Guinée – Alpha Condé : « J’ai hérité d’un pays sans État »

Convaincu que lui seul peut redresser la barre, le président de la République guinéenne, Alpha Condé, a répondu aux questions de J.A. Avec toujours le même franc-parler, qu’on l’interroge sur la situation au Mali, sur son bilan ou sur les critiques – sévères – que lui adressent ses opposants.

Le président guinée lors de entretien avec Jeune Afrique, le 30 juin à Paris. © Vincent Fournier pour J.A.

Le président guinée lors de entretien avec Jeune Afrique, le 30 juin à Paris. © Vincent Fournier pour J.A.

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Publié le 16 juillet 2012 Lecture : 18 minutes.

Vingt mois se sont écoulés depuis sa victoire à la présidentielle de novembre 2010, et Alpha Condé, 74 ans, a tout de même – un peu – changé. Pendant longtemps, celui que les Guinéens ont élu à 52,52 %, à l’issue d’un scrutin tendu et complexe, a été l’« opposant au pouvoir ». Celui qui, à force de vouloir être le président de tout et de partout, avait fini par ne plus habiter la fonction, tout en faisant son job et celui des autres, parfois jusqu’à l’excès. « Tu as vécu trop longtemps en Europe, tu es devenu blanc », lui répétaient les notables qu’effarait la propension du « Professeur » à sans cesse contrôler, vérifier, trancher dans le vif et négocier lui-même le moindre contrat d’importation de riz.

Ne serait-ce que pour ménager une monture usée par tant d’épreuves – dont la moindre ne fut pas la prison, sous le régime de Lansana Conté -, Alpha Condé a aujourd’hui pris de la hauteur et de la distance. Il a appris à déléguer, à faire (dans une mesure certes relative) confiance à ses collaborateurs, à assouplir son langage et à réduire le nombre de ses téléphones portables, dont il était un utilisateur compulsif. Le camarade Alpha est devenu un chef d’État, mais le naturel – c’est-à-dire, chez lui, la passion – est toujours là, rebelle au protocole, aux usages et à cette tendance qu’ont bien des dirigeants du continent à se réfugier dans la stratosphère. « Pour moi, c’est évident : un président doit connaître les dossiers de chacun de ses ministres autant et si possible mieux qu’eux, sinon ce n’est pas un chef », explique-t-il. Autant dire que, pour les intéressés, la barre est placée haut.

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Il faut ajouter que la Guinée, où tout est à reconstruire, à commencer par l’administration, l’économie, l’armée et la conscience nationale, est encore en état d’exception. Les élections législatives se font désespérément attendre, prolongeant indéfiniment une sorte de vide institutionnel, et les relations entre le président et son opposition, qui lui reproche avec acidité ses « dérives autoritaires », sont placées sous le signe de la défiance réciproque. Une situation qui n’est guère propice aux investissements, à l’aide extérieure (celle de l’Union européenne en particulier) et à l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), même si les bailleurs de fonds sont unanimes à reconnaître les progrès socioéconomiques réalisés depuis un an et demi.

De passage à Paris, où il a été convié le 2 juillet à l’Élysée par son camarade de l’Internationale socialiste François Hollande, Alpha Condé a reçu Jeune Afrique dans sa suite de l’hôtel Raphael pour un entretien de plus d’une heure. L’interview terminée, Bernard Kouchner, l’ami de cinquante ans, est venu le retrouver pour le déjeuner. « Pas ici, c’est trop guindé, emmène-moi ailleurs », intime Alpha. « Ailleurs ? Mais je n’ai rien réservé ! » répond Bernard. « On s’en fout. » Les voici partis en goguette, comme deux étudiants. On ne se refait pas…

JEUNE AFRIQUE : Vous revenez d’une tournée en Thaïlande et en Malaisie. Vous étiez, quelques semaines auparavant, en Corée du Sud et au Cambodge. Pourquoi l’Asie du Sud-Est ?

Alpha Condé : Parce que cette région était, il y a trente ans, au même niveau que la Guinée aujourd’hui. La Thaïlande, la Malaisie ou la Corée du Sud sont désormais des pays émergents. Ils ont su se développer grâce à des avancées en matière d’agriculture ou d’élevage, ou en acquérant une meilleure maîtrise technologique. La Guinée doit utiliser cette expérience non pas pour la copier, mais pour comprendre comment, en si peu de temps, on peut faire des pas de géant.

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Un voyage comme celui-ci coûte cher. Concrètement, à quoi sert-il ?

Premièrement, ce n’est pas vrai. Mes voyages ne coûtent pas cher à l’État, parce que je ne présente pas la facture. Ensuite, c’est à l’occasion de ces déplacements que nous pouvons signer des accords de coopération. Nous en avons passé, par exemple, avec la Corée du Sud : nous allons pouvoir envoyer des cadres chez eux, pour qu’ils y soient formés, et eux vont faire venir des techniciens chez nous. Toutes ces années, nous avons pris beaucoup de retard. Beaucoup de nos cadres sont à l’extérieur du pays, et il est difficile de demander à quelqu’un qui touche 3 000 dollars [2 380 euros, NDLR] par mois de rentrer pour gagner 300 dollars en Guinée. D’où l’importance de former des gens. Enfin, l’économie guinéenne dépend de l’agriculture, et si nous voulons être autosuffisants d’ici à 2014, nous devons être plus productifs. Il nous faut donc, pour des questions de financements et de transferts de technologies, développer nos relations avec l’Asie, mais aussi avec les pays du Golfe. Nous avons besoin que des sociétés étrangères viennent investir chez nous.

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Je cotoie François Hollande depuis longtemps. C’est une erreur de croire qu’il ne connaît pas l’Afrique.

Et la visite à Paris, c’était pour voir votre camarade François Hollande…

Oui, je suis content qu’il ait été élu. Nous nous sommes longtemps côtoyés au sein de l’Internationale socialiste. Contrairement à ce que les gens disent, il connaît très bien les problèmes africains et il a rencontré beaucoup de leaders du continent, dont deux sont d’ailleurs aujourd’hui au pouvoir : Mahamadou Issoufou, au Niger, et moi.

Au sujet du Mali : la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) s’est réunie à Yamoussoukro le 29 juin. A-t-elle eu raison de retirer au capitaine Sanogo le statut d’ancien chef d’État ?

Bien sûr, c’était comme une prime au coup d’État et c’était une erreur de lui avoir octroyé ce statut. Tout comme c’était une erreur d’avoir prolongé le mandat de Dioncounda Traoré à la tête du Mali : c’était, à l’époque, un problème interne au Mali, et c’était à l’Assemblée nationale de prendre cette décision. Peut-être même que nous aurions dû dire qu’ATT [Amadou Toumani Touré] devait revenir au pouvoir et rester jusqu’aux élections. Ne pas le faire a sans doute été notre première erreur, mais nous sommes en train d’essayer de nous rattraper.

En attendant, une chose est sûre : les militaires ne doivent plus jouer aucun rôle. Il faut aussi assurer la sécurité des représentants des institutions maliennes et faire à Bamako ce que l’Afrique du Sud a fait au Burundi il y a quelques années. Lorsque le président Nelson Mandela était médiateur là-bas, l’Afrique du Sud avait envoyé des troupes pour assurer la sécurité des hommes politiques. Ce doit être pareil au Mali. Parce que, si l’on peut, comme cela, entrer dans la présidence et attaquer le chef de l’État, plus personne n’est à l’abri !

Êtes-vous toujours favorable à une intervention militaire ?

Oui. Le problème du Nord-Mali ne pourra être résolu que militairement. Nous avons transmis le dossier au Conseil de sécurité des Nations unies et nous espérons avoir rapidement une résolution qui nous permette de nous occuper de ce qui se passe à la fois à Bamako et dans le Nord.

Pourtant, certains espèrent encore que les négociations feront avancer les choses…

Et elles ont servi à quoi, jusqu’à présent, ces négociations ? On ne peut pas parler avec les membres d’Aqmi [Al-Qaïda au Maghreb islamique], on ne peut que les combattre. Avec les Touaregs, c’est différent. Leurs revendications identitaires sont anciennes, et nous devons essayer de trouver une solution politique avec le MNLA [le Mouvement national pour la libération de l’Azawad] – sachant que cette solution devra respecter l’unité du Mali.

La Cedeao est-elle prête militairement ?

Oui. Tout ce que nous demandons aux Occidentaux, c’est un appui logistique et une aide en matière de renseignements. Les pays de la sous-région sont prêts à envoyer des hommes – la Guinée le fera. Mais il faut garder à l’esprit que le Mali, ce n’est pas simplement le problème de la Cedeao, c’est le problème de toute l’Afrique. Le Tchad, par exemple, est concerné, et il a une plus grande expérience de la lutte dans le désert. Au fond, la question n’est pas de savoir si la Cedeao est prête, mais si le continent est prêt. Personne n’a intérêt à ce qu’un nouvel Afghanistan s’installe là-bas.

L’Algérie aussi est concernée, et pourtant, elle est réticente à intervenir…

L’Algérie n’est pas contre une intervention, j’ai eu l’occasion d’en parler avec son ministre des Affaires étrangères. Elle est contre la présence de troupes étrangères dans la région, mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Ce sont des troupes africaines qui doivent intervenir, pas les Français !

On m’accuse de vouloir retarder les législatives, mais nous avons en guinée un régime présidentielle : je n’ai rien à perdre en allant aux élections.

En matière de politique intérieure, à présent : quand auront lieu les élections législatives, qui avaient été annoncées pour le 8 juillet ?

Pendant des années, je me suis battu pour la démocratie. Je ne veux pas d’un scrutin bâclé : je ne fixerai la date des élections que quand j’aurai la certitude que la Ceni [la Commission électorale nationale indépendante] est techniquement en mesure de les organiser, et l’Organisation internationale de la francophonie [OIF] va nous aider à assurer leur transparence et leur bon déroulement.

L’opposition ne fait confiance ni à la Ceni ni à son président…

C’est un faux problème. J’ai fait modifier l’article 162 du code électoral, qui donnait des pouvoirs juridictionnels au président de la Ceni. Avant, ce dernier pouvait par exemple annuler les résultats des élections dans certaines circonscriptions. Je n’étais pas d’accord : le rôle de la Ceni est de constater les résultats, puis de les transférer à la Cour suprême, qui seule a un pouvoir juridictionnel. L’article 162 a donc été abrogé, et, aujourd’hui, le président de la Ceni n’a plus de pouvoir.

Les opposants vous accusent aussi de ne pas vouloir aller aux élections…

Ce sont des histoires ! Ce sont eux qui ne veulent pas aller aux élections. Retenez deux choses. D’abord, j’ai besoin que l’on organise rapidement des législatives, parce que les financements importants de l’Union européenne sont liés à leur tenue. Le PPTE [l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés], ce n’est pas pour Alpha, c’est pour la Guinée.

Ensuite, je n’ai rien à perdre avec les élections : nous avons en Guinée un régime présidentiel, pas un régime parlementaire. C’est moi qui nomme le gouvernement, et celui-ci n’est pas responsable devant le Parlement. Au Bénin, Boni Yayi a gouverné pendant cinq ans avec un Parlement qui lui était hostile, et cela ne l’a pas empêché de se faire réélire ! Mais si mes adversaires veulent boycotter le scrutin, c’est leur problème.

Avec Cellou Dalein Diallo (à g.), le 6 novembre 2010 à Conakry.

© Issouf Sanogo/AFP

Ne redoutez-vous pas une cohabitation ?

Je viens de vous répondre : une cohabitation ne m’empêcherait pas de gouverner. Je sais aussi que mes opposants ne peuvent pas gagner. À part Cellou Dalein Diallo [candidat malheureux au second tour de la présidentielle en 2010], ils n’ont aucune base électorale, ils n’auront aucun député. Ils parlent, ils parlent… mais si on va aux élections, ils sont finis. Ce qu’ils veulent, c’est mettre la pagaille dans la rue.

Mais les législatives, c’est pour quand ?

J’attends que la Francophonie revienne pour proposer un chronogramme que l’on pourra tenir.

Avant la fin de l’année ?

Bien sûr.

En attendant, il y a toujours des tensions et des violences à Conakry…

Là encore, ce sont des histoires.

N’y a-t-il pas eu des blessés et des morts pendant des manifestations ?

Il n’y a pas eu de morts, pas de notre fait, en tout cas.

Même pas le 27 septembre 2011 ?

Les quatre personnes qui sont mortes ce jour-là ont été tuées à l’arme blanche. Elles ont été tuées parce qu’elles ne voulaient pas manifester. Les gendarmes, eux, n’ont pas d’armes blanches. Ils ont des gourdins et des gaz lacrymogènes. Bien souvent, ce sont les manifestants qui font de la provocation. Mais marcher dans la rue, ce n’est pas aller casser les véhicules des gens et piller les magasins des commerçants ! C’est pour cela que je n’autorise plus les manifestations. Cela dit, venez à Conakry. Quand le président Abdou Diouf [le secrétaire général de l’OIF] est venu, il m’a dit qu’entre ce qu’il entendait à Paris et ce qu’il voyait ici c’était le jour et la nuit. De loin, vous avez l’impression qu’à tout moment les militaires vont faire un coup d’État, mais la Guinée a changé. Il n’y a plus de chars dans les rues de Conakry, les militaires ne sont plus autorisés à sortir des casernes avec leur arme, ils ne sont plus en charge du maintien de l’ordre… Un diplomate français m’a un jour fait remarquer que ce n’était pas une refonte de l’armée mais une révolution !

Pourquoi le dialogue avec l’opposition est-il toujours impossible ?

Ce sont eux qui bloquent. Et puis, enfin ! je ne suis pas obligé de dialoguer avec tel ou tel leader politique. Je suis le président de tous les Guinéens, et je dialogue si je le souhaite. Nous ne sommes plus au second tour, quand Cellou et moi étions concurrents. Je ne suis pas un interlocuteur comme les autres. Je suis au-dessus de la mêlée. Ce n’est pas moi qui vais aux législatives, et ce sont les partis qui doivent discuter entre eux. Les opposants voudraient que l’on gouverne ensemble, mais c’est sur la base de mon programme que j’ai été élu, et j’associe qui je veux.

Gouverner ensemble, c’était votre idée, entre les deux tours…

Et quand j’ai proposé un gouvernement d’union nationale, Cellou a refusé. J’avais suggéré que l’on travaille ensemble pendant deux mandats pour résoudre les problèmes des Guinéens. Il a dit publiquement qu’il ne le voulait pas.

Les manifestations à caractère politique vont-elles de nouveau être autorisées ?

Les meetings, oui. Les manifestations, non, parce que, à chaque fois, elles dégénèrent. Ce sont d’ailleurs les grands commerçants peuls qui en font les frais. Vous remarquerez que je pourrais faire appliquer cette loi anticasseurs qui a été créée pour moi, et que je ne le fais pas. Elle stipule que les organisateurs de marches sont responsables des casses. Vous remarquerez aussi que les demandes d’autorisation sont toujours déposées par d’obscurs petits partis, jamais par ceux de Cellou ou de Sidya [Sidya Touré, autre candidat à la présidentielle de 2010]. Ils ont trop peur qu’on leur applique la loi.

Lors de l’entretien, dans une suite de l’hôtel Raphael (à gauche, Rachid Ndiaye, conseiller en communication du président)

© Vincent Fournier/JA

Je remarque aussi que vous n’êtes pas allé dans le Fouta (région à majorité peule) depuis votre élection…

Ni dans le Fouta, ni en Haute-Guinée, ni en Guinée forestière. À part deux déplacements à Boké et à Kindia, je ne suis encore allé nulle part à l’intérieur du pays. En revanche, j’ai reçu à Conakry des notables du Fouta.

Pourquoi les Peuls se sentent-ils visés par certaines de vos décisions en matière économique et, surtout, fiscale ?

De quelles mesures parle-t-on ? Est-ce qu’un seul commerçant peul a été arrêté ou empêché de travailler ? Non. Ce qui est vrai, c’est que je demande désormais à tous les commerçants de payer la douane et les taxes, et qu’il n’y a plus de privilèges ou de situations de monopole. Certains ont voulu en faire un problème ethnique. Je leur réponds qu’il n’y a pas que les Peuls qui ont été contrôlés par l’administration, mais aussi des Soussous, des Libanais ou des Malinkés… Ce n’est pas un problème peul.

Il y a pourtant, au sein de cette communauté, un vrai sentiment de persécution…

Mais où avez-vous vu que nous avons jamais donné l’ordre de tuer un seul Peul ?

Il y a quelques mois, vous disiez croire en l’efficacité de la lutte anticorruption, mais les affaires continuent. Récemment, la Banque centrale et le ministère des Finances ont été éclaboussés…

Je n’ai jamais dit que c’était fini. J’ai dit que l’on avait fermé les gros robinets de la corruption et que, n’en déplaise à certains, on allait maintenant fermer les petits. Les gens pensent que je ne vais pas oser frapper avant les législatives, ils ont tort. Quand il y a eu ce scandale dont vous parlez, quand des gens ont grossièrement imité la signature du ministre des Finances pour essayer de sortir plus de 13 milliards de francs guinéens [plus de 1,4 million d’euros], nous avons tout de suite réagi : les coupables ont été arrêtés et révoqués de la fonction publique. Nous allons continuer l’enquête, et personne ne sera épargné. J’ai aussi décidé de faire faire un audit de tous les ministères. Les choses sont en train de s’arranger.

Le système judiciaire aussi ?

En Guinée, les juges sont corrompus, et je suis en train de les remplacer, mais malheureusement nous n’en avons pas formé assez. Il nous faut faire appel à des juges à la retraite pour compenser. Tous les magistrats impliqués dans des affaires de corruption vont être démis de leurs fonctions. Désormais, des concours de recrutement sont organisés pour que l’on cesse de me demander à tout propos quel est le pourcentage de Peuls ou de Malinkés dans la magistrature. Et après le concours, il y aura un appel à candidature, et un cabinet international sera chargé de la sélection des candidats.

Dans un article publié dans le Sunday Times début juin, vous avez été accusé de brader les mines guinéennes alors même que vous dites vouloir lutter contre la corruption…

On fait beaucoup de bruit autour de cette affaire, mais de quoi s’agit-il ? J’ai passé un accord avec l’homme d’affaires Walter Hennig, un Sud-Africain qui m’a été recommandé par les autorités de son pays. Il nous a accordé un prêt de 25 millions de dollars sur quinze ans. Selon les termes de notre accord, si nous ne remboursons pas, la société de Walter Hennig pourra avoir jusqu’à 30 % des actions d’une filiale de la Société guinéenne du patrimoine minier, la Soguipami. C’est tout, et de toute façon nous allons rembourser à temps et le problème ne se posera pas.

Où en est-on de l’enquête sur le massacre du 28 septembre 2009 ?

Il y a des juges qui travaillent sur le dossier, je leur ai donné un local, et quand nous aurons de nouvelles annulations de dette, nous pourrons leur donner plus de moyens. C’est la justice guinéenne qui doit mener cette enquête.

Pas la Cour pénale internationale (CPI) ?

Non. La CPI n’intervient que quand la justice locale est défaillante, et ce n’est pas le cas.

Le lieutenant-colonel Tiégboro Camara est soupçonné d’être impliqué dans les massacres et a été inculpé en février. Pourquoi est-il toujours en liberté ? Pourquoi dirige-t-il toujours l’Agence nationale chargée de la lutte contre le trafic de drogue, la criminalité organisée et le terrorisme ?

Parce qu’en Guinée comme en France, inculpé ne veut pas dire coupable. Ce mépris que l’on a pour nous, il faut que cela cesse.

Et Claude Pivi, qui fait partie de la garde présidentielle ? Pourquoi n’a-t-il pas été inquiété alors que la commission d’enquête de l’ONU s’était intéressée au rôle qu’il avait joué le 28 septembre ?

J’ai dit à Wade qu’un attentat contre moi était en préparation à Dakar – Blaise Compaoré peut en témoigner. Mais il n’a rien fait.

Il n’était pas au stade ce jour-là, tout le monde le sait, même les opposants.

Moussa Dadis Camara, l’ancien chef de la junte, peut-il rentrer en Guinée ?

Oui, comme tout Guinéen. Je n’ai rien contre lui. D’ailleurs, quand je vais à Ouaga, je vais le voir. Pour l’instant, c’est lui qui a décidé de rester au Burkina.

Où en est l’enquête sur la tentative d’assassinat qui vous a visé, le 19 juillet 2011 ?

L’enquête est terminée, et le dossier est maintenant devant la justice. Les personnes contre lesquelles il n’y avait pas de preuves suffisantes ont été libérées.

Pensez-vous toujours que ce sont des proches du général Sékouba Konaté, au pouvoir avant votre élection, qui étaient à la manoeuvre ?

C’est assez simple. Deux personnes ont dirigé l’attaque. La première, Alpha Oumar Barry, était un militaire peul. La seconde, c’est Aboubacar Sidiki Camara, dit De Gaulle. Il était le chef de la garde présidentielle de Sékouba Konaté. Je vous laisse en tirer les conclusions qui s’imposent.

À l’époque, vous aviez parlé de ramifications gambiennes et sénégalaises…

J’avais prévenu la France que l’on était en train de préparer un attentat contre moi depuis l’hôtel Président, à Dakar. Ensuite, à Addis-Abeba, je l’ai dit au président Abdoulaye Wade, en présence de Blaise Compaoré – Blaise peut en témoigner. Wade était au courant, mais il n’a rien fait.

Sa défaite électorale vous a réjoui ?

C’est l’affaire des Sénégalais.

Vos relations avec Macky Sall sont-elles meilleures que celles que vous aviez avec Abdoulaye Wade ?

Le Sénégal et la Guinée sont deux pays frères, et je n’ai pas de problème avec Macky Sall. Quant à Wade, j’ai tourné la page. Lui, c’est vrai, avait encouragé Moussa Dadis Camara à garder le pouvoir. Il n’avait pas caché non plus qu’il pensait que je n’avais aucune chance d’être élu et il avait soutenu Cellou, mais c’était son affaire. Il était libre de le faire, même si, moi, je ne me suis pas mêlé des élections au Sénégal. Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily… Ce sont tous mes amis, mais personne ne m’a entendu soutenir qui que ce soit, parce que je respecte la souveraineté du Sénégal.

Vous dites souvent que vous avez hérité d’un pays, pas d’un État…

C’est évident. Il n’y avait pas d’État en Guinée. La façon dont le pays était géré, c’était pire que le Zaïre de Mobutu. L’un de nos plus gros problèmes, ce sont certains fonctionnaires qui ne voient que leur propre intérêt et qui pillent le pays. Notre chance, c’est qu’ils vont bientôt partir à la retraite et que l’on peut espérer que les jeunes seront différents. Petit à petit, nous changeons les choses, mais changer la mentalité des Guinéens, cela va prendre du temps, je ne me fais pas d’illusions.

Pour ce qui est de l’état du pays, je dis souvent que le FMI [Fonds monétaire international], c’est comme le médecin : si on y va, c’est parce que l’on est malade. Ensuite, on est bien obligé d’accepter l’ordonnance. Pendant deux ans, nous allons devoir nous serrer la ceinture. Comme Churchill, je ne peux promettre aux Guinéens que du sang, de la sueur et des larmes, mais la victoire est à ce prix, et les gens l’ont compris. La preuve, c’est qu’il n’y a plus de grèves en Guinée. L’année dernière, nous avons augmenté le prix du carburant sans mesure d’accompagnement et il n’y a pas eu une seule grève ! Pourtant, les conditions de vie sont très dures.

Au fond, l’opposition vous fait les mêmes reproches que ceux que vous formuliez contre le président Lansana Conté : autoritarisme, répression des manifestations, votre fils Mohamed Condé qui ferait des affaires…

Pour les manifestations, j’ai déjà répondu. Quant à mon fils, il ne fait pas d’affaires. Il a des compétences qui peuvent être utilisées, c’est tout. Je ne fais pas dans le népotisme et je ne suis pas un homme d’argent.

Une fois au pouvoir, on peut être obligé de s’écarter de ses idéaux…

La seule chose qui m’intéresse, c’est de remettre la Guinée sur pied. C’est de renégocier les contrats miniers sans être en situation d’infériorité, et, pour cela, j’ai recruté des grands cabinets d’avocats, des banques d’affaires… En face, les entreprises minières savent y faire. Y aller comme ça, avec mes cadres, cela aurait été comme l’histoire du loup et de l’agneau. Lorsque l’on se défend bien, ça change tout.

Que font autour de vous des personnalités comme Bernard Kouchner, Tony Blair ou George Soros ? Quels intérêts défendent-ils ?

Encore une fois, ce sont des histoires ! Bernard Kouchner m’aide à construire une clinique « mères et enfants ». Tony Blair a une fondation qui nous aide à renforcer les capacités de l’administration présidentielle. Soros, enfin, m’aide comme il l’a fait avant avec le Rwanda, la Sierra Leone ou le Liberia. Pourquoi s’en étonner ? Cela ne coûte rien à la Guinée.

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Propos recueillis par François Soudan et Anne Kappès-Grangé

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