« Les Rascals », retour sur le racisme et la violence skinhead des années 1980
Film de bande construit autour d’un groupe de copains issus des banlieues françaises, le premier long métrage de Jimmy Laporal-Trésor replonge le spectateur dans l’ambiance très particulière du milieu des années 1980 et de la montée de l’extrême droite.
Un « film de bande ». S’il ne fallait retenir qu’une chose de son premier long métrage, Les Rascals, qui sort dans les salles françaises ce mercredi 11 janvier, Jimmy Laporal-Trésor voudrait que ce soit cela, cette classification dans un genre qui, dit-il, n’existe pas ou presque pas dans le cinéma français. « Les Américains ont cette culture, avec des films comme Les Guerriers de la nuit, Outsiders ou Rusty James… C’est un genre dont nous sommes fans, mes co-scénaristes Sébastien Birchler, Virak Thun et moi, mais qui n’existe pour ainsi dire pas en France, et surtout pas dans le contexte des années 1980. »
Percée du Front national
Se déroulant en France en 1984, année où le Front national commençait à percer électoralement et où, dans les grandes villes, les skinheads s’amusaient à terroriser les jeunes, de préférence les jeunes d’origine africaine ou maghrébine, Les Rascals est aussi un film politique et sociologique. Mais il reste une fiction et, donc, un « film de bande », quelque part entre West Side Story, La Fureur de vivre et American History X.
Le film suit un groupe d’adolescents de banlieue parisienne d’origines diverses : maghrébine, portugaise ou, dans le cas de Ruddy, le personnage central, antillaise. Entre école, service militaire, initiation amoureuse, musique et petite délinquance, la bande des Rascals est pareille à beaucoup d’autres, mais le contexte dans lequel elle évolue, lui, est particulier. C’est celui de la montée d’une extrême droite violente, symbolisée par les skinheads (et plus précisément les boneheads, la branche raciste de ce mouvement de jeunes qui, à la base, ne l’est pas).
Bomber, Dr. Martens et crânes rasés
En ce milieu des années 1980, et alors que leurs parents s’inquiètent de la poussée électorale du Front national de Jean-Marie Le Pen, les adolescents des grandes villes angoissent, eux, à l’idée de croiser ces groupes portant bomber, Dr. Martens et crâne rasé, dont la violence est vite devenue proverbiale. « Je n’ai pas vraiment vécu cette période, reconnaît Jimmy Laporal-Trésor. En 1984, j’avais 8 ans. Mais même dans la cour de l’école primaire on ne parlait que de ça : les bandes, les skins… Quand on a voulu faire ce film, on a vite vu que la figure du skinhead était incontournable dans ces années-là. »
Face à ce groupe vindicatif et organisé, les jeunes issus de l’immigration et les Antillais, souvent visés par les violences racistes, sont parmi les premiers à s’organiser et à riposter, ou au moins à tenter de se défendre. La forte présence de garçons d’origine martiniquaise ou guadeloupéenne parmi des bandes qui, quelques années plus tard, donneront naissance aux groupes de « chasseurs de skins » est déjà racontée dans d’autres œuvres.
On songe au livre Black Dragons Juniors, publié en 2018 par Michaël Nerjat*. « C’est une réalité, confirme le réalisateur des Rascals. Le tout premier de ces groupes, la branche française des Black Panthers, qui s’est créé à la fin des années 1970, n’était constitué que d’Antillais. Et les Black Dragons, ce n’était que des Noirs. Tout comme les Antillais étaient très en pointe lorsque le hip hop a fait ses premiers pas en France, à peu près à la même époque. »
Black Panthers et Black Dragons
Hip hop d’ailleurs très présent dans le film, qui fait la part belle à la musique, indissociable du quotidien des jeunes de ces années-là. Rock’n roll, funk, punk, oi!, rap… la bande originale du film, entièrement d’époque, est particulièrement soignée et, explique le réalisateur, là encore, cela n’a rien de gratuit : « À l’époque, on s’habillait en fonction de la musique qu’on écoutait. Nous avons aussi voulu restituer cet élément, et cela va encore plus loin : les jeunes avaient tendance à s’exprimer de telle ou telle façon, à employer telle ou telle forme d’argot selon la bande à laquelle ils appartenaient, la musique qui étaient la leur… Nous avons apporté beaucoup de soin à cet aspect des choses. »
Le film, évidemment, choisit son camp. Le spectateur éprouve logiquement plus de sympathie pour les Rascals que pour la bande de skins buveurs de bière et, pour certains, issus des amphis de la très droitière faculté parisienne d’Assas. Mais Jimmy Laporal-Trésor et ses co-scénaristes parviennent à éviter le manichéisme et, parmi leurs personnages, chacun ou presque arrive à émouvoir.
Parce que derrière les apparences et les intentions affichées des uns ou des autres, tous ou presque hésitent, se trompent, se mentent à eux-mêmes. On croit venger un ami mais on s’attaque à la mauvaise personne. On hurle son courage et son envie d’en découdre tout en crevant de trouille. La vengeance appelle une contre-vengeance, qui elle-même en provoque une autre, les personnages s’enferrent dans un engrenage stérile et annonciateur, on le pressent très vite, d’une issue qui ne peut être que tragique.
Reflet d’une époque « mythifiée »
Si l’intrigue elle-même réserve, à vrai dire, assez peu de surprises, Les Rascals parvient à être à la fois un divertissement plaisant et le reflet d’une époque qui a marqué tous ceux qui ont été adolescents en France dans ces années-là, tout en portant un message convaincant sur les questions de la violence des bandes et, bien sûr, du racisme. Tourné avec un budget limité, le film restitue efficacement l’ambiance d’une époque rarement évoquée au cinéma.
Au risque d’exagérer, voire de magnifier un peu cette épopée qui n’en est pas vraiment une ? C’est que depuis une dizaine d’années, les témoignages des « grands anciens » ont eu tendance à se multiplier, avec en particulier le diptyques de documentaires Antifa – Chasseurs de skins et Sur les pavés, qui donnent la parole aux principaux acteurs de cette « guérilla urbaine ».
C’était beaucoup d’histoires d’incruste dans des soirées, de plans un peu minables…
De quoi agacer une partie des « vétérans », à l’image d’un Thierry « Cochran » Pelletier. Dans son ouvrage Les Rois du rock**, cet ancien redskin antifasciste raconte lui aussi ces années-là, mais sans en rajouter. « Faut pas pousser, râle-t-il à la lecture de certains témoignages. On n’a pas fait la guerre ! Franchement, c’était beaucoup d’histoires d’incruste dans des soirées, de plans un peu minables… »
« Ce qui était marginal est devenu banal »
Jimmy Laporal-Trésor assure en avoir eu parfaitement conscience : « Aujourd’hui cette période est mythifiée, c’est évident, alors qu’il y avait beaucoup d’aspects un peu sordides. À l’époque, les réseaux sociaux n’existaient pas, les événements étaient racontés par leurs protagonistes et bien sûr il y avait un côté fantasmé, ‘bigger than life’… On a voulu montrer ça dans le film, casser un peu le mythe des héros urbains et écrire une histoire à hauteur d’hommes, où on réagit à des injustices, où on croit se battre pour son honneur mais où il n’y a pas non plus de grands enjeux… »
Aujourd’hui on croise des gens en costume cravate porteurs des mêmes valeurs et de la même violence
Le film, enfin, ravive le souvenir d’une époque où l’extrême droite était certes bruyante, violente et très visible dans les rues des grandes villes, mais encore ultra-minoritaire, voire marginale, politiquement. « Aujourd’hui il n’y a plus de skins, conclut le réalisateur. Mais on croise des gens en costume cravate porteurs des mêmes valeurs et de la même violence. Ce qui était marginal est devenu banal, et ce sont ceux qui résistent à la diffusion de ces idées qui sont attaqués, qu’on traite de ‘wokistes’ ou d’indigénistes… »
Les Rascals, de Jimmy Laporal-Trésor, sortie en France le 11 janvier 2023
* Black Dragons Juniors, de Michaël Nerjat, éd. Présence africaine, 2018
** Les Rois du rock, de Thierry Pelletier, éd. Libertalia, 2013
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