Burkina Faso : François, l’autre Compaoré

Depuis vingt-trois ans, il est le conseiller économique de Blaise, son frère aîné. Mais qui connaît François Compaoré ? Aussi puissant que discret, il a fait son entrée au sein du bureau politique du parti au pouvoir. Une arrivée remarquée qui alimente les spéculations sur la succession du chef de l’État.

La ressemblance entre le chef de l’État burkinabé et son frère est frappante. © D.R.

La ressemblance entre le chef de l’État burkinabé et son frère est frappante. © D.R.

Publié le 18 juillet 2012 Lecture : 10 minutes.

Ouagadougou, le 12 mai. Face aux rumeurs incessantes qui voudraient faire du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) un parti en voie d’implosion, le nouveau patron, Assimi Kouanda, se voit contraint de rassurer ses ouailles. « Le parti se porte bien, contrairement aux rumeurs véhiculées par une catégorie de politiciens. »

Les politiciens en question, ce sont ceux que l’on appelle au Burkina « les éléphants » depuis qu’un cimetière politique leur a été creusé, il y a quatre mois. Ce sont les historiques : Salif Diallo, qui fut longtemps le bras droit du chef de l’État, Blaise Compaoré ; Roch Marc Christian Kaboré, l’ancien numéro un du CDP, dont les semaines à la présidence de l’Assemblée nationale sont comptées ; Simon Compaoré, le maire de la capitale… Pour ne pas les froisser, on les a nommés « conseillers politiques nationaux », mais personne n’est dupe : c’est un placard.

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Depuis le 4 mars et l’élection du nouveau bureau exécutif du CDP, le parti présidentiel est en ébullition. Pas une semaine sans qu’un des journaux de la place évoque une sécession des « anciens ». Les intéressés rasent les murs, mais dénoncent en privé la nomination d’un « pion [Assimi Kouanda, NDLR] qui obéit à Blaise au doigt et à l’oeil ». Ils critiquent l’« OPA hostile » lancée contre le parti par la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (Fedap-BC), qui a placé une dizaine de ses membres dans le bureau. Ils pointent du doigt enfin le chef d’orchestre présumé de l’opération : François Compaoré – « Monsieur frère » pour la presse. Le 4 mars, lorsqu’il s’est agi de féliciter le nouveau boss du parti à la fin du congrès, ce n’est pas la main de Kouanda que les cadres sont allés serrer, mais celle du frère cadet de Blaise. Avec Antoinette – la soeur -, que l’on dit toute-puissante dans le fief familial de Ziniaré, François est l’un des rares de la fratrie à avoir pris la lumière.

Sous la révolution déjà, entre 1983 et 1987, il avait l’oreille de Blaise, chez qui il logeait.

Pourrait-il succéder à Blaise, dont la fin du règne, débuté en 1987, est prévue en 2015 (l’article 37 de la Constitution lui interdit de se représenter) ? L’hypothèse n’est pas nouvelle. Il y a quatre ans déjà, tout le monde en parlait. Un diplomate en poste à Ouaga, qui ne tarit pas d’éloges sur François Compaoré (« un personnage fin et compétent »), reste sceptique. « Ce serait difficilement réalisable », dit-il. Pour les proches de l’intéressé, « ce n’est pas dans ses projets ». Mais les opposants, et désormais une frange du CDP, y croient de plus en plus. Certains signes les y encouragent. Le plus significatif : pour la première fois, François a intégré le bureau politique du CDP, le 4 mars. Son poste (secrétaire chargé du mouvement associatif, le onzième dans la hiérarchie) peut paraître anodin. Il est en fait « essentiel pour gagner en popularité et tisser sa toile » auprès des grands électeurs, estime un observateur. Tisser sa toile ? Disons plutôt la fignoler. Car François Compaoré s’est constitué au fil des années un réseau extrêmement efficace.

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"Petit président"

« L’homme le plus puissant du pays, après Blaise, c’est lui », affirme un important opérateur économique. François, qui a ses bureaux à la présidence, « c’est l’homme-orchestre. La longévité du régime dépend de lui. Il est calme, très réfléchi. Il a une grande influence sur Blaise ». « Ils sont très soudés, confirme un ministre de haut rang. L’un et l’autre se consultent sans cesse. François a la confiance du chef. » Et cela ne date pas d’hier. Sous la révolution déjà, entre 1983 et 1987, il avait l’oreille de Blaise, chez qui il logeait.

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Hormis la taille (François est plus petit), leur ressemblance physique saute aux yeux. Même nez, même regard, même sourire. Même réserve aussi. Ce qui les différencie ? « Blaise est un charmeur. Il veut toujours séduire son auditoire. Pas François, qui a le coeur dur comme une pierre », analyse un ancien compagnon de la révolution. Tous deux partagent en revanche le culte du secret.

« Petit président » (l’autre sobriquet dont l’a affublé la presse) fuit les journalistes et les caméras (il n’a répondu à aucune de nos sollicitations). « J’ai toujours été discret et c’est tant mieux ainsi, au regard de ma position particulière et des missions qui me sont assignées. Ceux qui me connaissent depuis l’enfance pourront témoigner que je n’ai jamais été excessif ni exubérant », déclarait-il en 2005, à l’occasion de l’une des (rares) interviews accordées à un journal burkinabè (L’Observateur Paalga). « On imagine qu’il ne doit pas être facile d’être le frère du président », lui avait-on alors demandé. « Oh que non ! avait-il répondu. Je suis souvent la cible d’attaques violentes et injustes dans le but d’atteindre mon frère et de déstabiliser le régime. »

Pour le voir, il faut fréquenter les stades, notamment celui de l’Étoile filante de Ouagadougou (EFO), l’un des clubs de foot les plus titrés du pays, dont il est le conseiller technique et qu’il aide, par son entregent, à trouver des sponsors. Le sport est la seule passion qu’on lui connaisse. Ses rares apparitions en public, il les fait dans le cadre de l’Union des sports scolaires et universitaires du Burkina Faso (Ussu-BF), dont il est le président d’honneur.

En sous-main, le parti a changé de mains

Créée en 2007, la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (Fedap-BC) a officiellement pour ambition de « canaliser tout soutien au président du Faso ». En fait, affirment plusieurs cadres du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), il s’agissait de créer une organisation plus docile. « L’idée de la Fedap-BC, explique un ancien du parti, c’était d’asphyxier le CDP. D’abord, il fallait lui prendre ses soutiens financiers, ensuite ses cadres. La première phase du plan a fonctionné, pas la seconde. D’où la nouvelle stratégie : prendre les rênes du CDP. » « Nous ne soutenons pas François, mais Blaise », se défend Gaston Soubeiga, qui était président de la Fedap-BC jusqu’à la mi-juin. À aucun moment le nom de François Compaoré n’apparaît dans les instances de cette association, mais, et c’est un secret de polichinelle, il en est le parrain. R.C.

Cette discrétion lui a valu un long anonymat. Il y a quinze ans, qui avait entendu parler de ce technocrate ? Qui savait qu’il était né en 1954 à Ziniaré, trois ans après Blaise, et que, comme lui, il est catholique ? Qu’il avait fait des études d’économie en Côte d’Ivoire et aux États-Unis avant de rentrer au pays sous la révolution pour intégrer le Fonds de l’eau et de l’équipement rural ? Que c’est Blaise qui avait financé ses études ? Qu’il était, depuis la fin des années 1980, son conseiller économique ?

L’affaire Zongo

Chez les initiés, c’est en 1994 qu’il apparaît, lorsqu’il épouse en secondes noces Salah, la fille d’une grande commerçante, Alizéta Ouédraogo, qui lui donnera quatre enfants. Mais la plupart des Burkinabè découvrent son existence quand éclate l’affaire David Ouédraogo. En décembre 1997, l’épouse de « Monsieur frère » accuse Ouédraogo, qui est alors le chauffeur de François, de leur avoir dérobé 30 millions de F CFA (45 000 euros). L’accusé et deux autres domestiques se retrouvent dans les geôles de la sécurité présidentielle. Un mois plus tard, passé à tabac, il meurt à l’infirmerie de la présidence.

Le journaliste Norbert Zongo révèle l’affaire. Pour la première fois, François Compaoré sort de l’ombre. Un an plus tard, le 13 décembre 1998, sur une route du sud du pays, Zongo, parti chasser, mourra dans l’incendie de sa voiture. Une enquête indépendante a conclu à un assassinat pour des motifs politiques et fait le lien avec la mort de Ouédraogo. François Compaoré a bien été inculpé pour « meurtre et recel du cadavre » de Ouédraogo, mais la chambre d’accusation de la cour d’appel a renvoyé l’affaire devant un tribunal militaire, qui n’a retenu aucun chef d’inculpation. Dans l’affaire Zongo, un non-lieu général a été retenu en 2006.

Salif Diallo, autrefois puissant bras droit du président, avait demandé sa tête. Sans succès.

Cette exposition lui a valu bien des inimitiés dans l’entourage présidentiel. Dès 2000, Salif Diallo, alors tout-puissant bras droit de Blaise Compaoré, avait demandé sa tête, sans succès. Diallo n’a cessé, durant la dernière décennie, de s’ériger en sentinelle face aux ambitions présumées du frère. Mais, à ce jeu, il a perdu. En 2008, il est envoyé très loin, à Vienne, en Autriche, où il est nommé ambassadeur. Il y restera trois ans. Depuis son retour, Diallo n’a pu que constater la mainmise accrue de son ennemi. C’est François, dit-on, qui fait et défait les ministres. Dans le gouvernement de Luc Adolphe Tiao, plusieurs de ses proches occupent des postes stratégiques : Lucien Marie Noël Bembamba (son beau-frère) à l’Économie et aux Finances ; Jérôme Bougouma (un cousin) à l’Administration territoriale et à la Sécurité ; Lamoussa Salif Kaboré (un vieil ami) aux Mines et à l’Énergie… D’autres de ses lieutenants jouent un rôle prépondérant au CDP depuis mars. Assimi Kouanda en est donc le patron officiel. Jean-Christophe Ilboudo est chargé des structures du parti et de la mobilisation des cadres. Gaston Soubeiga est le secrétaire administratif adjoint. Tous viennent de la Fedap-BC.

Comme l’EFO, la Fedap-BC permet de juger de l’influence de François Compaoré. Étudier les listes de leurs dirigeants revient à parcourir le bottin des hommes et des (rares) femmes qui comptent au Burkina. Le président de l’EFO, Lazare Banssé, est un patron influent. Il fut le président du Lion’s Club Ouagadougou Étoile. Le premier vice-président, Apollinaire Compaoré, est l’un des hommes les plus riches du pays. Il est à la tête de l’opérateur téléphonique Telecel et de l’Union des assurances du Burkina Vie (UAB).

Le bureau de la Fedap-BC comporte des noms plus connus encore. Les six présidents d’honneur sont tous de richissimes hommes d’affaires. Jusqu’à sa mort, en octobre 2011, on y trouvait Oumarou Kanazoé, véritable parrain du secteur privé pendant trois décennies. Il y a aussi Lassiné Diawara, l’homme du groupe français Bolloré dans la région, qui a fait fortune dans le tabac et la finance, ou encore Alizéta Ouédraogo, présidente par intérim de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) et belle-mère de François Compaoré… « Les opérateurs économiques ont compris que ce n’est qu’en période de paix que l’on peut faire des affaires, explique Gaston Soubeiga. Ils nous apportent leur soutien moral, physique et financier. » Depuis vingt-trois ans qu’il est le conseiller économique du président, François Compaoré a eu le temps de se faire des amis dans le milieu. « Tout gros contrat passe par lui », constate un ministre.

"François a du poids"

Si l’on excepte l’armée, François Compaoré est au coeur de tout ce qui compte au Burkina : les affaires, donc, mais aussi la franc-maçonnerie et les chefferies traditionnelles. Parmi les présidents d’honneur de la Fedap-BC figure Victor Tiendrébéogo, dit Larlé Naba, un haut dignitaire du royaume mossi, proche du roi Naba Baongo II et membre du CDP. « François a du poids, convient Fidèle Toé, un opposant sankariste. Mais pas dans l’opinion. » C’est son talon d’Achille. Dans un câble diplomatique révélé par WikiLeaks, daté du 6 mars 2009, un diplomate américain résumait ainsi la situation : « Bien que François Compaoré soit un économiste bardé de diplômes, il n’est pas du tout populaire […] à cause des accusations qui planent sur lui [dans les affaires Zongo et Ouédraogo]. Il est aussi accusé de corruption. »

Et puis, il y a cette proximité avec « la belle-mère nationale », la mère de son épouse Salah : Alizéta Ouédraogo. Une femme affable et souriante, mais qui ne répondra à nos questions que par écrit après nous avoir reçu dans son bureau. À 30 ans, elle était secrétaire dans une agence des Nations unies. Aujourd’hui, à 61 ans, c’est la femme la plus prospère du pays. Elle possède plusieurs sociétés et touche à tous les secteurs porteurs : l’immobilier, le cuir, la construction… Elle pourrait bientôt briguer la présidence de la CCI, dont elle a pris les rênes à la mort du « vieux » Kanazoé. « C’est une boulimique. Elle veut tout ! » peste un proche du président. Et « elle joue avec plus ou moins de finesse de son statut de belle-mère nationale », ajoute un ministre.

L’ascension fulgurante d’Alizéta Ouédraogo coïncide avec la rencontre de sa fille avec François Compaoré, au début des années 1990. À cette époque, le Burkina, pris dans la nasse des programmes d’ajustement structurel, se voit contraint de privatiser ses entreprises. Alizéta Ouédraogo, qui s’est lancée dans le commerce du cuir, hérite pour une bouchée de pain des deux fleurons publics de ce secteur. En 1995, alors qu’elle vient d’ouvrir une unité de traitement des peaux, elle bénéficie d’une loi interdisant l’exportation des peaux brutes – une entorse à l’orientation libérale du régime.

Quelques années plus tard, elle hérite – là encore pour trois fois rien et malgré une virginité totale dans ce secteur – de la Société de construction et de gestion immobilière du Burkina (Socogib), une entreprise d’État créée pour gérer le parc immobilier. Depuis, elle a monté une autre société immobilière, s’est lancée dans le bâtiment et dans la fourniture de moustiquaires imprégnées… À chaque fois, le succès est au rendez-vous. Bénéficie-t-elle de l’influence de son beau-fils pour mener son business ? La rue en est persuadée. Les journalistes aussi, qui s’amusent à recenser les comptes rendus des Conseils des ministres au cours desquels des marchés lui sont attribués. « François a su rester indépendant d’Alizéta », tempère un habitué de Kosyam. Mais les soupçons sont inévitables. « Ces intérêts qui se mêlent, c’est tout de même choquant », admet un gros entrepreneur.

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