« Les féticheurs-coachs »

Tribune de Francis Akindès, Professeur de sociologie à l’université de Bouaké en Côte d’Ivoire.

Publié le 10 juillet 2012 Lecture : 2 minutes.

La conquête et la conservation du pouvoir comportent tellement de risques que nul n’imagine qu’on puisse le garder sans s’entourer de toutes les protections. Si pour la plupart des chefs d’État africains le pouvoir qu’ils détiennent est un don de Dieu, ce même pouvoir confère une si vertigineuse puissance que chacun finit par croire qu’il est lui-même le siège de la sorcellerie. D’où l’idée discrètement partagée que la lutte politique comprend aussi une dimension invisible. Les entrepreneurs politiques se battent dans le monde visible, en se conformant ou non aux règles du jeu démocratique, mais aussi dans le monde invisible, contre les vilenies de leurs concurrents. Côté cour, répondre aux critères mondialisés de la participation aux élections free and fair en élaborant un programme de gouvernement rarement différent de celui de la concurrence. Côté jardin, déployer la machine du marketing pour un électorat pauvre qui troque son suffrage contre un tee-shirt flanqué de l’effigie de son candidat, de l’huile et du riz. Et enfin, s’attacher les services des maîtres du surnaturel.

À enjeux politiques stratégiques, moyens exceptionnels et dispositions défiant toute rationalité cartésienne. Pour assurer une efficacité maximale, le sorcier souligne la rareté des ingrédients dont se composent les mixtures, les amulettes, les poudres magiques et les potions médicinales ironiquement appelées en Côte d’Ivoire les « missiles ». Ces cocktails associent généralement des éléments du corps humain. En fonction de la difficulté des terrains politiques, les éléments constitutifs associés vont des organes génitaux aux pieds en passant par les yeux et les doigts de la main. Les petits corps des nouveau-nés semblent particulièrement appréciés. La course à ces ingrédients explique les kidnappings d’enfants, les crimes rituels, les vols de bébés dont les médias rendent souvent compte.

Dans le quartier de Yopougon, des miliciens libériens pro-Gbagbo combattaient tout nus, le corps enduit d’huile et chargé de grigris.

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Les féticheurs-coachs des « gagneurs » voient leur prestige croître et le coût de leurs prestations grimper. Ils se trouvent projetés dans les cercles les plus rapprochés du pouvoir et, parfois, comptent parmi les conseillers les plus influents du chef. Cette croyance est si forte qu’il n’y a pas de seigneur de guerre qui n’ait pas ses amulettes protectrices, qui renvoient également à son environnement social et aux signes de sa puissance. En Côte d’Ivoire, l’opération Dignité menée en 2004 par l’armée en vue de reprendre le Nord aurait échoué parce que les soldats étaient effrayés par le pouvoir mystique supposé de certains rebelles, surtout les chasseurs traditionnels dozos. Pendant la crise postélectorale de 2010, la peur des soldats face à un noyau d’insurgés appelés Fognon (commando invisible) était un secret de polichinelle. Dans le quartier de Yopougon, des miliciens libériens pro-Gbagbo combattaient tout nus, le corps enduit d’huile et chargé de grigris. La sorcellerie donne l’illusion de l’invincibilité.

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À lire aussi :

– Sorcellerie et politique en Afrique, de Peter Geschiere, éd. Karthala, 1995.

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– Pouvoirs sorciers, collectif, éd. Karthala, 2000.

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