Afrique du Sud : pour Jacob Zuma, le compte à rebours a commencé

Rien de tel qu’un discours nationaliste pour remobiliser les militants. Dans cinq mois, l’ANC choisira de reconduire, ou pas, le président à sa tête. Décidant du même coup de son avenir au sommet de l’État. Le compte à rebours a commencé.

A l’ouverture d’une réunion de l’ANC, le 25 juin, à Midrand, près de Johannesburg. © AFP

A l’ouverture d’une réunion de l’ANC, le 25 juin, à Midrand, près de Johannesburg. © AFP

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 17 juillet 2012 Lecture : 4 minutes.

Dans son hôtel de la banlieue nord de Johannesburg, Julius Malema a dû s’étrangler devant son poste de télévision le 26 juin. Ce jour-là, l’ancien leader de la Ligue de la jeunesse du Congrès national africain (ANC, au pouvoir), célèbre pour sa rhétorique radicale et anti-Blancs, suivait le discours d’ouverture de la conférence politique du parti dont il a été exclu, en avril, pour indiscipline. À la tribune, à Midrand, le président Jacob Zuma, que Malema tient pour responsable de son éviction, a pris la parole et annoncé « un changement radical et un grand bond en avant ». « L’économie est encore largement une affaire d’hommes et de Blancs. Sa structure est en grande partie la même que sous l’apartheid, a-t-il poursuivi. […] Nous devons prendre les décisions difficiles que nous n’avons pas pu prendre en 1994. » Des phrases que Malema lui-même aurait pu prononcer il y a encore quelques mois et qui sont autant de signaux d’alarme aux oreilles de la – toujours puissante – minorité blanche d’Afrique du sud.

Après avoir fait le ménage dans l’aile nationaliste du parti, Zuma n’a donc pas hésité à occuper à nouveau ce créneau qui lui avait si bien réussi au congrès de Polokwane, en 2007 : il avait alors ravi la présidence au sortant, Thabo Mbeki, jugé trop autoritaire et éloigné du peuple.

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L’économie est encore largement une affaire de blanc.

Jacob Zuma

À Midrand, Zuma a toutefois fait preuve de plus de réalisme et de subtilité que Malema. Il n’a pas demandé au parti de se prononcer, comme l’avait fait le jeune trublion, pour la nationalisation des mines, mais simplement pour une plus grande intervention de l’État dans le secteur (elle pourrait prendre la forme d’une taxe sur les profits miniers et d’un renforcement des entreprises publiques). Même chose pour les expropriations des grands propriétaires blancs, ancien cheval de bataille de la Ligue de la jeunesse. La ministre de l’Agriculture, Tina Joemat-Pettersson, s’est dite favorable à la saisie des terres, mais uniquement « dans le cadre de la Constitution » – et donc avec des compensations financières.

Manoeuvre

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Un nouveau train de mesures que Zuma a nommé la « seconde transition » – après l’apartheid, la première étant restée limitée aux droits et libertés et à l’émancipation politique. Difficile de ne pas y voir une manoeuvre tactique pour redresser sa cote de popularité, à cinq mois de la grande conférence de l’ANC qui se tiendra, elle, à Mangaung (Bloemfontein) : le prochain leader du parti y sera désigné. Un poste qui entraînera sans doute l’accession de l’heureux élu à la tête de l’État – l’ANC étant quasiment assuré de l’emporter dans les urnes en 2014. Le succès de Zuma lors de ces élections internes, en revanche, est beaucoup moins certain.

C’est pour cela que la réunion de Midrand était décisive, et le président a d’ailleurs perdu des points avec le rejet, par les délégués, de l’expression « seconde transition » qu’il avait utilisée. Kgalema Motlanthe, son vice-président et rival le plus sérieux (bien que n’étant pas officiellement candidat) avait déjà critiqué ouvertement, quelques jours plus tôt, le « jargon marxiste » du document citant la fameuse expression, et douté de sa capacité de mobilisation. C’est finalement l’appellation « seconde phase de la transition » qui a été choisie, ce qui n’a pas empêché l’adoption du programme dans ses grandes lignes.

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Car au-delà des querelles de mots et de personnes, le virage politique de l’ANC paraît bien engagé. Dix-huit ans après son arrivée au pouvoir, son bilan économique et social est encore beaucoup trop loin des attentes des Sud-Africains : près d’un tiers des Noirs (et la moitié des jeunes) sont au chômage, contre 5,9 % des Blancs, ces derniers gagnant en moyenne presque cinq fois plus que les premiers. « Dans certaines communautés, le niveau de frustration est élevé et c’est compréhensible, a reconnu Jacob Zuma. Si beaucoup bénéficient des services de base, nombreux sont ceux qui attendent encore l’électricité, l’eau, les sanitaires, de vraies routes, des trains qui partent à l’heure chaque jour, et des logements décents », a-t-il lancé, lui qui se félicitait des résultats de l’ANC dans ce domaine il y a encore quelques mois, lors des élections municipales de mai 2011. « Si nous continuons ainsi, nos avancées démocratiques seront menacées, parce que ceux qui souffrent diront "trop c’est trop". »

La nécessité d’un coup d’accélérateur semble maintenant admise par tous au sein de la direction du parti. « Nous devons prendre le contrôle de nos ressources naturelles », a déclaré Nkosazana Dlamini-Zuma, l’ex-épouse du président, ministre de l’Intérieur et candidate à la présidence de la Commission de l’Union africaine à Addis-Abeba. De son côté, Pravin Gordhan, le respecté ministre des Finances, est allé dans la foulée défendre la nécessité « de l’intervention de l’État » devant les milieux d’affaires.

Le ministre des Arts et de la Culture, Paul Mashatile, pourtant décrit comme un éventuel successeur de Jacob Zuma, n’avait pas tenu un discours différent à Jeune Afrique, en décembre, à Johannesburg. « Nous sommes tous d’accord à l’ANC pour dire que la prochaine décennie doit être celle de la libération économique. C’est un domaine dans lequel les choses vont changer. »

Président du parti dans le Gauteng (où sont situés Pretoria et Johannesburg), Mashatile sera l’un des acteurs clés à Mangaung, même si sa province est moins importante que celle du Cap-Oriental et, surtout, celle du Kwazulu-Natal, région d’origine du président sortant, où le nombre de militants a crû ces cinq dernières années. Au point de constituer un avantage décisif pour Zuma dans la bataille qui s’annonce ? Mashatile était plus que réservé. « Une seule province, aussi forte soit-elle, ne suffit à assurer un poste. Dans les conférences de l’ANC il y a toujours des jeux d’alliances. » La feuille de route du prochain président est désormais connue. Mais pour garder ce poste, ou le conquérir, les prétendants doivent s’attendre à une bataille féroce.

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