EAC – Richard Sezibera : « Pourquoi nous, nous réussissons »
Le patron de la Communauté de l’Afrique de l’Est revient sur les raisons du succès économique de sa sous-région. Sans réelle volonté politique, explique-t-il, l’intégration ne peut pas fonctionner.
Appliqué, mesuré, Richard Sezibera pèse chaque mot. Le secrétaire général de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), 48 ans, s’exprime avec la prudence typique des dirigeants formés dans le moule du Front patriotique rwandais (FPR). Après des études de médecine à Kampala, ce Rwandais qui a connu l’exil très jeune (il a grandi au Burundi) s’est engagé dans ce qui était alors une rébellion lancée depuis l’Ouganda contre le régime de Juvénal Habyarimana.
Médecin personnel du président Pasteur Bizimungu après la prise de Kigali par le FPR en 1994, il est nommé, en 1999, ambassadeur aux États-Unis, puis envoyé spécial de Paul Kagamé (devenu président) dans la poudrière des Grands Lacs, en 2003.
En avril 2011, son expérience dans les négociations régionales fait de cet ancien ministre de la Santé le candidat du Rwanda à la tête de l’EAC. Dans ces fonctions qu’il occupe depuis, diatribes enflammées et coups d’éclat sont moins fréquents que les longues négociations et les petits progrès. L’institution fait peu de bruit, mais connaît une véritable success-story, que Jeune Afrique lui a demandé de décrypter.
Jeune Afrique : L’EAC est l’une des zones économiques les plus dynamiques du continent. Quels sont ses atouts ?
Richard Sezibera : J’en vois au moins trois. D’abord, nous avons un projet d’union politique fort et clair, nous voulons devenir une fédération. Les intégrations partielles marchent généralement mal : si vous vous limitez à un marché commun, personne ne voit d’urgence à s’investir dans le processus. Les citoyens de nos pays, au contraire, aspirent à devenir des « Est-Africains ». Ensuite, nos dirigeants ont de vraies visions de développement. Les présidents du Rwanda, de l’Ouganda, du Burundi et de la Tanzanie ont vu leurs pays traverser des périodes terribles et veulent construire un avenir différent. Enfin, ils ont très tôt fait confiance au secteur privé. Grâce à ce choix – au Kenya par exemple -, même quand l’État est paralysé, les entreprises fonctionnent.
Ce succès serait donc dû aux politiques de chaque pays plutôt qu’à l’EAC ?
L’EAC est le catalyseur de tout cela. Nous prenons un maximum de grandes décisions en commun, notamment dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures ou de l’environnement des affaires.
La Communauté a ainsi permis de développer le commerce intrarégional. Les exportations chez les autres membres sont passées de 7,5 % en 2005 à 23 % l’année dernière, le taux le plus élevé en Afrique. Et les échanges portent essentiellement sur les branches à forte valeur ajoutée, telles que les services et l’industrie.
D’autres unions régionales ont eu de grandes ambitions – c’est le cas de l’Union européenne. Les difficultés de la zone euro changent-elles vos projets ? La création d’une monnaie unique est-elle toujours d’actualité ?
Nous avons beaucoup appris de ce qui s’est passé dans la zone euro et nous en avons conclu que nous devions être préparés à plus d’intégration. Mais nous avions déjà prévu de bâtir simultanément une union fiscale, politique et monétaire.?Les négociations sur la monnaie unique continuent. Elles devraient s’achever avant la fin de l’année et déboucher sur un calendrier – probablement étalé sur environ cinq ans – à l’issue duquel elle sera mise en circulation.
Pensez-vous que l’influence de la France en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale empêche d’atteindre un niveau d’intégration comparable dans ces régions ?
Ce qui est certain, c’est que les pays d’Afrique de l’Est désirent développer des relations avec leurs voisins bien plus qu’avec leur ancienne puissance coloniale.
L’EAC a-t-elle une position commune sur l’élection du prochain président de la Commission de l’Union africaine, qui oppose le sortant, le Gabonais Jean Ping, à la ministre sud-africaine Nkosazana Dlamini-Zuma ?
Non, l’EAC a habituellement une position commune sur ce genre de questions internationales, mais nous n’avons pas estimé que cela soit nécessaire ici. Même si la Tanzanie est aussi membre de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), qui soutient la candidature de Nkosazana Dlamini-Zuma.
Est-ce parce que les membres sont divisés sur cette question ?
Non, c’est plutôt parce que les deux candidats sont bons pour l’Afrique et l’Afrique de l’Est.
Le Soudan du Sud souhaite rejoindre l’EAC. Quand lui donnerez-vous une réponse ?
Le 30 novembre 2012. Nous sommes sur le point d’envoyer une équipe de vérification sur place. Une fois qu’elle aura fait son travail, nous commencerons les négociations.
Les tensions entre Djouba et Karthoum sont-elles un obstacle ?
Elles n’aident pas, c’est vrai. Nous devons les prendre en compte. Pour l’EAC, l’adhésion du Soudan du Sud signifierait une nouvelle frontière avec une zone de conflit, en plus de celles avec la Somalie et le Kivu (RD Congo)… Lorsque le Rwanda et le Burundi se sont portés candidats, on s’est aussi méfié de leurs conflits internes et externes. Ils ont finalement été intégrés, au bout de dix ans.
Le Burundi est-il réellement tiré d’affaire ? Il semble qu’une nouvelle rébellion menace de se former…
Nous sommes inquiets, mais nous pensons que ce pays va dans la bonne direction. Sa situation rappelle celle de l’Ouganda il y a quelques années. Une rébellion sévissait dans le Nord, mais jamais au point de menacer l’État. L’adhésion de Bujumbura à l’EAC lui a donné un ancrage pour affronter les difficultés. Le Burundi a notre soutien.
D’autres pays ont-ils exprimé leur souhait de rejoindre l’EAC ?
La Somalie est candidate. Son dossier doit bientôt être étudié.
Et la RDC ?
Certains responsables de l’est du pays nous ont fait part de leur intérêt, mais il n’y a eu ni candidature officielle ni vraies discussions.
Vous étiez l’envoyé spécial de Paul Kagamé dans les Grands Lacs entre 2003 et 2008. Aujourd’hui, la situation semble être au même point qu’à l’époque. Y a-t-il eu de véritables progrès ?
Oui. La RDC a connu deux élections, et, aussi imparfaites qu’elles aient été, cela paraissait inenvisageable quelques années plus tôt. Il existe un cadre de discussion entre Kinshasa et le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda. Certains groupes armés, comme les FDLR [rébellion hutue issue de la fuite des génocidaires rwandais en RD Congo, NDLR], ont été sensiblement affaiblis.
Mais il y a de nouveaux groupes rebelles, et la RDC accuse le Rwanda d’être derrière l’un d’eux…
Les deux pays continuent de débattre. Mais si la communauté internationale ne change pas de méthode en RD Congo, elle ne peut s’attendre à obtenir des résultats différents. Les problèmes fondamentaux de celle-ci sont connus : questions de gouvernance, relations entre les différents groupes ethniques et présence des FDLR, qui, au-delà de leurs capacités militaires, propagent la haine et les divisions ethniques dans une région déjà fragile. Quand vous ajoutez à cela l’incapacité du gouvernement à gérer équitablement ses ressources, la persistance des difficultés n’est pas si étonnante.
Mais la Mission de l’ONU en RD Congo (Monusco) est la plus coûteuse au monde. La communauté internationale ne lésine pas sur les moyens…
C’est vrai, mais ils sont mal ciblés. Elle s’occupe beaucoup de certaines questions, telles les élections. C’est très bien, mais elle ne traite pas les problèmes fondamentaux…
D’où la solution peut-elle venir ?
Prenez les exemples du Burundi, du Soudan du Sud… Quand on implique les Africains pour résoudre les crises africaines, et en particulier les voisins, on a de bien meilleurs résultats. Parce qu’ils comprennent mieux les enjeux et s’engagent davantage. Je ne vois pas pourquoi cela serait différent pour la RD Congo.
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Propos recueillis par Pierre Boisselet
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