pied une large coalition (alors de 44 partis), l’AFN, et se lance dans une campagne efficace. Malgré les conditions sécuritaires précaires, il fait le tour des régions, Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan. Récusant les qualificatifs de libéral ou de laïque, Mahmoud Jibril développe un discours teinté de nationalisme et prône un islam modéré. Quand ses rivaux islamistes préfèrent discourir sur la charia et font référence au passé islamique des Libyens, lui évoque leur avenir. Une stratégie qui se révélera payante ; l’AFN enregistre un triomphe dans les grandes villes, où se concentre l’électorat libyen.

Il n’est cependant pas dit que Mahmoud Jibril est assuré d’être le prochain Premier ministre, qui sera désigné par le futur président, lui-même élu par le CNG. La complexité du mode de scrutin, la configuration du CNG (80 sièges à la proportionnelle pour les partis et 120 sièges pour les candidats individuels élus par scrutin uninominal) et le « casier judiciaire » d’ancien collaborateur de Seif el-Islam de ce brillant universitaire pèseront certainement dans la suite de sa carrière. Sa montée en puissance confirme en tout cas ce qu’avait révélé le site WikiLeaks. Un télégramme de l’ambassade américaine en Libye adressé en 2010 au département d’État évoquait le personnage en ces termes : un homme à prendre au sérieux.

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