Maroc : Istiqlal, le saut dans l’inconnu
Après un congrès houleux, le plus vieux parti du royaume, l’Istiqlal, n’a toujours pas choisi de successeur à Abbas El Fassi, alors que la relève ronge son frein. Perspectives.
Deux images auront marqué le 16e congrès de l’Istiqlal, du 29 juin au 1er juillet, à Rabat. Tout d’abord, l’entrée main dans la main d’Abdelouahed El Fassi et Hamid Chabat, les deux candidats au poste de secrétaire général. Dans un parti obsédé par l’unité, où l’élection du chef s’est toujours faite par acclamation après retrait des challengeurs, l’image parfaitement scénarisée est un signal : l’Istiqlal va bien, la compétition ne tourne pas au duel sanglant. Un scénario d’ailleurs improbable dans un parti où les rivalités se dissolvent toujours dans l’urbanité de façade et les manoeuvres d’appareil. Ainsi, Mohamed Louafa, ministre de l’Éducation et troisième homme putatif, est sorti de la course par un amendement opportun des statuts.
L’autre instantané de ce congrès a été la scène du « triomphe » de Hamid Chabat, littéralement porté sur les épaules de certains de ses partisans déchaînés, comme si leur poulain avait déjà été élu. À ce jeu d’intox, certains se sont laissé prendre, croyant que le syndicaliste avait gagné la bataille. Mais rien n’est décidé. En attendant l’élection du nouveau comité exécutif, qui sera chargé de désigner un successeur, l’ex-Premier ministre Abbas El Fassi est donc maintenu dans ses fonctions. « Nous avons décidé, de manière consensuelle, de reporter les élections du comité exécutif et du secrétaire général à la première session du Conseil national », a indiqué Mohamed El Ansari, président du congrès.
L’irruption de Hamid Chabat dans la course est une fausse surprise. Patron de l’Union générale des travailleurs marocains (UGTM, proche de l’Istiqlal), il est réputé imprévisible. Sa candidature, déposée trois jours avant l’ouverture du congrès, a perturbé les plans de son désormais rival Abdelouahed El Fassi. Ce cardiologue se voulait le candidat du consensus et jouait de ses deux atouts, qui se sont révélés comme autant de handicaps : fils du « zaïm » Allal El Fassi, il a en outre le soutien de toute la famille El Fassi, et notamment de son beau-frère Abbas. L’ex-Premier ministre a d’ailleurs exhorté ses camarades à l’unité et tenté une médiation délicate. Sans succès, puisque Chabat a maintenu sa candidature. Après le report de l’élection, la question se pose encore : Abdelouahed a-t-il envie d’aller jusqu’au bout ?
Le coup du candidat anecdotique, Chabat l’a déjà joué en 1989 face au leader de l’époque, M’Hamed Boucetta. Âgé alors de 36 ans, il avait déjà mis à mal la tradition du consensus, avant d’être balayé par le dernier vrai « zaïm » de l’Istiqlal. Depuis, il a pris de l’envergure. Fer de lance de la contestation syndicale de 1990 à Fès, il est recherché par la police et disparaît pendant deux ans. Gracié par Hassan II en 1996, il se fait alors élire dans une commune de Fès et gravit les échelons. Aujourd’hui secrétaire général de l’UGTM, député et maire de Fès, il est une figure incontournable du parti depuis qu’il en a intégré le comité exécutif. Son influence s’étend à la jeunesse de l’Istiqlal, où il a installé Abdelkader El Kihel, et à la section féminine, où son épouse, Fatima Tarik, s’impose. Il est devenu l’inconnue dans l’équation politique du « parti de la balance », c’est-à-dire son principal problème et sa clé. « Chabat saigner dans les prochains mois », promet, en jouant sur les mots, cet istiqlalien.
La faute à Abbas ?
On serait tenté de rejeter la responsabilité du blocage sur Abbas El Fassi. L’ancien Premier ministre a tordu le cou aux statuts de l’Istiqlal en 2009. Il est lié aux deux candidats et n’a pas désigné de successeur accepté par tous. Il n’a pourtant pas ménagé sa peine. Ainsi, son choix de se maintenir pour un troisième mandat était lié à ses fonctions de Premier ministre et n’a pas beaucoup divisé le parti. Proche d’Abdelouahed, il a aussi accompagné la montée en puissance de Chabat, mais sans malice, car il pencherait plutôt pour un rajeunissement. Sous sa direction, le comité exécutif et le gouvernement se sont ouverts aux jeunes. À ce titre, son favori était Nizar Baraka, son gendre et bras de droit au gouvernement. Baraka est un militant accompli, apprécié pour son travail, mais, comme le souligne justement un fin observateur de la scène politique marocaine, « l’année 2011 est passée par là ». La contestation qui vise la famille El Fassi depuis des années, renforcée par la forte présence et les réussites indéniables des ministres issus de cette famille (Nizar Baraka, Yasmina Baddou, voire Taïeb Fassi Fihri), a pris, avec le Printemps arabe, une tournure inquiétante pour le parti. Chaque nomination était scrutée par les médias et (souvent) critiquée.
En ne soutenant pas officiellement la candidature d’Abdelouahed El Fassi, Abbas El Fassi entend désamorcer le discours sur le « parti-famille », en laissant faire un mandat de transition. Révélés par les gouvernements Jettou (2002-2007) et El Fassi (2007-2011), les « jeunes loups » du parti rongent leur frein. Le plus âgé d’entre eux, Ahmed Taoufiq Hejira, 53 ans, est celui qui a la plus forte légitimité militante. Baraka, 48 ans, est très pris par ses fonctions de ministre de l’Économie et des Finances. Opposé au départ à la participation au gouvernement, Karim Ghellab, 45 ans, est aujourd’hui président de la Chambre des représentants. Ancien ministre du Tourisme, reversé dans les affaires, Adil Douiri, 48 ans, préside l’Alliance des économistes istiqlaliens. Bref, ça se bouscule au portillon, et le parti ne manque pas de talents. La compétition, qui fut longtemps la hantise de l’Istiqlal, est sa meilleure chance de se renouveler demain. Ou après-demain.
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Par Youssef Aït Akdim, envoyé spécial à Rabat
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