Mali : SOS Tombouctou
Tombouctou outragé ! Tombouctou brisé ! Tombouctou martyrisé ! Mais où s’arrêtera la folie obscurantiste qui cherche à priver l’Afrique de l’un de ses joyaux maliens ?
Ils y sont allés. Ils ont vu. Ils ont détruit. Tombouctou « la mystérieuse », qui avait échappé à de nombreux périls à travers les âges, est blessée au coeur. Depuis le 2 avril, au lendemain de la déroute de l’armée malienne face aux bandes armées du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), aux islamistes d’Ansar Eddine et aux salafistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), la « ville aux 333 saints » était en danger de mort. Le 4 mai, les islamistes avaient donné la mesure de leur déraison en profanant, au nom d’une orthodoxie suspecte, la tombe de Cheikh Sidi Mahmoud Ben Amar, l’une des figures emblématiques de Tombouctou de la fin du XVe et du début du XVIe siècle. La population, outrée, avait bruyamment exprimé son indignation, contraignant les islamistes à un mea-culpa de circonstance. On les avait crus. On avait pensé, naïvement, que ces excités avaient, somme toute, un petit peu de bon sens. Las, le week-end du 30 juin, ils ont détruit sept autres des seize mausolées de la ville avant de saccager la porte sacrée de la mosquée Sidi-Yahia, le 2 juillet.
Une folie destructrice qui, dès le 4 mai, a provoqué une certaine panique, notamment au sein de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Laquelle a dépêché à Bamako, du 18 au 20 mai, une mission conduite par Lalla Aïcha Ben Barka, secrétaire générale adjointe pour l’Afrique. Selon le communiqué publié au terme de cette mission, le gouvernement malien devait remplir trois obligations. D’abord, finaliser son accession au deuxième protocole de 1999 relatif à la convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Ensuite, demander au Comité du patrimoine mondial l’inscription de Tombouctou et du tombeau de l’Askia sur la liste du patrimoine mondial en péril. Enfin, adresser à l’Unesco un rapport sur les mesures urgentes à prendre en vue de la préservation de ses sites inscrits au patrimoine mondial.
Les intégristes perpétrant leur oeuvre de destruction dans une vidéo diffusée par France 2.
Saccage
La réponse des islamistes ne s’est pas fait attendre. Ils se sont acharnés sur tout ce qui faisait la grandeur et le charme quasi mystique de Tombouctou en saccageant l’ensemble de son patrimoine dès que celui-ci a été reconnu en péril par l’Unesco, le 29 juin. « Ce qui fait le plus mal, c’est que ces actes ont été perpétrés par des gens qui se disent musulmans alors qu’ils savent bien qu’à Tombouctou la population n’a jamais adoré les saints. Ceux-ci sont des érudits, des savants qui font la fierté de la ville. Quand les gens viennent leur rendre hommage, cela n’a rien à voir avec une quelconque vénération », affirme Salem Ould Alhadj, historien et chercheur à l’institut de hautes études et de recherches islamiques Ahmed Baba de Tombouctou. Ce qui, des siècles durant, avait résisté à l’usure du temps, à l’avancée inexorable du sable, vient d’être anéanti à coups de pioche par la pire des bêtises : l’intolérance.
Les intégristes perpétrant leur oeuvre de destruction dans une vidéo diffusée par France 2.
Martyr
Aussi loin que remonte la mémoire, Tombouctou a nourri les rêves des hommes. Sa situation aux portes du désert, au nord du fleuve Niger, et l’évocation de son passé glorieux ont toujours été synonymes de mirage, de réalité empreinte de magie ou de légendes têtues. Pourtant, la petite agglomération qui vient de subir le martyre ne relève d’aucun sortilège : elle était, jusqu’à sa prise par des groupes rebelles et des islamistes, le chef-lieu de la région administrative du même nom, à environ un millier de kilomètres de Bamako. Tombouctou comptait, en 2009, quelque 54 453 âmes. Ses mausolées, ses mosquées et ses manuscrits des XVe et XVIe siècles attiraient des touristes du monde entier. Jusqu’à ce que la menace des salafistes d’Aqmi se fasse sentir, en 2008. Coup dur pour le tourisme. Alors que les étrangers visitant Tombouctou étaient environ 6 000 en 2009, ils n’étaient plus que 492 au premier semestre de 2011.
Pendant ce temps-là, à Gao
À 320 km à l’est de Tombouctou, l’inquiétude plane. À Gao, le tombeau des Askia, une structure pyramidale en terre battue qui date du XVe siècle, a été inscrit sur la liste du patrimoine en péril le 29 juin. C’est là que repose le fondateur de la dynastie qui a régné presque cent ans sur l’empire songhaï. Nombreux sont ceux qui craignent que le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), qui tient désormais la ville, s’en prenne au monument. « C’est tout à fait possible, soupire El-Boukhari Ben Essayouti, spécialiste de la conservation des manuscrits de Tombouctou. Ils ciblent tous les monuments qui font l’objet d’une dévotion particulière. » Et le pourtour du tombeau des Askia a été aménagé en mosquée où les fidèles se réunissent tous les vendredis… Malika Groga-Bada
Tombouctou, à en croire les divers récits, a été fondé par des Touaregs, probablement au Ve siècle de l’hégire (XIIe siècle de l’ère chrétienne). Au départ, c’est un simple campement qui prendra de l’importance au cours de l’Histoire. Ce passé a été relaté par Jean-Léon l’Africain dans sa fameuse Description de l’Afrique, Al-Sadi, avec son Tarikh al-Soudan, Ibn Battuta ou encore René Caillé, qui a évoqué en 1830 son voyage dans la « ville aux 333 saints ». Il ressort de ces récits que Tombouctou a d’abord été une rencontre de peuples de diverses origines qui, chacun à sa manière, ont apporté leur pierre à l’édifice de son prestige. Ce fut une communauté d’intérêts au moment de son apogée (XVe et XVIe siècles) entre Ouest-Africains, Arabo-Berbères et autres Andalousiens partageant une même foi, l’islam. Cette convivialité a transformé Tombouctou en capitale intellectuelle et spirituelle, mais aussi en carrefour attirant les marchands d’or, d’esclaves, de sel et d’ivoire. Les chroniqueurs rapportent que l’université de Sankoré et les nombreuses écoles de Tombouctou étaient fréquentées par quelque 25 000 élèves.
Obscurantisme
Sur le plan politique, Tombouctou a connu divers règnes. En 1324, la ville fut annexée par l’empereur Kankan Moussa, qui y fit construire un palais et la mosquée de Djingareyber. Il y eut ensuite une période marquée par l’ascension des Touaregs, avant que Tombouctou ne tombe sous la coupe de l’empire songhaï. Cette dynastie des Askia régna jusqu’en 1591. Ce fut alors au tour des Marocains d’imposer leur loi.
Les intégristes perpétrant leur oeuvre de destruction dans une vidéo diffusée par France 2.
L’âge d’or de Tombouctou est symbolisé par ses trois grandes mosquées – Djingareyber, Sankoré, Sidi-Yahia – et par ses seize cimetières et mausolées. Tout cela est menacé par les islamistes. Mais il reste encore un trésor à sauver : des manuscrits rédigés en arabe, en peul et en ajami (transcription en lettres arabes des langues africaines). Ces textes, écrits entre le XIIIe et le XVIe siècle, traitent de tout : gouvernance, théologie, mathématiques, droit, pharmacopée, grammaire, commerce des esclaves, astronomie, musique, anatomie…
Dès l’arrivée des islamistes, quelques habitants de la ville s’en sont emparés pour les protéger. À l’allure où va le Mali, avec un gouvernement qui ne sait pas où donner de la tête, il serait irréaliste de rester optimiste : Tombouctou est en danger. Sa situation rappelle cruellement le sort que les talibans afghans avaient réservé, en 2001, aux bouddhas de Bamiyan. Tout comme la destruction, par des islamistes somaliens, de mausolées consacrés à des mystiques soufis. L’obscurantisme n’a pas de limites.
Questions à :
El-Boukhari Ben Essayouti, spécialiste des manuscrits.
"Tout un pan de la richesse culturelle et historique du Mali risque de mourir."
Combien y a-t-il de manuscrits à Tombouctou ?
On pense qu’il y a entre 100 000 et 150 000 manuscrits à Tombouctou et aux alentours. Environ 60 000 sont conservés au Centre de documentation et de recherche Ahmed-Baba, le reste est réparti entre les bibliothèques privées ou encore caché chez des particuliers.
A-t-on des raisons de s’inquiéter pour leur survie ?
Oui, dans la mesure où les islamistes qui occupent la ville considèrent que tout ce qui ne relève pas de la contemplation de Dieu est un péché et que l’islam pratiqué à Tombouctou depuis des lustres est aux antipodes du dogme wahhabite. Les occupants ont même commencé à considérer comme hérétiques certains manuscrits.
Pourtant, ce sont essentiellement des études coraniques et théologiques…
Pas seulement. Il y a des traités d’anatomie, de botanique, mais aussi de vrais journaux intimes. Les copistes notaient dans la marge les menus événements du quotidien et parfois des secrets de famille, ce qui explique que certains sont encore cachés par leurs propriétaires. Par exemple, j’ai pu voir un manuscrit expliquant que l’aïeule d’une illustre famille de Tombouctou avait été échangée contre un âne, du temps de l’esclavage. C’est un témoignage incroyable sur les moeurs de l’époque !
Que représenterait la disparition des manuscrits de Tombouctou ?
D’abord un frein au développement. Des centaines de jeunes gens ont été formés pour les faire revivre : copistes, calligraphes, enlumineurs, conservateurs. Ils se retrouvent tous à la rue. Ensuite, on n’a toujours pas fini de les étudier, loin de là. S’ils venaient à disparaître, c’est tout un pan de la richesse culturelle et historique du Mali qui mourrait.
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