Soudans : le pétrole de la discorde
Un an après l’indépendance du Sud, les deux voisins sont incapables de résoudre leurs différends. En cause : le tracé de la frontière et le partage des revenus de l’or noir.
Indépendance : voilà un beau mot que bien des pays africains, après des années de colonisation, ont chacun modelé à leur manière. Liesse populaire, espoirs, déceptions ont rythmé les hauts et les bas de longs et complexes processus. Mais rarement naissance aura été plus mouvementée que celle, arrachée au forceps après quelque quarante ans de guerre civile, du Soudan du Sud. Le 9 juillet, le 54e État africain a fêté sa première année d’existence. Dans la capitale, Djouba, la foule en liesse était là, comme les chants, les concerts de klaxon, les invités de marque et le défilé militaire à proximité du mémorial John-Garang, père de la nation décédé dans un accident d’hélicoptère en 2005. Mais, au-delà de cette joie de façade, c’est l’inquiétude qui dominait. Le président, Salva Kiir, ne l’a pas caché : « Nous avons combattu pour le droit d’appartenir à la communauté des nations libres et nous l’avons gagné. Mais, puisque nous dépendons toujours des autres, notre liberté est aujourd’hui incomplète. Nous ne devons pas être seulement libérés, nous devons être économiquement indépendants. »
De ce point de vue, la partie est loin d’être gagnée. Après des mois de tensions avec Khartoum, Djouba a en effet choisi de fermer le robinet pétrolier afin de ne pas avoir à payer les taxes exorbitantes exigées par le Nord pour faire transiter le brut jusqu’à Port-Soudan : plus de 30 euros par baril alors qu’un prix raisonnable, quoique élevé, se situerait entre 4 et 6 euros. Ce faisant, Djouba se privait de 98 % de ses revenus. Des maux qui s’ensuivirent, l’inflation galopante n’est pas le pire.
Notre liberté est incomplète. Nous devons être économiquement indépendants.
SALVA KIIR, Président du Soudan du Sud
Les "insectes" du sud
En avril, les deux pays se sont militairement affrontés dans les zones (pétrolifères) frontalières contestées de Heglig et d’Abyei. L’escalade aurait pu – et peut toujours – dégénérer en conflit ouvert. Le président soudanais, Omar el-Béchir, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt lancé par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide au Darfour, n’hésitait pas à dire du Soudan du Sud : « Nous le considérons comme un insecte […] cherchant à détruire le Soudan, et notre principal but désormais est d’éliminer complètement cet insecte. » Depuis, les deux capitales se sont engagées à cesser les hostilités, sans pour autant parvenir à un accord sur le partage de la manne pétrolière et le tracé de la frontière.
Si Djouba, qui ne possède ni industrie ni agriculture, souffre de la fermeture de ses puits, le Nord – qui a perdu 75 % de ses anciennes réserves de brut lors de la partition – paie aussi le prix fort de cette incapacité à s’entendre. Plus encore que le manque de libertés publiques, la crise économique a, ces dernières semaines, poussé bien des citoyens soudanais à sortir dans les rues pour manifester, à leurs risques et périls, leur hostilité à Omar el-Béchir. Depuis l’annonce de nouvelles mesures d’austérité, mi-juin, et notamment de la baisse des subventions sur le carburant, le gouvernement a du mal à gérer une contestation urbaine grandissante malgré un recours intense à la force et aux gaz lacrymogènes.
« Le petit homme de Khartoum », comme l’a qualifié son homologue ougandais, Yoweri Museveni, semble ne pas percevoir ce petit vent de Printemps arabe et prêche pour une nouvelle loi fondamentale : « Nous voulons une Constitution 100 % islamique, sans communisme, ni laïcisme, ni influences occidentales », a-t-il déclaré. Et bien entendu, il ne s’est pas rendu à Djouba, où Salva Kiir l’avait invité pour le premier anniversaire du Soudan du Sud : il s’est contenté d’y dépêcher son vice-ministre des Affaires étrangères.
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