Le nouveau monde arabe et nous

Quelles relations le président François Hollande entend-il nouer avec le Maghreb et le Moyen-Orient ? Éléments de réponse dans l’allocution prononcée le 27 juin par le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, en clôture d’un colloque sur le Printemps arabe. Extraits.

Publié le 17 juillet 2012 Lecture : 8 minutes.

Le 17 décembre 2010, lorsque Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant tunisien, s’immole par le feu devant le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid, personne ne sait encore qu’une onde de choc est en train de naître qui va transformer le monde arabe. Un an et demi après, alors que le Frère musulman Mohamed Morsi vient d’être élu président de l’Égypte, pays le plus peuplé de la région, la physionomie de celle-ci a changé en profondeur. Oui, il y a à l’évidence un « nouveau monde arabe », et la France doit se situer par rapport à lui. […]

En Tunisie, en Égypte, en Libye et au Yémen, les régimes sont tombés et les dictateurs chassés grâce à une alliance inédite entre la jeunesse, les classes moyennes et les militaires. […] Dans d’autres pays, la résonance du Printemps arabe a conduit les autorités à un mouvement de modernisation et de démocratisation. Le Maroc donne l’exemple de cette voie, que la Jordanie tend plus ou moins à suivre. En Algérie, les attentes de la population sont voisines de celles du reste du monde arabe, et on doit espérer que le nouveau Parlement mettra rapidement en oeuvre les réformes attendues.

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Les pays du Golfe […] sont devenus des acteurs importants sur la scène mondiale et des investisseurs majeurs. Ils jouent un rôle parfois décisif dans les évolutions régionales, en particulier en Libye, en Syrie ou au Yémen. […] Ailleurs encore, face aux revendications populaires, les régimes attachés au statu quo répondent par la répression et la violence. […]

L’aspiration démocratique inspire une vague de sympathie, mais les risques d’instabilité politique, leurs conséquences économiques et la montée des intolérances suscitent pour le moins des interrogations. Dans ces conditions, qu’espérer, que craindre, que faire ? […]

Qu’espérer ? Les mouvements à l’oeuvre dans les sociétés arabes sont profonds et complexes. Ils expriment des attentes – la liberté, la justice, la dignité, la démocratie – qui sont aussi les nôtres. […] Le grand espoir suscité par les révolutions arabes, c’est celui d’un monde arabe vivant dans la paix, la stabilité et la prospérité par la démocratie et la liberté. […] Là où nous avons nous-mêmes parfois donné le sentiment de douter de nos valeurs démocratiques en nous satisfaisant du statu quo dans le monde arabe et ailleurs, ces révolutions viennent nous rappeler l’universalité de ces aspirations. […]

Concrètement, l’espoir que nous pouvons nourrir est que les islamistes qui arrivent au pouvoir par les urnes soient conduits à des compromis utiles pour gouverner, qu’ils montrent qu’ils savent passer de l’opposition au pouvoir, qu’ils respectent le cadre dans lequel ils ont été élus, qu’ils réussissent le développement économique et social et contribuent à réduire l’extrémisme.

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Quatre grands principes : le refus de l’usage de la violence contre le peuple, la défense des droits fondamentaux, le respect du pluralisme […] et la nécessité de réformes en profondeur.

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Que craindre ? Que, au contraire, ayant réalisé beaucoup de sacrifices pour parvenir au gouvernement, ces nouveaux pouvoirs refusent à terme de les remettre le cas échéant à d’autres ; qu’ils ne parviennent pas à se départir de la culture et de la pratique du monolithisme ancrées dans des années de répression, voire de clandestinité ; que les difficultés économiques et sociales prévisibles les conduisent à se radicaliser ; bref, pour parler brutalement, que le ticket en leur faveur soit un aller sans possibilité sinon de retour, du moins de changement. […]

Les révolutions ont ravivé aussi des tensions internes aux sociétés arabes : tensions sociales et religieuses, tensions entre la modernité et l’affirmation identitaire, tensions entre des sociétés plutôt conservatrices et des jeunesses éduquées plus libérales. […]

Dans ces conditions, les sociétés arabes pourront-elles réguler ces tensions de manière civile, pluraliste et pacifique, en un mot démocratique ? Ou au contraire, face aux risques de conflits, le choix sera-t-il fait d’une prétendue « stabilité » par le retour à des pouvoirs autoritaires, peut-être moins caricaturaux que les précédents mais guère plus démocratiques ? […]

Je suis convaincu qu’un excès de pessimisme serait aussi inadapté aujourd’hui que pouvait l’être hier l’espoir inconsidéré d’une transition rapide vers une démocratie à l’occidentale. […] Nulle part la démocratie ne s’invente en un jour. […]

Les espoirs et les craintes étant mélangés, que faire ? […] La France, au nom de la proximité, de l’amitié et de l’histoire qui nous lie, porte une responsabilité d’appui. Elle a aussi des intérêts à défendre. […] Il n’existe pas d’autre choix raisonnable pour nous que de travailler à la stabilité, à la paix, à la sécurité et au développement économique de ces partenaires essentiels. Nous le ferons en respectant quatre grands principes : le refus de l’usage de la violence contre le peuple, la défense des droits fondamentaux, le respect du pluralisme et des droits des minorités, la nécessité de réformes en profondeur afin de répondre aux attentes économiques et sociales des populations.

À court terme, nos priorités sont fixées par les urgences. En Syrie, la poursuite de la répression sanglante fait chaque jour de nouvelles victimes. La France se mobilise pour mettre fin aux violences. […] Avec nos partenaires européens, nous avons décidé un nouvel ensemble de sanctions pour accroître la pression sur le régime. Les négociations, notamment entre les membres permanents du Conseil de sécurité, continuent afin de permettre une mise en oeuvre effective du plan Annan, ce qui passe par une action ferme de ce conseil, possiblement via une résolution sous chapitre VII. […]

L’Iran continue de nous préoccuper gravement. Ce grand pays a, bien sûr, le droit d’utiliser l’énergie nucléaire à des fins civiles. Mais la possession par lui de l’arme atomique comporterait de lourds dangers de dissémination et déstabiliserait la région. C’est un enjeu majeur pour nous tous comme pour les pays voisins […]. En lien avec eux et avec les membres du Conseil de sécurité, nous poursuivons nos efforts pour que l’Iran accepte de se conformer à ses obligations internationales.

Nous sommes également très attentifs à la situation au Proche-Orient, où la relance du processus de paix est indispensable afin de stabiliser et de pacifier le « nouveau monde arabe ». […] L’absence de progrès dans la résolution du conflit israélo-palestinien, qui pourrait favoriser le radicalisme dans les sociétés musulmanes, n’est nullement une fatalité. Peu d’évolutions sont probables avant les élections américaines. Mais nous devrons reprendre l’initiative, car le droit à un État palestinien viable et à la sécurité d’Israël n’est pas une ritournelle théorique, c’est une exigence impérieuse pour le monde, pour toute la région et pour la France.

À moyen terme, la France entend accompagner les transitions démocratiques partout où elles ont été lancées. Il n’existe pas de meilleure garantie de la paix et de la stabilité que la démocratie. […] Ce principe affirmé, se pose naturellement la question de la méthode. Car, dans le mouvement initial comme dans la dynamique profonde de ces révolutions existe une volonté d’affranchissement à l’égard de tout ce qui ressemblerait à une tutelle, qu’elle soit interne ou externe. Il appartient à chacune de ces sociétés de trouver sa voie et rien – a fortiori un État tiers – ne peut s’y substituer. Nous refuserons donc tout paternalisme, fût-il […] un « paternalisme prorévolutionnaire ».

Le droit à un État palestinien viable et à la sécurité d’Israël n’est pas une ritournelle théorique, c’est une exigence impérieuse pour le monde, pour toute la région et pour la France.

En revanche, nous serons à la fois pragmatiques et fermes. La France est volontaire pour reconnaître la légitimité et la diversité des expressions démocratiques et pour parler avec ceux qui en sont issus. […] Dans le même temps, nous devons être fermes sur nos valeurs et lucides sur les événements. La France conservera sa liberté de jugement et s’exprimera si et quand elle l’estime nécessaire. En gardant à l’esprit que la démocratie c’est aussi le respect de deux grands principes :

– D’une part, sont intangibles les libertés fondamentales – égalité devant la loi, liberté d’expression, droits des femmes, droits des minorités. Nous serons particulièrement attentifs au respect des femmes. […]

– D’autre part, il n’est pas de société libre sans possibilité d’alternance politique et sans pluralisme. Nous dénoncerons donc toute tentative de confisquer le pouvoir ou de restreindre les droits démocratiques. Le respect du pluralisme est d’autant plus décisif que les sociétés arabes sont souvent diverses du point de vue ethnique ou religieux. […]

On sait que le président de la République, François Hollande, a fait de la jeunesse, de la justice et de la croissance les trois priorités de sa politique de redressement pour la France. Il est significatif de relever que ces priorités […] sont précisément aussi celles des printemps arabes. Une convergence naturelle se dessine donc en vue d’une démarche de solidarité entre les deux rives de la Méditerranée. […] L’Union pour la Méditerranée (UPM) partait d’une ambition généreuse, mais maladroite. Il n’était probablement pas réaliste de vouloir inclure les deux rives de la Méditerranée dans un même ensemble rigide […]. Le choix de MM. Moubarak et Ben Ali comme arcboutants ne traduisait pas une fulgurante clairvoyance. L’ambition de l’UPM n’a pas survécu aux premières difficultés. Mais il nous faut utiliser son secrétariat, qui a montré son utilité, et gérer des projets concrets de coopération. […]

Avec les pays du Maghreb, la France partage une responsabilité particulière. Par notre proximité, nous devons être avec eux des acteurs de la construction d’un espace de coopération et d’échanges entre les deux rives. Mais il est aussi essentiel que l’Europe dans son entier s’implique dans le partenariat avec le monde arabe. C’est pourquoi la France portera avec conviction cette priorité méditerranéenne auprès de ses partenaires de l’Union européenne, selon l’esprit original de la conférence de Barcelone de 1995.

Il existe bien un « nouveau monde arabe » : il est divers, parfois déroutant, fait d’avancées et de reculs, mais il parle pour l’essentiel le langage de la liberté, qui reçoit dans notre pays un écho puissant. […] Plusieurs millions de nos compatriotes ont leur famille originaire de cette partie du monde. Dans les pays du Maghreb, notre langue est parlée quotidiennement avec la langue arabe aux divers échelons de la société. L’Histoire et nos coopérations nous confèrent toujours l’image d’une nation à la culture émancipatrice. Les positions traditionnelles de notre pays en faveur des droits légitimes des peuples, malgré quelques éclipses, nous y ont valu des sympathies durables. Nous devons cultiver ces sympathies, les réveiller parfois, les faire fructifier aussi, les mériter toujours. […]

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